« Les usines de dessalement sont la solution au problème de l’eau »

La gestion de la crise de l’eau, la loi Mayotte, la coopération régionale, l’opération « Wuambushu », plusieurs sujets politiques sont abordés dans le cadre de notre grand entretien avec Ben Issa Ousseni. Le président du conseil départemental a accepté de répondre à tous ces sujets pour ce troisième volet, après l’économie et les transports.

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Le 13 janvier 2022, les élus du conseil départemental de Mayotte ont émis « un avis défavorable en l’état » à propos de la loi Mayotte. Depuis, celle-ci est restée au placard. En visio, ce jour-là, Mansour Kamardine, député de Mayotte et désormais ex-conseiller départemental.

Flash Infos : L’eau risque fortement de manquer sur l’île. Comment le Département peut aider l’État à approvisionner Mayotte ?

Ben Issa Ousseni : Le chiffres parlent d’eux-mêmes : le besoin en eau potable de Mayotte, c’est 40,000 m3/jour. D’ici quelques mois, les retenues collinaires seront à sec, il restera alors la production des forages et de l’usine de dessalement de Petite Terre, soit 10.000 m3/jour. Je m’inquiète du silence de l’État sur cette question sanitaire et sécuritaire majeure et vitale. J’ai donc prévu de saisir le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à ce sujet. Le Département sera, je le redis, toujours aux côtés des plus précaires et des plus fragiles qui risquent d’être les premiers frappés, mais je suis très inquiet pour l’économie et les services. N’oublions pas que l’économie, c’est le levier du développement.

Nous souhaitons que dans le cadre du plan de convergence mais aussi dans le cadre, peut-être, de la loi programme à venir, que l’eau puisse être positionnée parmi les priorités du territoire. Cela sous-entend bien sûr la construction d’une troisième retenue collinaire. Mais cela ne suffira malheureusement pas en cas de forte sécheresse. Par conséquent, il faudra également aller vers les usines de dessalement car je crois que c’est de cette manière que nous arriverons à solutionner ce problème de l’eau. Je continue à dire que nous avons grandement besoin de cette usine de dessalement, mais qu’encore une fois, il urge de se pencher sur la problématique du nombre réel d’habitants sur ce territoire afin que l’on sache réellement pour combien nous devons produire de l’eau. Vous conviendrez avec moi que financer la construction d’équipements de production d’eau pour 200.000 personnes, ce n’est pas pareil que pour 400 ou 500.000 habitants.

F.I. : Un an et demi après votre élection à la tête du Département, dans quel état d’esprit êtes-vous ?

B.I.O. : Nous sommes à pied d’œuvre et mobilisés, dans ce qui fait la richesse de notre diversité, pour notre territoire et sa population. L’équipe dont j’ai la responsabilité est très investie et impliquée, aux côtés des habitants et des institutions. En 2022, nous avons ainsi adopté à l’unanimité du plan de mandature 2021-2028 qui fixe un cap clair à notre action ; nous agissons avec détermination, à notre niveau, contre l’insécurité ; nous avons pris à bras-le-corps la question des transports scolaires par exemple. Nous avons agi concrètement pour le pouvoir d’achat des Mahoraises et des Mahorais, que ce soit au travers d’un geste fort et partagé durant trois mois sur la baisse du prix de l’essence à la pompe, ou de la charte dite Oudinot, qui se traduit par un accord de modération des prix, grâce à la baisse de l’octroi de mer. 2022 a également vu l’inscription, sur proposition du Département, au patrimoine culturel immatériel national de l’Unesco du maoulida shenge. Et en ce début d’année, nous avons pu ouvrir la très attendue salle de cinéma Alpa Joe. La nouvelle barge « Chatouilleuse » vient d’être livrée. Ce sont là quelques illustrations très concrètes parmi bien d’autres de notre volonté d’agir pour le développement de Mayotte.

F.I. : Où est-on sur le projet de loi Mayotte qui a avorté l’année dernière ?

B.I.O. : S’agissant du projet de loi Mayotte, nous nous sommes accordés avec le gouvernement en février 2023 de le remettre sur la table. Nous travaillons dessus en ce moment au sein du Département, mais j’envisage de mettre sur pied un comité de travail qui s’appuiera sur la base de ce qui a été déjà fait. Ainsi, on évitera ces interminables tables rondes qui n’apportent rien de concret. Nous allons examiner la meilleure façon de mettre à jour ce qui a été fait, repréciser les choses. Très prochainement, je réunirai au conseil départemental l’ensemble des élus locaux, les parlementaires, l’association des maires, ainsi que la société civile et les conseils économique et social, environnemental et de la culture, pour avoir une proposition commune et rapide du territoire. Une réponse qui irait dans le sens des intérêts de Mayotte, avec la plus large concertation possible. Je me doute qu’il n’y aura pas l’unanimité sur ce texte, mais il va s’agir de retravailler l’existant pour aller de l’avant. J’ai insisté auprès du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, pour que Mayotte soit associée aux travaux de ses services avant d’être officiellement saisie pour avis sur la version finale du texte. Je souhaiterais que ce texte atterrisse à l’Assemblée nationale en septembre pour être pris en compte dans le vote de la loi de finances. Selon mes contacts parisiens, il pourrait être débattu au début de 2024.

