Organisation de l’offre de soins : la stratégie payante de l’ARS de Mayotte pour fluidifier la filière d’aval
Si l’agence régionale de santé est énormément dans l’action sur le terrain, elle est aussi beaucoup dans la réflexion pour élaborer toute la stratégie à suivre dans le but d’éviter une catastrophe sanitaire. Mohammed Hamid Elarouti, directeur de l’offre de soins et de l’autonomie, et Mathilde Hangard, en charge de la préparation aux crises sanitaires, révèlent les coulisses de toute la partie invisible de l’iceberg.
Flash Infos : Voyant le virus se propager à vitesse grand V en métropole, comment vous êtes-vous mis en ordre de marche à Mayotte pour lutter contre sa propagation ?
Mohammed Hamid Elarouti : L’offre de soins a mis en place des dispositifs innovants et expérimentaux. Tout d’abord, dans le cadre de la phase pré-épidémique, nous nous sommes organisés selon les instructions nationales, avec l’identification de filières Covid. Il est de la responsabilité des établissements de santé, qui sont habilités pour encadrer des patients suspects ou classés cas probables pour la plateforme du centre 15 et les admettre dans des zones sécurisées pour éviter toute contamination. À ce titre, nous les avons constatées au CHM mais aussi dans les centres médicaux de référence.
Compte tenu de la contagiosité, le risque était le tableau de détresses respiratoires aigües, dont des formes graves pulmonaires. Comment les accueillir tout en gardant ses capacités de prise en charge en réanimation ? Le CHM, en lien avec l’ARS, a upgradé des lits en réanimation, sachant que l’hôpital en comptabilise seize en temps normal. Puis il y a eu six lits supplémentaires de salle de surveillance post-interventionnelle avec du personnel dédié et des équipements spécifiques. Tout cela pour éviter une tension en lits réanimatoires. Et récemment se sont rajoutés, lors de la mission du service de santé des armées, dix modules militaires de réanimation au troisième étage, dans l’aile dédiée à la chirurgie ambulatoire.
Force est de constater qu’au début de la crise, nous avons reçu une file active de patients, qui présentaient des pathologies nécessitant une hospitalisation en médecine. Ainsi, nous avons redéployé nos ressources pour avoir une capacité de cent lits dans ce service.
Mathilde Hangard : Après, nous avions pressenti ces besoins par le biais d’une étude réalisée par un statisticien de l’ARS, qui s’appuyait sur l’âge de la population mahoraise. Pourquoi ? Parce que les gens se mettaient à décompenser au Sud de Mayotte. Le confinement faisait qu’ils ne pouvaient plus se déplacer à l’hôpital ou alors qu’ils tardaient à venir se faire soigner. Avec le déconfinement progressif, nous avions la certitude de prendre une vague de ces malades chroniques.
FI : Justement, pour éviter une saturation des lits en médecine, vous avez décidé de fluidifier la filière d’aval en créant un centre d’hébergement spécialisé à l’internat de Tsararano…
Mathilde Hangard : Pour bien comprendre les raisons de ce dispositif qui a ouvert le 14 avril, il faut savoir que des chambres de médecine servaient d’isolement pour ceux qui étaient en attente de résultat. Rapidement, nous sommes arrivés à saturation car les patients occupaient des lits alors qu’ils ne nécessitaient pas de soins à proprement parlé… Comment alors héberger des Covid+ sans signes de gravité ? De là est né le projet à l’internat du lycée de Tsararano. Il a une capacité de 110 places. Quotidiennement, nous avons une dizaine de personnes présentes et leur durée de séjour est de cinq ou six jours. Ça rentre autant que cela sort !
Mohammed Hamid Elarouti : Nous ne voulions pas que ce lieu soit un centre sanitaire. Car il aurait fallu recevoir une autorisation d’activité de soins qui est délivré sur décision administrative par un arrêté de la direction générale. Mais ce centre d’hébergement spécialisé a fait l’objet d’un cahier des charges, avec un conventionnement tripartite avec la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DJSCS), l’ARS et la Croix Rouge. Et nous avons fait une paramédicalisation. C’est-à-dire que des infirmières libérales sont mises à disposition sur la base du volontariat, de 8h à 18h. Après cette heure, il y a quand même des veilleurs de nuit qui tournent en cas de complications ou d’aggravations pendant la nuit.
