Mansour Kamardine : “Il y a aujourd’hui plus de gesticulation que d’action”

Sur le devant de la scène depuis le début de l’épidémie de Coronavirus pour alerter sur la grande fragilité du territoire, le député Mansour Kamardine revient sur l’action menée par l’État depuis l’apparition du Covid-19 à Mayotte. Et sans grande surprise, déplore que “rien n’est en mesure de [le] rassurer”.

Flash infos : Ce mardi, l’avion présidentiel s’est posé sur la piste de Pamandzi afin d’acheminer du matériel sur le territoire. Dans la foulée, le préfet a évoqué la possibilité d’un pont aérien qui permettrait l’envoi de 32 tonnes de biens nécessaires pour répondre à l’épidémie. Êtes-vous satisfait de ces gestes qui semblent signer le soutien du gouvernement à Mayotte ?

Mansour Kamardine : L’avion présidentiel qui se pose pour acheminer du matériel constitue un symbole fort. Mais à y regarder de plus près, il n’y avait pas grand-chose pour Mayotte. Une grande partie de la cargaison était destinée à La Réunion et ce qui restait pour notre territoire était en grande partie des billets qui ne serviront à rien si la crise fait des ravages. En revanche, 32 tonnes de matériel par semaine seraient une excellente nouvelle à mettre au crédit du gouvernement si cela se concrétise. Et signeraient effectivement enfin une prise en compte et une réponse partielle à la détresse des Mahorais. Il faut cependant aller plus loin. Avec le Mistral par exemple, qui doit absolument être équipé pour venir au secours du département. Car je le répète, nous sommes sous tous les aspects le territoire le plus pauvre de la République. Dans ce cadre, l’État ne peut pas faire l’effort national en oubliant le maillon le plus faible de la chaîne. Ce ne serait pas digne de la République que de sacrifier les plus faibles.

FI : Vous n’êtes donc toujours pas rassurés quant à la gestion de la crise sanitaire s’agissant de Mayotte ?

M. K. : Très honnêtement, quand je regarde ce qu’il se passe, j’ai l’impression que l’on assiste plus à de la gesticulation qu’à de l’action. Alors que la jeunesse de la population, le fait d’être isolés du reste du territoire national, la fragilité sociale de la population, son incapacité à procéder aux gestes barrières, doivent pousser à un engagement très fort de l’État auprès des Mahorais. Mais même si comparaison n’est pas raison, quand je compare ce qu’il se passe ici avec ce qu’il se passe sur le reste du territoire, comme à La Réunion, par exemple, je suis très inquiet. Nous ne sommes pas à Mayotte dans une gestion rationnelle de la crise.

L’exemple du Mistral est à ce titre frappant. L’annonce était forte, mais on ne sait toujours pas quelles seront ses missions ni son équipement alors qu’il pourrait justement être une réponse à l’urgence vitale qui risque de mettre l’île en péril. Tout cela se fait par dessus la jambe et en plus de ça, les autorités s’enfoncent ici dans le déni. Il n’est pas trop tard pour bien faire, mais actuellement, rien n’est en mesure de me rassurer et si la question est de savoir si les mesures sont prises, je réponds franchement non.

Dès le début, j’avais demandé à ce que tous les passagers débarquant à l’aéroport soient contrôlés. Cela n’a pas été fait et nous met aujourd’hui dans une situation de grande vulnérabilité.

FI Que faudrait-il faire selon vous ?

M. K. : D’abord, il faut impérativement du matériel en quantité, car ici nous manquons de tout. Des renforts aussi, car l’ennemi a d’abord attaqué à la tête : les policiers, les pompiers, les médecins sont touchés. C’est notre arsenal qui est attaqué. Mais pourquoi ? Car dès le début, ils n’avaient pas le

matériel pour se protéger et c’est inacceptable. Le Mistral au chevet du territoire en capacité d’accueillir des malades pour soulager le CHM me paraît indispensable. Par ailleurs, je réclame toujours que nous puissions procéder à des tests à grande échelle sur tout le territoire afin de pouvoir circonscrire au mieux les éventuels foyers épidémiques.

Mais au lieu de ça, on est dans une gestion au fil de l’eau et c’est également vrai au niveau national : on tente tous les jours de s’adapter après une nouvelle bataille de perdue. Nous savions ce qui pouvait se passer, nous pouvions analyser les différentes réponses que les premiers pays touchés ont apportées, on savait que si le territoire national serait touché, le risque serait grand pour les Outre-mer. Mais qu’a-t-on fait pour les protéger ? Rien.

La seule chose positive que je pourrais mettre au crédit du gouvernement est d’avoir accepté d’étendre à Mayotte les essais européens sur le traitement proposé par le professeur Raoult. En revanche, il doit être appliqué à temps.

Et les autorités doivent dire ce qu’il se passe. Par exemple, le conseil départemental a commandé 450.000 masques, et l’ARS accompagnée de la préfecture lui a demandé d’allonger la commande de 400.000 masques. Ça veut bien dire que les autorités de tutelle ont abandonné l’administration locale qui doit aujourd’hui demander au Département de pallier les carences de l’État.

FI : Vous pestez également contre la situation que vivent les passagers en provenance de Madagascar qui ont été confinés au RSMA…

M. K. : Ce qu’il se passe à Combani est un véritable scandale qui n’est possible qu’à Mayotte. Les personnes confinées ont pris l’avion sans protection, à leur arrivée, le préfet leur annonce qu’ils vont être enfermés ensemble alors qu’un passager présentait des symptômes suspects. Déjà, cela aurait dû nous alerter. Au lieu de ça, on les enferme dans des conditions d’hygiènes et de proximité qui empêchent l’application des gestes barrières. Un médecin du lot a dû se battre pour que les personnes malades puissent avoir accès à leurs traitements. On ne peut pas laisser passer cela alors qu’à La Réunion, ce même type de passagers sont logés dans des hôtels, chacun dans leur chambre. C’était aussi possible ici, pourquoi cela n’a pas été fait ? Cela renforce mon inquiétude quant à la gestion de la crise.

FI : Au rang des bonnes nouvelles, il y a tout de même la mise en place d’une distribution alimentaire au profit des plus défavorisés qui paient le prix fort du confinement. Qu’en pensez-vous ?

M. K. : J’adhère totalement à la démarche, même si c’est un peu tard. J’étais le premier à dire qu’on ne pouvait pas demander à ceux qui vivent de maigres revenus journaliers de se confiner sans moyen de subsistance. La prise de conscience est désormais là et je m’en réjouis. Il serait insupportable de ne pas porter assistance à ces populations. À plus grande échelle, je serais même heureux que l’État se serve de Mayotte comme base pour venir en aide aux pays voisins qui ne peuvent faire face.

 

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