En septembre prochain, la réforme portant sur la justice des mineurs entrera en vigueur sur l’ensemble du territoire national. Parmi ses fervents défenseurs, le sénateur mahorais Thani Mohamed Soilihi, par ailleurs avocat de profession. Que le texte prévoit-il ? Comment s’appliquera t-il à Mayotte ? Explications.
Flash Infos : Pourquoi réformer la justice des mineurs ?
Thani Mohamed Soilihi : Ça fait plus de onze ans qu’on en parle. La justice des mineurs avait été instituée par une ordonnance datant de 1945, au sortir de la guerre, sous l’égide du général de Gaulle. La justice des mineurs a toujours voulu lier répression, certes, mais aussi éducation, puisqu’un mineur, un enfant, ne peut pas être appréhendé comme un adulte qui lui agit en pleine connaissance de cause. Cette philosophie-là n’a jamais changé, tous les gouvernements confondus ont toujours tenu à maintenir cet équilibre entre éducation et répression. Par contre, l’ordonnance a été retouchée pas moins de 39 fois. Ces réformes successives ont eu pour effet de défigurer le texte original. C’est donc pour ça qu’il est question de réformer cette ordonnance. Et en septembre dernier, le texte a enfin été déposé par Nicole Belloubet [garde des Sceaux du gouvernement Philippe, ndlr] sous forme d’ordonnance, grâce à une habilitation accordée par le Parlement. Là, il fallait rectifier l’ordonnance mais avec la crise liée au Covid, cela a pris du retard et rentrera en vigueur en septembre.
FI : Concrètement, qu’est-ce que la réforme changera à compter de ce mois ?
T. M. S. : Elle ne change pas fondamentalement la philosophie de la justice pénale, qui repose sur la répression et l’éducation, mais elle va faire en sorte que la réponse pénale soit rendue plus rapidement. Aujourd’hui, lorsqu’un mineur commet des faits, il y a bien évidemment une phase d’enquête, d’instruction devant le juge des enfants, etc. Aujourd’hui, le délai moyen de ce traitement est de 18 mois. Donc ça peut être certes moins, mais ça peut aussi être beaucoup plus. Certaines affaires ont même défrayé la chronique puisqu’entre la commission des faits et le jugement, les personnes concernées étaient devenues majeures. Quand la réponse pénale tarde autant, quel sens peut-on lui donner ?
Ainsi, le texte de réforme veut que le mineur soit présenté devant le juge très rapidement, entre 10 jours et trois mois, qui sont des délais incompressibles pour ne pas bâcler les procédures. Cette première comparution est très importante puisqu’il y a tout de suite une réponse qui est apportée. L’autre apport, c’est que la victime est convoquée dès cette phase alors que dans la procédure qui vaut jusqu’à présent, elle n’est convoquée qu’au moment du procès, donc au bout de 18 mois, un an ou quatre ans… Une procédure de césure a été mise en place dans le cadre de la réforme. Autrement dit, on coupe en deux la procédure avec ce moment phare immédiatement après les faits ainsi qu’avec la mise en place d’une mise à l’épreuve éducative avant le jugement final. Si entre temps, la situation du mineur a évolué favorablement, la réponse pénale sera différente, et inversement.
FI : Tous les dispositifs prévus par la réforme pourront-ils être appliqués à Mayotte, où les moyens, les structures compétentes et les effectifs ne sont pas les mêmes qu’en métropole ?
T. M. S. : C’est la particularité en matière pénale : la loi pénale, et même celle des mineurs, est valable pour tout le territoire français. Il n’y a pas de particularité lorsqu’il s’agit d’un texte pénal. Donc bien évidemment, l’ensemble de ces dispositions sera applicable à Mayotte, comme partout ailleurs sur le territoire national. À Mayotte, il y a beaucoup d’enfumage, les gens parlent de sujets qu’ils ne connaissent ou ne maîtrisent pas. Si l’on veut faire des exceptions pénales, il faudrait que Mayotte soit hors de la France. S’il y a des particularités ici, c’est en matière sociale, par rapport au Code du travail, etc. Ce sont des sujets qui, à certaines conditions, peuvent effectivement connaître quelques particularités, mais pas la matière pénale.
FI : Vous réitérez depuis longtemps la demande de création d’un centre éducatif fermé sur le territoire. Pourquoi aujourd’hui, et ce malgré l’ampleur de la délinquance des mineurs à Mayotte, une telle structure n’existe toujours pas à travers l’île ?
T. M. S. : Je le dis partout : une réforme ne se suffit pas à elle-même, il faut lui donner les moyens, qu’il s’agisse en effet d’un centre éducatif fermé, mais aussi d’autres moyens. Cette nouvelle procédure, pour qu’elle puisse fonctionner, nécessitera des juges en plus, des magistrats en plus, des greffiers en plus, des fonctionnaires en plus à la PJJ…
La réponse pénale est multiple et diversifiée. Là aussi, il faudrait tordre le cou à ceux qui pensent que la justice des mineurs est laxiste. Je ne connais pas un magistrat ou un juge qui se lève le matin en se disant : « Je vais être laxiste à l’égard des mineurs ! ». S’il y a des décisions prises qui peuvent paraître laxiste, c’est qu’en fait, les moyens pour les faire appliquer n’existent pas. Certains ont refusé de voter cette réforme parce qu’ils l’estimaient trop sévère vis-à-vis des mineurs. C’est dire ! Mais à Mayotte, lorsqu’un juge doit passer par la case centre éducatif fermé, il n’a plus que le choix de le laisser dehors ou de le mettre au quartier des mineurs à Majicavo, pour des faits qui ne méritent pas de prison ferme. Parfois, la décision est prise de ne pas l’y envoyer, ou avec un temps d’emprisonnement très limité. Alors, le mineur peut ne pas comprendre pourquoi il a été enfermé puis libéré, et il risque d’y ressortir plus dangereux qu’il n’y est entré.
