“Confinement ou pas, la déforestation bat son plein à Mayotte”

De nouveaux chiffres viennent rappeler l’ampleur des défrichements à Mayotte, et la nécessité de déployer davantage de moyens pour protéger l’environnement du 101ème département. Or, les deux derniers mois de confinement n’ont sûrement pas arrangé les choses, s’inquiètent les associations. 

Le constat est alarmant : avec 6,7 % de défrichement du couvert boisé entre 2011 et 2016, Mayotte est le département français qui subit le plus fort taux de déforestation. Un niveau qui se rapproche même de ceux constatés en Argentine ou en Indonésie ! Pour parvenir à ce chiffre, le comité français du l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a eu recours aux données disponibles sur le site de l’Observatoire de Mayotte et mises à disposition par la direction de l’agriculture de l’alimentation et de la forêt (DAAF) et la direction de l’environnement de l’aménagement et du logement (DEAL). Grâce à la photographie aérienne, l’Observatoire montre l’évolution du statut des sols. “Et là, quand on regarde l’évolution des parcelles boisées, le changement est considérable”, décrit Grégoire Savourey, chargé de mission biodiversité, océan indien au comité français de l’UICN à Mayotte, qui a réalisé les calculs. Parmi les zones les plus touchées, les parcelles privées représentent 95 % de la surface déforestée, soit 1.422 hectares. Une situation qui rappelle la difficulté de sensibiliser, de responsabiliser voire même de verbaliser les propriétaires. “Nous avons souvent du mal à remonter aux donneurs d’ordre ou bien à savoir si l’exploitation de la parcelle s’est faite à leur insu ou non”, explique Cannelle Phillipps du service des ressources forestières du Département. 

Surtout, ces chiffres de 2016 inquiètent les associations et les organismes défenseurs de la forêt et de la biodiversité, alors que Mayotte vient de passer plus de deux mois en confinement. Si les données chiffrées ne sont pas encore disponibles pour l’année 2020, le bilan risque d’être lourd. “Là, il s’agit plutôt de constats de terrain, formulés par l’ONF, les associations ou le Département : c’est comme pour le braconnage des tortues, pendant le confinement, l’absence de passages ou d’agents verbalisateurs a pu favoriser certaines pratiques”, poursuit Grégoire Savourey. Et plus particulièrement les brûlis à des fins agricoles illégales, une pratique répandue et difficile à appréhender à Mayotte. “Entre 2017 et 2020, nos constats de terrain ne font que confirmer ces chiffres de 2016”, souligne Cannelle Phillipps. “À ce rythme-là, dans cinquante ans, il n’y aura plus de forêt à Mayotte”, ajoute Grégoire Savourey. 

Plus de moyens pour Mayotte 

Face à l’urgence de la situation, l’UICN s’est donc fendue d’un courrier, adressé au gouvernement, aux services de l’État à Mayotte et aux collectivités locales. Objectif : obtenir davantage de moyens pour mieux contrôler les dérives et pour soutenir les initiatives. L’UICN demande notamment une clarification de code forestier à Mayotte ; un ratio d’agents plus élevé par hectare ; la mise en place de fourrière pour les animaux d’élevage ; une meilleure protection des surfaces forestières dans les documents de planification et d’urbanisme ; une diminution de la surface minimale de 25 hectares à 4 hectares pour l’obligation de réaliser un document de gestion durable, compte tenu du morcellement des bois et des forêts ; une adaptation des modalités de développement de l’agroforesterie ; une généralisation des opérations de reforestation. 

“Que ce soit pour des actions de sensibilisation, ou pour encourager les bonnes volontés dans le sens de l’agroforesterie, il faudra des moyens techniques, financiers et humains”, insiste Grégoire Savourey qui estime par exemple les besoins du territoire à un agent tous les 100 hectares 

pour les forêts publiques et dix fois plus d’agents pour les forêts privées. En tout, Mayotte compte un peu plus d’une vingtaine de personnes dédiées à la protection des forêts – une quinzaine pour le Département, environ cinq pour l’ONF, et peu ou prou le même nombre pour la DAAF, chargée plus particulièrement de la surveillance des parcelles privées. Car même sur sa propre parcelle, il faut une dérogation particulière pour déraciner un arbre. “Mais des ambiguïtés dans le code forestier conduisent à un certain laxisme”, déplore le responsable de l’UICN. 

Les limites du reboisement 

Bien sûr, le tableau n’est pas tout noir. D’après lui, la faible proportion des forêts publiques touchées par le phénomène de déforestation dans les données de 2011-2016 prouve l’utilité des agents répartis sur le territoire. L’action des associations locales directement sur le terrain constitue aussi un levier d’action important, notamment auprès des propriétaires privées – à condition d’être dotées de moyens. L’une d’elles, les Jardins de Mtsangamouji, travaille justement sur un projet de reboisement sur le bassin versant de la rivière. En allant au contact directement des propriétaires, les quelque trente bénévoles de l’association espèrent bien les convaincre de planter certaines plantes aux abords du cours d’eau. Mais le projet n’a pas encore pu voir le jour. “Nous avons besoin de partenaires pour nous fournir les plantes, car souvent les propriétaires n’acceptent pas n’importe lesquelles, ils veulent des arbres fruitiers”, développe Moussa Nassim, le président de l’association, qui constate par ailleurs une recrudescence des brûlis depuis la fin du confinement. 

Malheureusement, ces opérations de reboisement n’en sont qu’à leurs balbutiements. “À ma connaissance, il y a eu en 2019 peut-être 100 hectares de reforestation, contre 400 hectares partis en fumée dans l’année”, chiffre Michel Charpentier, le président des Naturalistes de Mayotte qui dénonce l’absence de politique de biodiversité sur l’île. Pour lui, il y a donc urgence à créer la réserve naturelle des forêts de Mayotte : “Ce projet, en chantier depuis trois ans, permettrait de donner des moyens en personnels et en financements pour faire une véritable politique de préservation.” La mise en place d’une surveillance accrue via une police de l’environnement est aussi essentielle afin de poursuivre et de sanctionner les dérives. Or, “pour l’instant, les moyens n’y sont pas”, déplore-t-il. Sans parler du confinement, qui a encore un peu plus allégé la surveillance en matière de biodiversité et de protection de l’environnement, comme en attestent les nombreux constats de braconnages établis par l’association ces dernières semaines. Mais “confinement ou pas, la déforestation bat son plein à Mayotte”, soupire Michel Charpentier.

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