Pluviométrie, état de la ressource en eau, travaux engagés, distribution de bouteilles, un point sur la crise que connaît actuellement Mayotte a été fait, ce lundi matin, lors d’un comité de suivi de la ressource en eau (CSRE) qui s’est tenu en mode élargi. Si le pire est derrière nous, le préfet de Mayotte, Thierry Suquet, a invité ses interlocuteurs à « ne pas baisser la garde ».
Des retenues dont le niveau ne cesse de monter
C’est la bonne nouvelle de la semaine, alors que le climat social est encore à l’orage (voir par ailleurs), les précipitations permettent aux deux retenues collinaires, à Dzoumogné et Combani, de se remplir. Floriane Ben Hassen, cheffe de l’antenne mahoraise de Météo-France, relève que les mois de décembre et janvier ont été plus pluvieux que la normale. Le dernier mois de l’année 2023 a ainsi essuyé 153 % de pluies par rapport à la normale, et en ce mois de janvier qui n’est pas encore fini, on est déjà 148 % par rapport à un premier mois classique. Grâce à cette pluviométrie, la retenue collinaire de Dzoumogné a retrouvé 100 % de ses capacités en quelques semaines. Celle de Combani est passée de 30 %, il y a dix jours, à 50 % aujourd’hui. Et les prévisions incitent plutôt à l’optimisme, Mayotte se trouve dans une zone intermédiaire entre des vagues de précipitations de l’océan Indien et un temps plus sec qui remonte le canal du Mozambique. Les trois prochains mois sont déjà annoncés comme apportant des précipitations « normales, voire légèrement supérieures ».
Concernant les rivières qui connaissent actuellement un débit important ou les nappes phréatiques, la tendance est aussi à l’amélioration. Concernant ces dernières, sur la quinzaine suivie par la Direction de l’environnement, de l’aménagement, du logement et de la mer (Dealm), seules deux (à Poroani et dans le nord de Mayotte) sont à un niveau très bas.
Les tours d’eau allégés « entre la mi-février et le 1er mars »
Ce retour à une vraie saison des pluies permet d’espérer un nouvel allègement des tours d’eau dans quelques semaines. Selon Christophe Lotigié, préfet en charge de l’eau, il pourrait intervenir « entre la mi-février et le 1er mars ». Il s’agira sans doute plus d’un assouplissement des tours d’eau que de leur suppression. Car les capacités de production d’eau potable de la SMAE (Société mahoraise des eaux) sont toujours insuffisantes au regard de la consommation quotidienne. Françoise Fournial, directrice de la filiale de Vinci, table sur une consommation « entre 44.000 et 46.000 m3 par jour », alors que la production atteindrait « 40.800m3 » au maximum.
Plus de 600 fuites détectées sur le réseau
Sous la pression de Philippe Vigier, ministre délégué à l’Outremer, divers types de travaux ont vu le jour. Il y a d’abord la recherche de fuites. Selon Ibrahim Aboubacar, directeur général des services du syndicat Les Eaux de Mayotte, la moitié des 800 kilomètres de réseau a été inspectée. 625 fuites ont été détectées par les trois équipes actuellement sur l’île. Une partie a été réparée par le délégataire. 225 sont considérées comme « après compteurs », donc leurs réparations doivent se faire via une procédure plus complexe avec les propriétaires.
Concernant les captages de rivières et les forages, ils continuent d’apporter son lot de mètres-cube en plus. La sixième campagne de forages qui est en cours devrait s’achever « en fin d’année », fait remarquer le directeur du syndicat des Eaux. Les chantiers de Miréréni et Coconi ont toutefois pris deux semaines de retard. La septième campagne, qui devait intervenir après la sixième, se fera « en parallèle » désormais, à partir de mars et jusqu’en juin 2025.
« Les travaux d’interconnexion sont finalisés ou vont l’être. On sait qu’il y avait un déséquilibre entre le nord et le sud », indique aussi le préfet Thierry Suquet, qui souhaite « ne pas baisser la garde » en cette fin de crise. Le chantier, comme celui en cours à M’tsangamouji, doit ainsi permettre à l’eau produite dans le nord de prendre la direction du sud où les moyens de production sont limités. L’unité de potabilisation d’Ourovéni, par exemple, ne peut pas dépasser les 10.000m3 à traiter par jour.
Sur la troisième retenue collinaire d’Ourovéni, le préfet confirme qu’il y a bien une demande de DUP (Déclaration d’utilité publique) en cours, celle-ci « va permettre d’engager des enquêtes publiques nécessaires à l’acquisition du foncier ».
Quid d’Ironi Bé ?