F.I. : On a vu dernièrement l’Assemblée nationale suspendre récemment un texte peu favorable à l’intégration de Mayotte au sein de la Commission de l’océan Indien (COI). Est-ce que quelqu’un chez nous travaille sur ce dossier ?

B.I.O. : Nos parlementaires travaillent sur ce dossier. De notre côté, nous travaillons sur l’ancien projet de loi Mayotte qu’avait présenté le précédent gouvernement. Pour avoir échangé avec les parlementaires, je sais qu’ils sont à fond sur cette question de la place de Mayotte au sein de la COI. Au niveau du Département, nous restons mobilisés et vigilants.

F.I. : Parlons maintenant de coopération régionale, selon vous qu’est-ce qui nous empêche d’avancer concrètement dans ce domaine ?

B.I.O : Excellente question. J’en profite pour clarifier les choses. Depuis mon arrivée à la tête du Département de Mayotte, je n’ai fait que deux déplacements à Madagascar. Le premier, dans le cadre des fonds Interreg de l’Union européenne parce qu’il y avait des conventions à signer. Mon deuxième déplacement concernait justement du lobbying à faire en faveur de notre candidature aux Jeux des Îles de l’océan Indien. Il nous faut des partenaires pour espérer gagner cette bataille. Il y a eu un remaniement du gouvernement malgache très récemment qui m’a un peu inquiété car les contacts que j’avais noué ont pour la plupart été éjectés. Au-delà de cet aspect, je dirai qu’il est important pour nous d’effectuer ces déplacements régionaux car il convient de vendre l’attractivité de notre département. Bien au contraire, et n’en déplaise à mes détracteurs, je regrette de n’avoir pas fait suffisamment de déplacements dans la zone Océan indien, je vais plus à Paris et à La Réunion pour des raisons connues de nous tous. Mon ami Letchimy (N.D.L.R. Serge Letchimy, l’actuel président du conseil exécutif de Martinique) me rappelle souvent que le développement de Mayotte passe nécessairement par sa zone géographique au sein de laquelle elle occupe un positionnement incontournable. Les échanges économiques doivent être fortes dans la zone, je crois en une coopération gagnant-gagnant en faveur de laquelle nous travaillons beaucoup. Nous avons énormément avancé sur le secteur de l’élevage et de la viande malgache, ainsi que le fourrage à Majunga pour le bétail mahorais. Tirer profit de notre position stratégique dans le canal de Mozambique passe par cette coopération régionale. Mayotte ne doit pas avoir peur de cela. Ce qui m’inquiète chez nous, c’est cette impression que nous avons peur de ce que nous sommes, citoyens français pour toujours au même titre que les Réunionnais et les Guadeloupéens relevant de l’article 73 de la constitution française, nous sommes une partie intégrante de l’Union européenne. Ce qui importe maintenant, c’est développer notre territoire au sein de notre environnement régional. Donc, je dirai que tous les moyens sont bons pour nous faire connaître, d’abord comme Mahorais, ensuite comme Français et Européens.

F.I. : La délégation de service public du port de Longoni se terminant en 2027, est-ce que le Département envisage ou pas de reprendre la main sur cet outil ?

B.I.O. : Pour le moment, la DSP (N.D.L.R. confiée à Mayotte Channel Gataway, la société d’Ida Nel) se poursuit. Vous savez que j’ai toujours craint le passage en force. J’ai en mémoire la résiliation de la DSP de la CCI que j’ai vécu en interne ici. Il restait un an et demi avant son terme, mais cela nous a coûté au final huit millions d’euros. À l’époque, la résiliation avait été opérée avec des avocats nous garantissant que l’opération était totalement sécurisée. Lorsque j’ai vu que dans le projet de loi Mayotte qui a avorté, l’État a mis noir sur blanc qu’il souhaitait la récupération de ce port en vue de sa transformation, mais que le Département devait supporter tous les coûts liés à la résiliation de la DSP en cours, j’ai compris que ce serait à nous de payer les pots cassés. Par conséquent, j’estime qu’on ne doit pas aller au clash sur dossier.

