Six mois après l’alerte du comité français de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) relative à la destruction du patrimoine naturel de Mayotte, deux autres institutions tiennent à lancer un nouveau cri d’alarme. Il s’agit du Conseil Scientifique du Patrimoine Naturel de Mayotte (CSPN) et du Conseil National de Protection de la Nature (CNPN).
« Des dégradations irréversibles de la biodiversité sont en cours sur le territoire de Mayotte« , alertent conjointement le CSPN de Mayotte et le CNPN qui ont écrit une motion à ce sujet le 16 décembre dernier afin de prévenir et mobiliser les acteurs locaux et nationaux pour tenter d’éviter, ou tout au moins de limiter, une catastrophe écologique majeure. Au niveau local, cette motion s’adresse à la préfecture, le département, les communes ainsi que les associations naturalistes et citoyennes. Au niveau national, elle s’adresse aux ministères et leurs établissements publics concernés. « Il faut établir d’urgence un état des lieux des dégradations et menaces afin de définir au plus vite un plan d’action avec les moyens afférents pour arrêter le saccage de ce patrimoine naturel exceptionnel que la France a en responsabilité au niveau mondial« , estiment les deux conseils qui affirment être disponibles pour y apporter leur contribution.
Un patrimoine naturel exceptionnel
D’après les deux conseils, le patrimoine naturel de Mayotte a été relativement mieux préservé que celui des autres îles de l’archipel des Comores lesquelles ont connu une déforestation dramatique au cours des dernières décennies. Bien que les milieux terrestres naturels ne représentent plus que 5% de l’île, on y trouve encore une biodiversité exceptionnelle. En effet, le dernier bilan de la flore vasculaire de ce territoire, établi par le conservatoire botanique national de Mascarin en 2020, fait état d’une richesse de 719 espèces indigènes, dont 59 strictement endémiques de Mayotte, avec un taux d’espèces menacées atteignant 45 % de cette flore indigène. Par ailleurs, les forêts des monts et crêtes de Mayotte, derniers vestiges d’écosystèmes forestiers spécifiques à l’archipel des Comores, présentent un intérêt unique et constituent actuellement l’assiette d’un projet de création d’une Réserve Naturelle Nationale des Forêts de Mayotte, sur une superficie de 2 800 ha, qui est une des actions phares du plan national biodiversité.
Une déforestation rapide du territoire
Malgré de multiples projets de préservation, les spécialistes ont constaté que des dégradations irréversibles du patrimoine naturel de l’île sont actuellement en cours y compris sur le territoire du projet de la réserve naturelle nationale. Le comité français de l’UICN a ainsi fait état, d’après une étude réalisée par l’IGN, d’un défrichement forestier de 1500 ha au cours des 6 années de la période 2011 à 2016. Des observations récentes faites par les naturalistes de l’île attestent d’une poursuite et d’une accélération des défrichements au cours de ces dernières années. Cette dégradation forestière, déterminée par une extension « sauvage » de l’agriculture notamment liée à l’immigration difficilement maitrisable à partir des autres îles des Comores où règne ce type d’agriculture avec les mêmes effets, s’inscrit dans un climat d’insécurité croissante qui limite, voire empêche, l’effort de surveillance et de contrôle des forêts publiques et privées.
Un dérèglement du cycle de l’eau
Ces déboisements, aggravant les menaces pesant sur les plantes endémiques et les habitats forestiers les plus rares de l’île, ont des conséquences catastrophiques, non seulement sur la biodiversité forestière, mais aussi sur le cycle de l’eau, entraînant une réduction des précipitations et de la ressource en eau, ainsi que sur l’érosion des sols qui est accrue, provoquant une augmentation de la sédimentation et de la turbidité des eaux dans le lagon, conduisant à une dégradation de la qualité de ce site unique.
Sur le littoral qui concentre, hors domaine forestier, la plupart des autres milieux naturels subsistants, l’extension agricole non contrôlée a également pour conséquence une réduction drastique de ces milieux (disparition des dernières prairies humides exploitées par le Crabier blanc, oiseau faisant l’objet d’un Plan national d’actions, mise en culture de la lagune d’Ambato bénéficiant d’un Arrêté préfectoral de protection des biotopes, etc.).
Le dugong et la tortue marine : deux espèces gravement menacées
Le dugong et la tortue marine font actuellement l’objet d’un Plan National d’Action (PNA) à Mayotte. Le Dugong, avec moins de 10 individus présents, pourrait bien disparaître dans la décennie à venir si des actions fortes et urgentes ne sont pas conduites dans le cadre du deuxième PNA pour cette espèce, notamment par rapport au risque des captures accidentelles par les engins de pêche. Des moyens accrus, ainsi qu’une coordination des acteurs sont des urgences absolues pour cela.
La lutte contre le braconnage des tortues marines qui sévit depuis des années doit également être renforcée par la mise à disposition de moyens humains et financiers. Il y a lieu de saluer la récente initiative du Préfet de Mayotte consistant à coordonner les différents acteurs pour la réalisation d’un plan de lutte anti-braconnage. Toutefois à la fin du premier PNA pour les tortues marines qui n’a malheureusement pas eu d’impact significatif sur la réduction du braconnage, un effort tout particulier sera nécessaire au-delà des actions en cours. Le dispositif juridique de protection de ces espèces en particulier pour Mayotte devra être revu.
« Ces profondes dégradations impactent directement la vie des Mahorais et contribuent chaque jour à réduire la qualité des services rendus par la nature. Ces fragiles équilibres ne tiennent plus qu’à un fil« , concluent les deux conseils.
Extrait de la motion d’alerte du 16 décembre 2020 écrite par Houlam Chamssidine (président du CSPN de Mayotte) et Serge Muller (président du CNPN).