Parmi les travaux, c’est l’usine de dessalement d’Ironi Bé qui focalise le plus l’attention, alors que les appels d’offres sont déjà en cours. De par le nombre de mètres-cube qu’elle peut générer, 10.000m3 par jour dès 2025, mais aussi par la polémique autour des questions environnementales, ils ont été plusieurs à vouloir l’évoquer lors du comité. Les associations environnementales et la députée Estelle Youssouffa (voir par ailleurs) n’ont pas caché leur scepticisme. La parlementaire s’inquiète du rejet de saumure et demande si celui-ci se fera bien au-delà de lagon (selon nos informations, cela est plutôt prévu au cours de la phase 2 quand la capacité de production sera portée à 30.000m3/jour). Président de l’associations des Naturalistes, Michel Charpentier dit comprendre la volonté de produire davantage à Mayotte, mais rappelle que cela ne doit pas se faire au mépris de la biodiversité, notamment la mangrove d’Ironi Bé, le refuge du crabier blanc. Le préfet de Mayotte, défend sa décision d’entamer procédure d’urgence civile, estimant que cela ne voulait pas dire que les impacts environnementaux ne sont pas pris en compte. Il a d’ailleurs écrit aux associations environnementales pour tenter de les rassurer.
La crise sanitaire évitée
Le doublement des prélèvements (600) pendant cette crise de l’eau a permis de détecter une quinzaine de non-conformités sur l’île, toutes de nature bactériologique. Un autre prélèvement a, en revanche, démontré une pollution au plomb dans la commune de Dembéni, dont « l’origine était une robinetterie en laiton », rappelle Bastien Morvan, directeur de cabinet à l’Agence régionale de Santé de Mayotte. Selon lui, Il n’y a pas d’épidémie liée à une maladie hydrique. La fièvre typhoïde, « habituellement endémique à Mayotte », s’est limitée à quelques cas et des campagnes de vaccination ont été réalisées dans chaque village concerné, comme à Hamouro dernièrement. Seule la gastro-entérite a fait davantage de cas que d’habitude. Santé publique France avait d’ailleurs lié l’épidémie à une hygiène rendue plus compliquée en raison du manque d’eau.
Une distribution des bouteilles stoppée au 1er mars
Outre le paiement des factures qui va se poursuivre en février (la préfecture attend l’arbitrage gouvernemental), la distribution de bouteilles d’eau décidée par Élisabeth Borne, l’ex-Première ministre, est dans le même cas. Pour rappel, elle s’est d’abord effectuée auprès des personnes vulnérables à partir du 21 septembre 2023. Par la suite, elle s’est étendue aux établissements scolaires à partir du 31 octobre, avant d’englober l’ensemble de la population. Ce dispositif, alimenté par l’arrivée de conteneurs par voie maritime sur le territoire, a permis la distribution de 21 millions litres d’eau. Le stock restant est conséquent puisque l’équivalent de dix millions de litres attend au port de Longoni. Et d’autres cargaisons arrivent.
Malgré les difficultés liées aux intempéries et les barrages qui ont empêché les livraisons, la distribution se poursuit. Selon le préfet de l’eau, elle sera maintenue jusqu’au 23 février (dates des vacances) pour les établissements scolaires et jusqu’au 1er mars pour la population générale. Après cette date, la préfecture compte générer des stocks dans les administrations et les collectivités locales. Ils serviront en cas de non-conformité de l’eau par exemple. Leur date de péremption étant fixée à 2025, les lots n’ayant pas servi seront distribués avant la limite à la population, promet Christophe Lotigié.
Estelle Youssouffa demande le départ du préfet
Lors du comité de suivi de la ressource en eau, ce lundi matin, Estelle Youssouffa a fait part de ses réserves, tout comme les associations environnementales, quant aux conséquences du projet d’usine de dessalement à Ironi Bé. La députée de la première circonscription de Mayotte a assuré que le ministre délégué à l’Outremer, Philippe Vigier, avait annoncé aux parlementaires que le projet « avait été abandonné ».
Intervenant en visio, elle s’en est également prise au préfet Thierry Suquet à propos de la levée des barrages intervenue ce week-end. Elle se dit « consternée par l’emploi de la force contre les barrages », l’accusant de s’en prendre à des personnes âgées et des manifestants pacifiques, ainsi que de briser la confiance des Mahorais envers les forces de l’ordre, quelques mois après les manifestations de soutien pendant l’opération Wuambushu. Elle a poursuivi en indiquant avoir demandé son départ. « Il est temps que vous partiez », lui a-t-elle adressé à la fin de son intervention. « On vous a entendue », a réagi le préfet, qui menait les débats.