Il y a beaucoup d’interrogations sur la façon dont les établissements scolaires vont pouvoir fonctionner. Dans un entretien accordé à Flash Infos et France Info, le recteur de Mayotte, Jacques Mikulovic, évoque les difficultés rencontrées, notamment la pénurie d’eau qui touche le territorial. Il assure que les écoles, collèges ou lycées demeureront ouverts, grâce aux aménagements réalisés ou en cours.
Flash Infos : Le passage aux coupures de 48 heures a semblé être un coup de massue à la fois pour les communes et le rectorat.
Jacques Mikulovic : On a vécu une première période vraiment délicate, il faut le reconnaître. On avait un rythme de 48 heures sur une partie du territoire. Là (N.D.L.R. avec le passage des 48 heures en Petite-Terre), ça va être plus lisible. Ça va être plus long (N.D.L.R. les coupures pourront atteindre 54 heures), mais on est mieux préparé. Deuxièmement, quand on a préparé les cuves, on était sur un dimensionnement de 24 heures. La situation en avril ne permettait pas de prévoir une crise aussi difficile. On a mieux compris la notion de chemin de l’eau. On a fait un diagnostic des écoles qui étaient sur le chemin de l’eau et celles qui ne l’étaient pas. Les collèges de M’gombani et Passamaïnty ont été raccordés. Ça nous a coûté beaucoup d’argent, 240.000 euros pour l’un, 180.000 euros pour l’autre. C’est une dépense nouvelle, on espère avoir une rallonge du ministère. A cela, s’ajoute le vandalisme sur la clôture du lycée de Sada dont la réparation est estimée à 200.000 euros.
F.I. : On a l’impression de voir un « quoi qu’il en coûte » pour continuer à ouvrir.
J.M. : Il y a le droit pour notre personnel et la réalité. La réalité est que les enfants et les familles souhaitent que l’école reste ouverte. Il y a beaucoup d’attente. On sait très bien que la continuité pédagogique à distance, dématérialisée, est très difficile. Ça fonctionne plutôt bien vers les classes de lycée, qui savent utiliser les outils numériques, ou quand les professeurs ont une grande proximité avec leurs élèves. Là où nous avons été rassurés, dans le secondaire, c’est que le chemin de l’eau permettra d’assurer l’accueil des enfants. Et si jamais il y avait une non-conformité, alors de l’eau potable serait distribuée. On a été doté de moyens supplémentaires à la fois pour acheter de l’eau et faire tampon sur l’eau qu’on nous apporterait. On a investi dans du gel hydroalcoolique et pour essayer de garantir la sécurité sanitaire.
F.I. : Justement, les établissements auront du gel hydroalcoolique après les vacances ? On sait que tout peut mettre un peu de temps à arriver à Mayotte.
J.M. : Heu, ce n’est pas une demande forte parce que du savon fait très bien l’affaire aussi. Alors c’est vrai qu’il y a l’épidémie de gastro-entérite. Les infirmières nous ont fait une demande des moyens supplémentaires, ce à quoi on a accédé. Elles notent une fréquentation supplémentaire. On peut interpréter ça de deux manières différentes. Il y a la queue à l’infirmerie, donc les enfants sont plus malades. Mais quand on interroge les médecins ou les infirmières, il explique ça par les blocages à l’hôpital, qui nous obligent à gérer des pathologies qui devraient être gérées ailleurs.
F.I. : Le rectorat a déjà passé les commandes ?
J.M. : On n’en fait pas au rectorat, on transmet l’argent aux établissements scolaires. Parce qu’on a voulu grouper les commandes et les établissements sont très sensibles à leur autonomie. Certains voudront du gel, d’autres autre chose. Sur la potabilisation, on avait imaginé l’achat de percolateurs pour faire bouillir de l’eau. D’autres ont dit avoir trouvé des filtres ou plutôt mettre des fontaines. Chacun fait son protocole et on les accompagnera. C’est important de les rassurer sur ça, comme ça l’est sur la potabilité de l’eau. Il y a beaucoup de rumeurs et de croyances. Que ce soit sur le chemin de l’eau ou en sachet, l’eau est potable. Le délai recommandé après une remise en eau est une sécurité.
F.I. : La distribution de l’eau en sachet de M’gombani, le 2 octobre, ne s’est pas très bien passée. Comment voulez-vous faire pour les prochaines ?
