Des citoyens veillent sur les tortues

Pour lutter contre le braconnage de tortues, des citoyens ont décidé de se mobiliser, sans étiquette associative pour l’instant, pour veiller sur les plages. Une fois par semaine, ils souhaitent se retrouver pour bivouaquer et dissuader les braconniers d’amarrer par leur présence.

« Vous sentez cette odeur de charnier ? » David Lugnier arpente la partie rocailleuse de la plage de M’tsanga Fanou, à la recherche des carapaces de tortues que les braconniers auraient pu laisser derrière eux. Guidé par l’odeur reconnaissable entre mille, il ne tombe que sur de vieux ossements. Avec trois autres citoyens mués par la volonté de veiller sur cette espèce protégée, il a décidé d’organiser un bivouac pour dissuader les braconniers d’amarrer leur kwassa pendant la nuit. « S’ils voient de la lumière sur la plage, cela peut suffire à les empêcher de venir », explique-t-il, donnant comme exemple une première nuit de ce type à proximité de Sohoa, durant laquelle les lampes frontales ont permis aux tortues de venir en paix.

« Ils attendent que les tortues viennent pondre sur la plage pour s’en prendre à elles. C’est le moment de leur vie où elles sont le plus vulnérables, absolument sans défense », s’offusque Hugo Amielh, adossé à un des rochers de la plage située dans la commune d’Acoua. Avant que les étoiles n’apparaissent, il dénombre les vieilles carapaces qu’ils ont retrouvées dans l’après-midi. Elles étaient deux cachées dans le bosquet longeant le sable, accompagnées de trois crânes et d’os, sûrement là depuis un moment déjà.

Abdillah Saïd Djanffar, « Djanffar », salarié des Naturalistes habitué à veiller sur les tortues à Saziley, est là cette fois sans association, avec son ami Ani. « J’aime les tortues, je ne veux pas qu’il leur arrive du mal. On veut faire ça chaque semaine, et changer de plage », explique celui qui voudrait à terme pouvoir impliquer des jeunes du Nord à ces bivouacs citoyens, et y faire participer sa propre association environnementale, Mtsanga Environnement. Cette initiative citoyenne, qui s’exerce pour la troisième fois ce jour-là, a en effet pour but de développer la surveillance anti-braconnage dans cette partie de l’île, et faire participer Mahorais et mzungu ensemble, selon David.

Après un repas convivial, chacun se couche dans son hamac, bercé par le bruit des vagues mais à l’affût du moindre son de moteur qui viendrait fendre celui du vent. Toutes les deux heures, le réveil d’Hugo vibre pour lancer une ronde à la recherche de tortues venues pondre. Frontale rouge et tenue sombre exigée pour ne pas déranger l’animal. Cette nuit-là, ni tortue, ni braconnier. « On cherche encore notre stratégie, on essaye différentes plages pour voir celles qui sont le plus ciblées », explique David.

Une scène de crime au petit matin

Au lieu de rentrer directement une fois le sable fin caressé par les rayons du soleil, la petite équipe décide de faire une escale par la plage de Mtsoumbatsou, où elle avait fait fuir des braconniers lors d’une précédente mission. Cette fois, l’odeur caractéristique se fait sentir de manière décuplée. Plusieurs carapaces plus ou moins fraîches jonchent le sol de la forêt aux abords de la plage. Plus loin, on repère les vestiges d’un feu, parmi lesquels la blancheur d’un os de tortue rompt la noirceur de la cendre. En contrebas, sur le sable, la tête de l’animal est encore là. « Tout ça n’y était pas la dernière fois », constate Djanffar, la mine dépitée.

En continuant de longer la côte, dans les rochers, l’équipe retrouve la carapace, couverte de mouches, et dont le fumet soulève le cœur à chaque bourrasque de vent. Cette marche funèbre continue jusqu’à la plage de Petite Seychelle. David, Djanffar, Ani et Hugo découvrent une véritable scène de crime, dont les traces laissent penser qu’elle s’est déroulée pendant la nuit. Dans le sable, on peut voir les empreintes caractéristiques d’une tortue qui a remonté la plage depuis la mer avant de creuser pour pondre ses œufs. Mais depuis son trou, un tracé linéaire en direction des rochers évoque un braconnier la traînant, carapace contre sol. En suivant ce couloir de la mort, on retrouve cette dernière, remplie de sang, entourée de dizaines d’œufs brisés. « C’est horrible », lâche David, qui ne trouve pas d’autres mots pour décrire cette vision macabre. Pour lui, pas de doute : la propreté des découpes constatées montre qu’il ne s’agit pas de personnes affamées venues se nourrir, mais bien de « professionnels » alimentant un trafic de chair.

Hugo s’occupe de prendre les photos et de noter les informations sur chaque dépouille retrouvée pour pouvoir les signaler au Remmat (Réseau échouage mahorais des mammifères marins et des tortues marines). David et Djanffar pensent déjà, eux, à venir camper sur cette plage la prochaine fois.

Le braconnage est puni par la loi

Les tortues marines sont protégées par la loi : les braconniers s’exposent à deux ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende. La consommation de chair de tortue est également dangereuse pour la santé, et peut même s’avérer mortelle, en raison d’une bactérie qui peut être présente dans leur chair.

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