Mathilde Hangard : Nous savions que ce partenariat fonctionnerait à Mayotte car la difficulté de l’isolement est une réalité sur le territoire ! En se rendant à l’internat, ils sont logés, nourris, blanchis et surveillés d’un point de vue paramédical.
FI : Au vue des capacités de la structure, vous attendiez-vous à recevoir plus de monde ?
Mathilde Hangard : Oui ! Mais en même temps, la mission d’un tel centre repose sur le consentement de la personne. C’est vrai que cohabiter avec des Covid+ peut effrayer. Tout le monde préfère rester en famille et s’isoler chez soi.
Mohammed Hamid Elarouti : Nous avons rencontré les représentants des collectivités territoriales pour les sensibiliser sur le fait que ce n’était pas un nid de concentration de Covid, parce que certains habitants étaient prêts à ériger des barrages de peur que nous déplacions des patients Covid+ vers cet internat.
Mathilde Hangard : Après, les calendriers des projets se sont bien chevauchés. Grâce au montage de l’équipe terrain, nous avons procédé à des interventions dans des domiciles où l’isolement n’était pas possible pour de multiples raisons. Nous avons alors réalisé un suivi un peu plus poussé chez ce public qui ne souhaitait pas se rendre à Tsararano. En tout cas, nous avons essayé de ne pas le lâcher !
Paradoxalement, un autre phénomène s’est présenté après cette ouverture : des personnes qui n’étaient pas infectées voulaient simplement rejoindre le centre d’hébergement pour avoir la possibilité de manger à leur faim. Et d’autres faisaient le forcing pour rester plus longtemps alors qu’ils ne présentaient plus du tout de symptômes.
Mohammed Hamid Elarouti: D’ailleurs, au 6ème jour, nous faisons une réévaluation médicale. En sachant que les critères pour quitter le centre sont l’absence de symptômes, notamment la fièvre (apyrexie) 48 heures avant la sortie.
FI : Vous avez également mis en place un autre dispositif, qui est l’hospitalisation à domicile (HAD). En quoi consiste-t-il ?
Mohammed Hamid Elarouti: L’hospitalisation à domicile concerne les patients qui requièrent des soins complexes, avec une prise en charge pluriquotidienne par une équipe pluridisciplinaire (médecin, infirmier, kiné, aide-soignant). Au lieu de les faire dans un secteur hospitalier, il y a la possibilité, si les conditions d’accueil le permettent, de pouvoir les réaliser directement chez le patient. Sur la base du volontariat, nous avons rencontré des représentants des syndicats des infirmiers libéraux pour trouver un accord de conventionnement avec le CHM dans le but de l’assurer. L’idée était de pouvoir intervenir dans des secteurs expérimentaux comme le centre de Mamoudzou et de se focaliser sur les endroits où il y a eu des clusters. Quinze infirmiers ont été mobilisés, avec une possibilité d’étendre le personnel à 50, voire 70. Il s’agit principalement de patients lourds ou qui peuvent bénéficier de soins palliatifs identifiés, d’enfants qui sont porteurs de maladies congénitales… L’intérêt est aussi de pouvoir couvrir l’ensemble de la population puisque nous prenons en charge des patients non affiliés sociaux.
Nous comptons pérenniser cette activité puisqu’elle dépend d’une autorisation exceptionnelle de six mois qui rentre dans le cadre de la gestion de la crise. Elle sera vraisemblablement prorogée avec un arrêté en bonne et due forme.
