Crise de l’eau : « Ce n’est pas à l’État de payer les factures d’eau des Mahorais »

La pénurie d’eau n’est pas une fatalité pour le collectif « Mayotte a soif », qui a entrepris des actions contre l’État et la Société mahoraise des eaux (SMAE), le délégataire en charge du réseau d’eau potable. Alors qu’une demande en référé-liberté n’a pas eu l’effet escompté, ce week-end, une mise en demeure a été notifiée à la filiale de Vinci.

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Le collectif « Mayotte a soif » a commencé à sa faire connaître par des manifestations, comme ici devant la Société mahoraise des eaux (SMAE), à Kawéni.

Depuis plus d’un an, Mayotte est soumise aux coupures d’eau hebdomadaires. Celles-ci se sont faites de plus en plus longues à mesure que la crise s’est aggravée. Elles sont désormais de 54 heures et pourraient s’allonger davantage en raison d’une production insuffisante sans les prélèvements dans les retenues collinaires (voir par ailleurs). La cause, la sécheresse exceptionnelle de cette année couplée à un manque d’infrastructures, ne laisse pas indifférent une poignée de personnes réunies au sein de l’association « Mayotte a soif ». Celle-ci veut mettre l’État, le syndicat Les Eaux de Mayotte (ex-Smeam) et la Société mahoraise des eaux (SMAE) face à leurs responsabilités grâce à l’aide de plusieurs cabinets d’avocats. Il y a d’abord la mise en demeure notifiée, ce mercredi, à la SMAE, filiale de Vinci. « On lui a rappelé toutes les irrégularités qui sont flagrantes. Il y a toute une réglementation européenne et française qui n’est pas respectée. La loi française, par exemple, prévoit un accès quotidien pour boire, mais aussi les besoins en cuisine, pour l’hygiène. Cet accès doit être dans son domicile ou à proximité immédiate. C’est ce que dit le texte. Et deuxièmement, l’eau délivrée doit être potable », rappelle maître Éric Dugoujon. L’avocat réunionnais, qui défend presque 240 personnes, demande deux choses, d’assurer la distribution de bouteilles d’eau directement auprès des requérants et le non-paiement de factures en raison d’un service non rendu.

Interrogé sur le fait qu’aucune facture n’est à payer pour la période de septembre à décembre, étant pris en charge par l’État, il répond que « ce n’est pas à l’État de payer les factures d’eau des Mahorais, c’est au concessionnaire. Là, c’est l’argent du contribuable. C’est vous, c’est moi ». En cas d’absence de réponse de la SMAE, il n’écarte pas l’idée de faire appel à la justice pour défendre ses clients.

Un référé-liberté contre l’État

La deuxième action est intervenue au tribunal administratif de Mamoudzou, vendredi après-midi. Les associations « Mayotte a soif », « Notre affaire à tous » et des particuliers ont saisi le juge sur une demande de référé-liberté contre l’État. Mais le déroulé de l’audience de ce vendredi ne semblait pas favorable au collectif, le magistrat exprimant à plusieurs reprises ses doutes sur son pouvoir à agir. « Vous me demandez d’être préfet de Mayotte et de résoudre la crise de l’eau », a réagi vivement Christian Bauzerand, précisant que seules les associations avaient intérêt à agir et pas les particuliers. Les avocats des plaignants, un cabinet de Montpellier représenté à l’audience par maître Dugoujon, ont tenté en vain de démontrer que l’État n’avait pas fait ce qu’il fallait lors de cette crise de l’eau. Ils demandaient, par exemple, « d’enjoindre au ministre de l’intérieur, au ministre de la santé, au ministre délégué aux outre-mer, au directeur régional de l’agence régionale de santé (ARS) de Mayotte, au directeur du syndicat mixte de l’eau et de l’assainissement de Mayotte (Smeam) et au préfet de Mayotte d’établir dans les 48 heures un plan complet d’urgence sanitaire et d’accès à l’eau à Mayotte comportant toutes mesures utiles pour faire cesser au plus vite et durablement la crise d’accès à l’eau, humanitaire, sanitaire, scolaire et environnementale ». Sauf que pour le juge, qui a reconnu à plusieurs reprises la gravité de la crise à Mayotte, il est difficile de savoir quelles sont « ces mesures utiles ». Pareil pour les nombreuses demandes de publication de documents, il a rappelé que ce n’est pas de son ressort.

Parmi les mesures notamment, les avocats demandaient aussi le déclenchement du plan Orsec (Organisation de la réponse de curité civile) eau potable. Cette sorte de guide de la crise de l’eau est une obligation pour les préfectures depuis 2020. Il permet selon les types de scénarios de savoir quelles actions l’État doit engager. Il y a quelques semaines, la préfecture de Mayotte nous avait indiqué « en avoir un », sans fournir de détails. L’avocat des services de l’État a admis devant le juge « qu’il est de 2014 et qu’il est périmé ». Pour son client, le défenseur a fait valoir « que ce n’est pas planifié qui est demandé à la préfecture de Mayotte, mais d’agir ». Le juge a suivi en se demandant justement si les mesures prises dernièrement ne relevaient d’un plan Orsec. « Si les requérants allèguent, ils ne démontrent pas que les mesures de mise en œuvre du plan Orsec (Organisation des secours) qu’ils réclament, à supposer qu’elles puissent s’appliquer conformément aux dispositions précitées de l’article L.742-2 du code de la sécurité intérieure, seraient différentes et éventuellement plus adaptées que celles mises en œuvre actuellement par le préfet de Mayotte, au regard, notamment des éléments apportés à l’audience par l’agence régionale de santé », confirme-t-il dans son jugement. Outre le rejet de la requête, les associations et les particuliers devront s’acquitter d’une partie des frais d’avocat de la préfecture (1.500 euros).

Mais le combat judiciaire ne devrait pas s’arrêter là. La présidente « Mayotte a soif », Racha Mousdikoudine a également porté plainte à titre individuel. Pour maître Dugoujon, il faut d’ailleurs que ça aille plus loin. « Il faut susciter une prise de conscience », répète-il, regrettant par exemple que les élus mahorais ne se fassent pas davantage entendre. Il n’épargne non plus le syndicat Les eaux de Mayotte justement, qui devrait selon lui répondre aux Mahorais aux côtés de son délégataire, la SMAE.

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