En tout cas, je vous invite à retenir deux choses. Dans un premier temps, je travaille avec ma directrice générale des services pour prendre une assistance à maîtrise d’ouvrage qui nous indiquera la meilleure structure à mettre en place. De mes derniers échanges avec le ministre délégué aux Outre-mers, Jean-François Carenco, l’État est toujours disposé à en faire un grand port maritime d’État. En fin d’année dernière, j’ai discuté avec certains présidents de régions qui gèrent eux-mêmes des ports, lesquels me déconseille de lâcher le port de Longoni qui est à leurs yeux un atout économique important. Ils m’ont conseillé de trouver une structure intermédiaire dans laquelle l’État serait partenaire avec le Département, mais au sein de laquelle nous garderons la main. Autre scénario, la collectivité nommerait le directeur du port qui fonctionnerait en régie. Mes trois différents interlocuteurs m’ont assuré que leurs collectivités s’en sortent bien. C’est à l’issue de ces discussions que j’ai pris la décision de faire appel à une AMO pour obtenir tous les scénarios possibles. Par contre, si un marché doit être lancé sur la base du scénario qui sera retenu, il sera fait deux ans avant le terme de la DSP (soit 2025). Cela permettra au candidat retenu de disposer d’au moins une année de préparation. J’imagine bien que si c’est l’État qui est retenu, le délégataire actuel ne va pas lui faciliter la tâche.

F.I. : Vous faites le choix d’indexer régulièrement l’Insee sur les chiffres qu’il publie sur le nombre d’habitants à Mayotte (310.000 au 1er janvier 2023), un calcul réalisé avec le concours des communes. N’est-ce pas là un moyen de se dédouaner du besoin de politiques publiques ?

B.I.O. : Je ne critique pas l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) pour ce qu’il est. Je crois aussi au travail de la Chambre régionale des comptes (CRC) à Mayotte, ce sont deux institutions connues pour le travail qu’elles fournissent. Dire que nous sommes 310.000 habitants aujourd’hui sur ce territoire me paraît largement sous-estimé la réalité sur ce territoire. Et ce n’est pas moi qui le dis en premier, la Chambre régionale des comptes l’a suffisamment affirmé, les chiffres l’ont démontré maintes fois. Lorsque le quota de consommation de riz accordé à Mayotte est dépassé dès septembre, alors même qu’il est basé sur 400.000 habitants, il y a de quoi se poser de sérieuses questions. Les services des douanes nous expliquent qu’à partir de septembre, il n’est plus possible de bénéficier des exonérations accordées à ce produit parce qu’il a été entièrement consommé ! On voit donc bien qu’il y a un problème sur ce territoire car ces exonérations ne sont pas accordées sur la base des chiffres de l’Insee. C’est d’abord un manque à gagner pour les collectivités locales et puis, on ne peut pas construire une politique publique si on ne dispose pas des chiffres réels du recensement de la population. Vous dites que les maires sont associés, je ne dirai pas tant que ça. Moi, ce que je voudrais, c’est qu’une partie de ce travail soit, au moins pour une fois, complètement délégué aux communes, sous surveillance de l’Insee bien évidemment, afin qu’elles puissent réaliser un vrai recensement. Vous ne pouvez pas faire un tel travail en semaine quand la plupart des gens sont au travail. Je prends mon cas personnel et j’affirme que personne n’est passé à mon domicile pour le recensement de 2017 (N.D.L.R. depuis l’Insee est en train de mettre en place un nouveau recensement plus régulier par échantillonnage). J’ai rempli moi-même la fiche pour aller la déposer à la mairie. Croyez-vous vous que les populations qui sont installées dans les hauteurs et les zones isolées feront la même démarche que moi ? Évidemment, ils ne le feront pas ! C’est pour ça que je plaide en faveur d’une implication de chaque maire, appuyé de sa police municipale. Ils ont conscience d’une chose, ils ne peuvent pas développer leurs communes s’ils ne connaissent pas leurs populations. Je sais que ce sera compliqué, mais je demande l’organisation d’un recensement général de la population impliquant pleinement les maires de Mayotte. Le travail sera fait en fin de journée et durant les week-ends et une explication pédagogique sera donnée aux populations locales car il en va de son intérêt aussi. Que le chiffre qui sortira de ce recensement soit connu de tous et non pas laissé à l’Insee pour qu’elle face sa petite sauce à côté. Je suis désolé d’avoir à le dire sous cette forme. Aujourd’hui, nos dotations sont calculées sur la base de 261.000 habitants alors que nous avons en réalité largement dépassé les 400.000 individus.

F.I. : À l’instar de tous les Mahorais, vous savez que l’opération « Wuambushu » va être menée dans quelques jours sur ce territoire. Que pensez-vous de celle-ci ?

B.I.O. : Je vais être très clair sur ce point, je suis totalement solidaire de mes collègues élus maires. Ce sont eux qui vivent au plus près de la population et qui connaissent les craintes et les difficultés qu’ils traversent à travers l’insécurité qui frappe ce territoire. Ces maires sont en accord avec le ministre de l’Intérieur au sujet de cette opération. Par conséquent, je ne peux que le cautionner. Encore une fois, se pose une question essentielle, comment développer sereinement un territoire avec tous les problèmes que nous connaissons ici ? Et j’ai compris que pour nos collègues maires, cette opération constitue un bon début de réponse.

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