Ce dispositif permet aussi de fluidifier la filière d’aval. Lorsque des patients ont fait de la réanimation, ils ont besoin de rentrer dans un centre de soins de suite et de réadaptation. Or, nous n’en avons pas ici à Mayotte ! Par contre, des kinés habilités peuvent très bien poursuivre cette rééducation à domicile dans le cadre de cette prise en charge complexe. Même si les patients ne sont plus oxygéno-dépendants, ils ont besoin de récupérer et de retrouver une motricité et une tonicité musculaire.
Nous sommes en cours de réflexion avec les réanimateurs en cas de deuxième vague de Covid. Plutôt que d’avoir un service de réanimation surdimensionné, l’idée serait d’avoir une unité de réanimation pure et dure et d’adapter l’emplacement où se trouvent actuellement les militaires en centre de post-réanimation. Avec cette organisation, nous pourrions raccourcir la durée de séjour en réanimation des patients. Il y a également des techniques, comme la trachéotomie qui permet d’avoir un sevrage plus rapide des respirateurs.
FI : N’était-il pas possible de mettre en place ce centre de rééducation au tout début de la crise pour pouvoir gagner de la place en réanimation plus rapidement ?
Mohammed Hamid Elarouti : Nous avançons en marchant ! Au départ, les patients embolisaient les lits de médecine. Puis après la période de Ramadan, il y a eu des formes d’embolie pulmonaire plus graves. Nous nous sommes adaptés en fonction de l’évolution épidémiologique…
Mathilde Hangard : La crise essouffle tout le monde car il s’agit d’une course contre la montre ! Cela demande de l’endurance, mais en même temps toutes les dérogations exceptionnelles ont permis à des projets comme la HAD, qui était d’actualité depuis deux ans, de voir le jour en à peine deux mois. Après quand nous prenons la situation avec du recul, nous avons parcouru un sacré bout de chemin.
Maintenant, les prochains enjeux vont être de rattraper tout ce qui a été mis sous le tapis pendant la crise, à l’instar des vaccinations.
FI : Quels enseignements allez-vous tirer de la crise par rapport à l’offre de soins à Mayotte ?
Mohammed Hamid Elarouti : Il faudrait équilibrer la gouvernance hospitalière, médicale et administrative, territorialiser et faire confiance aux collectivités. Créer du lien pour que les ARS soient aussi plus autonomes dans la gestion au quotidien des affaires sanitaires et ambulatoires. Effectivement, nous agissons dans l’urgence, mais il ne faudrait pas que les lourdeurs administratives viennent enrayer les initiatives ou les expériences de terrain.
Ce qui est aussi très important est le décloisonnement, c’est-à-dire que l’offre de soins soit indifférenciée, que ce soit du sanitaire, du médico-social ou du libéral. Il va falloir créer des améliorations dans l’aménagement du territoire pour rendre Mayotte plus attractive. Sans oublier l’universitarisation du département pour que les Mahorais puissent suivre des études supérieures sur leur territoire et ainsi éviter une fuite des cerveaux de nos forces vives.
La pierre angulaire du processus accélérateur est le projet médical, élaboré par la communauté hospitalière, en lien avec les professionnels libéraux. Dans le cadre d’un exercice mixte, ces derniers peuvent venir en appui à l’hôpital avec des modalités de rémunération qui soient inventives.
Mathilde Hangard : La population a également acquis des notions sur les risques épidémiques. Je pense qu’il y a eu une prise de conscience sur ce qu’est la santé publique. Tout cela fait partie de la résilience et permet au territoire de se renforcer et d’adopter des gestes réflexes en prévision des autres crises qui sont susceptibles de nous tomber dessus à l’avenir.
Un partenariat avec les ambulanciers privés pendant la crise
Une permanence de soin qui n’existait pas jusqu’alors à Mayotte a été créée avec l’association de transport sanitaire d’urgence médicale de Mayotte. L’ARS a signé une convention qui permet une rémunération via le fonds d’intervention régionale d’un montant de 135.000 euros pour la coordination de la garde ambulancière sur trois secteurs de l’île. Malheureusement, certains conducteurs certifiés ont contracté le Covid et ont dû s’isoler, obligeant l’agence régionale de santé à y mettre un terme le 6 juin.
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