La population mahoraise a été créée grâce à l’arrivée de différents peuples sur le territoire. Ils se sont mélangés, ont cohabité ensemble et cela n’a jamais posé de problème. Mais depuis les trois dernières décennies, l’immigration est la source de toutes les crispations et des tensions dans le département. Mlaili Condro, linguiste sémioticien qui a longuement étudié l’histoire de Mayotte, nous explique le rapport qu’ont les Mahorais avec la question migratoire.
Mayotte Hebdo : Peut-on considérer Mayotte comme une terre d’asile ?
Mlaili Condro : Lorsque l’on inscrit la question dans une perspective historique, Mayotte n’a pas toujours été une terre d’asile puisque des gens y ont été emmenés de force. Je parle notamment des esclaves et des engagés. Et même aujourd’hui, quand on parle de la migration, on peut se demander si elle est volontaire ou contrainte, dans la mesure où des personnes sont obligées de quitter leur pays parce que là où ils vivent, ce n’est plus vivable. Quand on parle de terre d’asile, le pays ou la région en question doit accepter ceux qui viennent d’ailleurs. Je dirais que Mayotte est plutôt une terre de rencontre. C’est un carrefour de différents peuples, qu’ils soient venus de force ou de plein gré.
L’histoire de l’île de Mayotte a été marquée par l’approvisionnement en main d’œuvre. Il fallait loger cette main d’œuvre et des villages étaient prédisposés à l’accueillir. Je parle notamment de Kaweni, Koungou, Dzoumogné, Combani, Miréréni, Kahani. Ces villages ont toujours gardé le lien avec l’origine de ces personnes venues, même si désormais, ils se considèrent mahorais. Aujourd’hui, on est plus susceptible d’être bien accueilli quand on va dans ces endroits.
M.H. : Après l’indépendance des Comores, une partie des Comoriens est venue s’installer à Mayotte. Est-ce que cela posait déjà problème à cette époque ?
M.C. : Non cela ne posait pas problème puisqu’il n’y avait pas de visa. La notion de frontière à protéger n’existait pas encore. C’est ce fameux visa Balladur qui vient mettre en évidence la frontière et qui sépare l’archipel. Il exclut les Comoriens qui jusque-là circulaient librement, et il a fait prendre conscience qu’il y a des gens qui entrent. On a commencé à quantifier et lorsqu’on a constaté que le nombre ne cesse d’augmenter, cela a créé des tensions.
Et puis il ne faut pas oublier que chez les voisins il y avait une certaine stabilité politique, même si c’était une dictature. La population n’avait pas à se déplacer pour chercher une meilleure vie ailleurs. Ils pouvaient cultiver leurs champs, il y avait des investissements étrangers, et les jeunes pouvaient étudier chez eux.
C’est pour cela qu’ils ne se déplaçaient pas en masse durant cette époque.
M.H. : Les Mahorais ont la réputation d’être un peuple accueillant. Est-ce réellement le cas ?
M.C. : Je pense que tout le monde est naturellement accueillant et cette ouverture à l’autre peut être mise à mal à cause d’un certain nombre de paramètres. C’est à dire que si j’ai de la place pour loger, que je mange bien, que ma vie est en sécurité, je n’aurai aucun mal à accueillir. Quand la terre devient l’objet d’appropriation, de privatisation et d’enrichissement alors on n’est plus dans la même disposition pour accueillir l’autre et sa présence devient problématique. À Mayotte, il y a aussi une histoire politique basée sur le rejet de l’autre. C’est-à-dire que « Je suis Mahorais parce que je ne suis pas Comorien ». C’est le principe même du « Non Karivendzé » (non, nous ne voulons pas) de Zéna M’déré. On a une identité qui s’est construite sur le rejet et cette immigration comorienne devient une menace. Aujourd’hui l’immigration qui vient de l’Afrique de l’Est devient aussi une menace, surtout si on pense qu’elle est organisée par le pays que l’on considère comme notre ennemi et qui est notre voisin. Malgré cela, les villages que j’ai cités au départ vont continuer à accueillir les étrangers non pas parce qu’ils aiment les gens, mais parce que c’est leur histoire.
M.H. : Avec l’arrivée des migrants africains venus du continent, les tensions entre les Mahorais et les étrangers sont encore plus palpables. Comment la situation peut-elle évoluer selon vous ?
M.C. : Cette migration africaine à Mayotte s’inscrit dans ce mouvement de la population du sud vers le nord. Nous sommes dans le sud, mais nous représentons le nord, la France, l’Europe. Ces immigrés ne viennent pas pour les beaux yeux des Mahorais, mais pour toutes les opportunités que représente le nord. Ces peuples du sud vont continuer à venir, car tant qu’il y aura la guerre dans leurs pays, tant qu’ils vivront dans la misère, ils continueront à se déplacer pour aller à des endroits où l’herbe est plus verte. Quand il est question de vie, les gens trouvent toujours un moyen de détourner les obstacles que l’on met sur leur route. Des milliers de personnes sont mortes en mer et pourtant, ça ne les arrête pas.
Il y a des solutions qui sont faciles à accepter, car elles prônent la notion de rejet, mais elles ne sont pas forcément efficaces. On peut toujours dire que l’on va ériger un rideau de fer en mer, mais on se demande comment on va pouvoir le mettre en place. C’est compliqué de mettre en place une frontière maritime, car une fois que les personnes sont dans vos eaux, il faut les accueillir. Nous sommes dans un pays de droit, et il y a des lois qui protègent les étrangers.
De manière générale, tant qu’il y aura des pays déstabilisés, leurs populations viendront. La distribution des richesses dans le monde et le changement climatique, sont les problèmes d’aujourd’hui et les différents dirigeants du monde doivent s’unir pour trouver des solutions. Un pays ne peut pas régler le problème de l’immigration seul, de façon isolée.