J.M. : C’était une expérimentation de la sécurité civile pour stocker l’eau produite. Il y avait deux contraintes à l’usage. Un, une représentation véhiculée que l’eau n’est pas potable. Deuxièmement, l’ouverture est difficile et un « one shot ». Dès le lendemain, j’ai proposé qu’on investisse dans des jerricans pour rehausser le niveau des gourdes. C’était le cas, ce mercredi matin, dans l’école de Longoni. Ce qui n’a pas marché, c’est la cuve des sanitaires qui ne s’est pas remplie pendant la nuit (N.D.L.R. l’école a dû fermer une fois la distribution terminée). Tout le monde a besoin de se régler.
F.I. : Combien d’écoles sont encore dépourvues de cuves ?
J.M. : Il y avait au départ 83 écoles qui n’étaient pas sur le chemin de l’eau. Il en reste une dizaine. Les communes font de gros efforts pour sécuriser ces cuves. La Dealm (N.D.L.R. direction de l’environnement, de l’aménagement, du logement et de la mer de Mayotte) a renforcé la dotation de cuves pour augmenter la durée d’autonomie. J’étais ce matin à Majicavo-Lamir, par exemple, ils m’ont dit que les cuves peuvent leur permettre de tenir deux jours et demi. Toutes les vacances seront consacrées à finaliser ça. Il restera une problématique, le vandalisme.
Pour l’eau potable, les élèves sont invités à venir avec leurs gourdes pleines. On organisera un réassort soit par des bouteilles, sinon, ce sera avec les jerricans.
F.I. : Vous aurez des bouteilles dès le retour des vacances ?
J.M. : La Première ministre a arbitré le principe d’un élargissement du public, à partir de mi-novembre. Ça pourrait venir plus vite. L’idée, c’est qu’on soit prêts dès le 1er novembre pour les écoles qui ne sont pas sur le chemin de l’eau, afin qu’on puisse arrêter avec cette rupture scolaire. Tout le monde veut travailler normalement.
F.I. : Il y avait aussi des inquiétudes sur la mise en place de jauges à la rentrée.
J.M. : C’est une hypothèse qu’on a travaillé avec les chefs d’établissement, les représentants des personnels et les syndicats. On se préparait au pire, on a même évoqué un décalage des vacances. On s’est demandé quelle image, ça donnerait. Les professeurs s’en vont et laissent le territoire dans la mouise. A la rentrée, on est parti pour tout faire pour avoir un fonctionnement normal. On a un plan de secours si les conditions se dégradaient. Pour les collégiens, on aurait prévu un accueil tous les matins de tous les élèves pendant une semaine, puis toutes les après-midis, la semaine d’après. Au lycée, c’était le lundi, le mercredi et le vendredi pour un groupe, et le mardi, le jeudi et le samedi pour l’autre groupe.
F.I. : Il y avait cette peur avant la rentrée que des professeurs ne viennent pas. Maintenant, il y a celle que ceux qui sont là partent. Par rapport à ça, la phrase « ils ne sont pas dignes d’appartenir au service public » a été d’ailleurs mal vécu.
J.M. : J’ai cru comprendre. Personne n’a écouté la suite de la phrase. J’ai continué en disant que « plus de 95% des enseignants sont pour rester là ». On a enregistré seize départs sur 1.300 enseignants. L’eau était un élément parmi d’autres. Il y a aussi la paie et l’insécurité. On avait fait une bonne rentrée avec le plus de postes pourvus. On était arrivés à 60 postes sur le second degré et moins sur le premier degré. Les brigades de remplacement permettaient de compenser ces absences. Après, les arrêts-maladie, maternité, dans certains endroits, il manque des enseignants. On s’est rendu compte que sur des matières comme physique-chimie ou lettres, on a pas mal de candidats d’origine étrangères d’un bon niveau avec un statut d’étudiants. On ne pouvait que leur proposer des contrats de 11 heures. Les académies de Versailles et Créteil ont commencé à leur proposer des temps-complet, on a décidé de faire pareil depuis la semaine dernière.
F.I. : Donc vous n’avez pas peur d’une hémorragie après les vacances ?
J.M. : On y pense, mais je n’ai pas plus peur que ça. Je pense que les gens sont très consciencieux. Si j’ai pu avoir des propos qui ont pu heurter, alors je m’en excuse. Je vois ceux qui sont un peu désabusés. Ils ont l’impression qu’ils sont sur un territoire où les difficultés s’accumulent. Ils ont besoin de souffler. Je pense qu’après les vacances, ils reviendront revigorés parce qu’ils savent que les gamins ont besoin d’eux.