Les moyens peuvent être présents et toutes les cases doivent être cochés. Pour l’instant, nous avons un centre éducatif renforcé, un travail de terrain qui est fait, par les associations, au sein des familles d’accueil notamment. Le cran au-dessus, c’est ce centre éducatif fermé. Dans l’arsenal législatif, la justice pénale des mineurs et des majeurs est différente, mais le juge peut considérer ou non l’excuse de minorité (que la réforme conserve), qui permet que la peine soit deux fois moins élevé que si la personne mise en cause était majeure. La marge de manœuvre du magistrat est d’autant plus limitée si toutes les structures prévues dans le cadre de cette réponse pénale font défaut. Or à Mayotte, on manque évidemment de moyens pour faire fonctionner comme il faut la justice des mineurs. Pourquoi ce vœu de créer un centre n’est-il toujours pas exaucé ? Je ne le sais pas moi-même. Et je ne suis pas le seul à demander cette mesure ! Mais le manque de moyen concerne aussi le champ de l’enquête : il faut des officiers de police judiciaire qui maîtrisent la particularité de cette justice pour que les procédures ne craignent pas d’être annulées pour vice de procédure. Les enquêteurs ont eux-aussi besoin de ce renfort de moyens.
Au regard des mes demandes, on pourrait croire que je suis sévère avec ce gouvernement, mais c’est justement parce qu’il en a exercé pas mal. Pour moi, l’absence de ce centre éducatif fermé est en quelque sorte un trou dans la raquette. Mais le fait que nous soyons le département le plus jeune va peut-être faire bouger les choses, il faut rappeler que plus de la moitié de la population de Mayotte est mineure. Connaissez-vous beaucoup de territoires français à être dans ce cas ?
Depuis l’époque Belloubet, et même avant, il a été acté de créer une vingtaine de nouveaux centres éducatifs fermés dans toute la France. Je crois que parmi ces 20 nouveaux centres, Mayotte en mérite bien un.
FI : Avec la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron, l’année prochaine, cela laisse peu de temps…
T. M. S. : Vous savez, le jour où on arrêtera des annonces et des programmations, j’arrêterai la politique ! Si le centre est annoncé un mois avant la fin du quinquennat et que les moyens sont mis sur la table, je m’en contenterai. Les promesses d’un président n’engagent pas forcément son successeur, mais en réalité, elles le devraient. Ce n’est pas une demande que je formule comme ça : cette réponse apporterait un plus dans la résolution de la délinquance des jeunes à Mayotte. Nous avons pu avoir un centre éducatif renforcé parce que nous l’avons demandé avec insistance, il n’y a pas de raisons pour que nous n’ayons pas de centre éducatif fermé !
FI : Au-delà de la jeunesse de la population, comment expliquez-vous que la délinquance juvénile à Mayotte monte en puissance année après année ?
T. M. S. : Je crois que depuis trop longtemps, les jeunes ne sentent pas inquiétés puisque, faute de structure, la réponse juridique n’est pas à la hauteur de la gravité des faits commis. Mais il y a d’autres facteurs à prendre en compte comme l’abandon de certains parents, causés en partie, mais pas uniquement, par l’immigration clandestine puisque dans certaines situations, l’autorité parentale fait défaut. Et pendant longtemps, avant l’arrivée d’Issa Abdou [le vice-président du conseil départemental, en charge des affaires sociales, ndlr], on ne s’est pas préoccupé de la partie préventive. Sur l’île, on insiste beaucoup sur la répression, mais la prévention est tout aussi importante, voire plus, puisque c’est elle qui fait qu’un mineur ne passe pas à l’acte. Nous avons trop accumulé les manquements, et aujourd’hui nous sommes en train de payer cash toutes ces années-là. Nous étions face à une bombe à retardement, et aujourd’hui la mèche a été allumée. Je ne veux pas avoir la critique facile, mais c’est une responsabilité collective, parttagée. Les mesures concrètes pour éviter que cela arrive n’ont pas été assez nombreuses.
Centre éducatif fermé : un problème de coût ?
En 2019, les mineurs délinquants représentaient 7% de l’activité pénale à Mayotte, selon la PJJ. Or, en l’absence d’un centre éducatif fermé mahorais, entre 20 et 30 jeunes sont envoyés tout au long de l’année, vers des structures réunionnaise. Pour une autre figure politique, interrogée sous couvert d’anonymat, le plus gros frein à la création d’un centre mahorais pourrait être financier. En effet, les centres éducatifs fermés représentent les dispositifs les plus coûteux de la protection judiciaire de la jeunesse, du fait du fort taux d’encadrement. « En outre, le coût d’une journée moyenne a fortement augmenté au cours des dernières années, du fait en particulier de la réévaluation des moyens humains et de l’augmentation des coûts dans le secteur public », pointait déjà du doigt le Sénat en 2018, qui estimait à 672 euros le coût d’un jour de fonctionnement par mineur pris en charge en 2019. « Ramené au ratio de la population de Mayotte, on ne fait pas le poids », confie encore notre source, qui rappelle qu’avec près de 10.000 naissances à l’année, « ces millions ne serait pas jetés par la fenêtre, car peu importe le coût, il s’agit de mettre en échec la montée d’une certaine forme de violence chez les jeunes ». D’autant plus que les coûts liés au fonctionnement d’un centre d’éducatif fermé demeurent moins lourds qu’un placement en détention.