Cinq jours de sorties en mer autour de l’archipel de Mayotte ont suffi à constater le processus de blanchissement des coraux. Ce lundi 18 mars, le Parc naturel marin de Main, après une dernière sortie, a donné le feu vert pour un suivi externe plus approfondi quant au pic estimé fin mars, début avril. Nous les avons accompagnés sur cette fin de mission.
« Nous allons d’abord à la baie de Kani », annonce le capitaine à bord, Léo Piso, avec devant lui, son tableau de bord affichant le tracé à suivre pour longer les zones rocheuses et les récifs coraliens, matérialisés en vert sur l’écran. Son équipage, composé de trois autres membres du Parc naturel marin de Mayotte, fait ce lundi 18 mars sa cinquième et dernière sortie en mer pour constater l’état de santé des coraux. Une opération programmée par l’organisme après l’alerte de niveau 2 (maximal) lancée début février par l’agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (Noaa) qui prévoit, à Mayotte, un pic de blanchissement des coraux sur entre fin mars et début avril. En cause notamment, le réchauffement climatique et la vague de chaleur apportée par le phénomène « El Niño » (petit garçon en français) du Pacifique à l’océan Indien.
8 h 30 passés, le bateau progresse à une allure de 23 nœuds vers le premier site à observer de la journée, côté ouest de l’archipel. La biologiste et chargée de mission, Vyktoria Marillac, rentre sur son ordinateur ses dernières données du vendredi précédent. Elle devra dans quelques minutes renfiler ses palmes, masque et tuba pour en prendre de nouvelles, aidée tour à tour par Léna Pierre et Anna Projet, agentes opérationnelles. Sur les 92 stations que recense le Parc (certaines avec des sondes pour enregistrer toutes les heures la température de l’eau), l’équipe se sera rendue en tout à une quarantaine (en intérieur, en extérieur et sur la barrière de corail), dont dix ce lundi (du sud-ouest au nord-ouest de Grande-Terre). Il s’agit des points retenus comme sensibles lors de la dernière grande crise de blanchissement, en 2016, mais qui avait prouvé à l’époque la résilience des récifs. Le pâle et le blanc avaient pu retrouver leur couleur, la température de l’eau baissant à temps. Avant qu’elle leur soit fatale.
« Là, c’est chaud, normalement c’est marron, et là, c’est tout blanc », désigne Léna Pierre, depuis le bateau, dans la baie de Kani. Les verres polarisés des lunettes de soleil font ressortir le blanc cassé de quelques colonies de coraux à travers une eau limpide. « 65 % ? », entend-on au loin. Vyctoria Marillac et Anna Projet, tentent d’estimer en mer le pourcentage de coraux pâles ou blanchis, sans prendre en compte ceux qui sont déjà morts et recouverts d’algues. Pour cela, elles se focalisent sur cinq zones par site, à partir de ce qui se trouve à l’intérieur d’un quadrat, structure métallique en forme de carré, qu’elles posent au sol. Chaque petite parcelle est ainsi photographiée et observée afin de constituer un échantillonnage à peu représentatif de l’état des fonds marins. Les pourcentages sont annotés au crayon de papier, en direct, sur un support qui ne craint pas l’eau.
« C’est un cimetière »
« C’est horrible ! », répète en mer la chargée de mission au niveau de la frange ouest, entre la baie de Chiconi et la plage de Sohoa, plus au nord, avant de rejoindre le tombant. « C’est un cimetière », lâche-t-elle une fois revenue sur le bateau, en regardant les images capturées. « Mais c’est une zone très polluée, il y a des coraux qui sont malades avec des bandes noires et blanches, des nécroses. Je suis déprimée », soupire-t-elle. « Il y a beaucoup de gens qui passent par-là », explique aussi Anna Projet, qui se souvient des couleurs qu’elle voyait sous l’eau il y a cinq ans comme du marron oui, mais aussi du bleu, du violet… L’opération se poursuit plus au nord, vers la plage de Tanaraki, la baie d’Acoua puis vers les îlots Choizil. Avant de se conclure vers 14 heures au large de M’tsamboro.
Le bilan est sans appel : sur tous les sites, même de façon plus ou moins dense, du blanchissement est constaté, y compris sur des anémones. C’est encore plus le cas sur les zones de passages, en zones frangeantes, c’est-à-dire qui ceinturent le littoral. « C’est hétérogène selon les endroits. Près des côtes, le corail est plus sujet au stress des marées, la chaleur de l’eau s’il y a peu de profondeur ou peu de courants pour renouveler l’eau. Il y a aussi la saison des pluies qui peut encore ajouter du stress en apportant des sédiments. Et chaque espèce parmi les plus de 300 qu’abrite Mayotte a sa propre résistance », explique Vyctoria Marillac, attristée, citant parmi les plus sensibles, les acropora, aux structures fourchues plus complexes.
« On connaîtra réellement les effets en juin »
Ce stress, c’est la difficulté naturelle éprouvée par le corail. Le corail ou colonies d’animaux minuscules appelés polypes coraliens. Chacun d’eux secrète de quoi générer leur structure calcaire. Mais ils fonctionnent normalement en symbiose, « dans une relation de donnant-donnant », avec des algues microscopiques (zooxanthelles) qui se chargent de la photosynthèse et leur apportent leur nourriture, en échange de leur protection qu’offre leur squelette calcaire. La température de l’eau, trop chaude actuellement, fait dysfonctionner ces petites algues qui ne remplissent plus leur rôle et rentrent même « dans un processus de suicide ». Les coraux, sans nourriture, face aux stress environnants, s’épuisent, pâlissent voire blanchissent. Tandis que les animaux colonisateurs tentent de se mettre plus au frais au fond de leur maison calcaire. Selon leur résistance et la durée de cette température anormale de l’eau, les coraux pourront regagner leur couleur… Ou mourir.
Néanmoins, selon les observations de la spécialiste coralienne, il y a, à ce jour, « dans l’ensemble », plus de pâle que de blanc. « Mais ça peut évoluer très vite. On connaîtra réellement les effets en juin », informe, inquiète, celle a donné, dès ce lundi soir, le feu vert à deux prestataires (Marex et Créocéan) pour réaliser une étude de suivi, avant, pendant et après le pic. Sa mission de prospection servait justement à déterminer si le phénomène nécessitait une intervention, externe, financée par le Parc, lui-même dépendant d’un budget alloué par l’État dont une partie est consacrée aux récifs. « Et c’est le cas. » L’étude pourrait démarrer d’ici une à deux semaines, le temps de sa mise en place.
Si le blanchiment est réversible, la partie morte reste définitivement perdue. Celle-ci peut se recouvrir d’une autre espèce d’algues, plus invasive, qui peut étouffer la vie marine. « Ces coraux, ce sont aussi des refuges pour plein de petits poissons », ajoute Anna Projet. « S’ils meurent, c’est tout l’écosystème marin qui est impacté. »