Loi Mayotte : « On n’arrêtera jamais les personnes de traverser »

Le samedi 18 mai, le gouvernement a envoyé une note servant de base de travail pour la future loi Mayotte aux parlementaires. Pour Camille Gendrot, doctorante au sein de l’Institut de recherche en droit international et européen de la Sorbonne (Iredies), qui travaille sur les politiques migratoires en Afrique de l’Ouest et affiliée à l’Institut convergence des migrations, les propositions sur le volet de l’immigration n’auront aucun impact en matière d’attractivité du territoire, mais se résumeront à une fabrique de l’illégalité.

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Pour Camille Gendrot, doctorante qui travaille sur les politiques migratoires en Afrique, la suppression du droit du sol ne diminuera pas l’attractivité du territoire.

Flash Infos : Le gouvernement envisage de supprimer le droit du sol et le titre de séjour territorialisé dans son double projet de loi Mayotte, ordinaire et constitutionnel. Quelles conséquences cela aura-t-il selon vous quant à l’attractivité de l’île ?

Camille Gendrot : Cela n’a jamais été une solution dans toutes les politiques migratoires qui ont pu être mises en place par la France ou par l’Union européenne. À chaque fois qu’on a renforcé des barrières ou diminué les droits pour les personnes qui ont accédé au territoire, le nombre de personnes qui traversent ces frontières n’a jamais diminué. Ça ne fait qu’augmenter leur précarisation et leur mise en danger. Toutes les politiques qui ont été mises en place à Mayotte depuis le premier visa Balladur (territorialisé) en 1995 jusqu’à aujourd’hui ont entraîné davantage de morts noyés, de personnes en grande précarité. On n’arrêtera jamais les personnes de traverser, c’est le grand mythe des politiques migratoires.

F.I. : Idem concernant la proposition de durcir les conditions d’accès au titre de séjour pour les personnes qui viennent de façon régulière au motif de parents d’enfants sur le sol ou bien de liens privés et familiaux, pour la première demande ou le renouvellement ?

C.G. : Oui, c’est de la fabrication d’étrangers illégaux. On restreint les voies légales, d’abord d’arriver sur le territoire français puis d’accéder à un titre de séjour. On illégalise les personnes et on les maintient dans un système dans lequel elles ne peuvent plus accéder à des voies légales. Donc on les force à en prendre des plus périlleuses.

F.I. : Aujourd’hui, en plus d’une population comorienne, il y a aussi celle issue d’Afrique continentale qui arrive sur le territoire. Que pensez-vous de cette proposition d’étendre l’aide au recours volontaire ?

C.G. : C’est une très grande problématique. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a beaucoup implanté son programme de retour volontaire au Niger. Mais qu’est-ce qu’un retour volontaire à partir du moment où vous êtes bloqués dans une situation où il n’y a pas d’autres options possibles, pas de régularisation possible, pas d’accès aux droits, pas d’accès à une autre forme de voyage ? Au Niger, les personnes étaient bloquées à Agadez, n’avaient pas accès à d’autres États et donc finissaient à aller vers l’OIM. On sait qu’il y a eu plein de personnes renvoyées dans leur État mais où les personnes n’avaient aucun lien local. Certaines vivent dans le pays depuis plus de dix, vingt ans… Il faudrait que le retour volontaire soit une option parmi tant d’autres.

F.I. : Les élus mahorais souhaitent également discuter d’un renforcement des critères de reconnaissance du droit d’asile. Cela vous paraît-il faisable du point de vue de la Constitution et du droit international ?

C.G. : À partir du moment où la France fait partie de la convention de Genève, elle ne peut pas revenir dessus, ni sur le droit européen. En tout cas, si elle change la Constitution, ce serait en violation du droit international.

F.I. : Que pensez-vous de la mise en place d’un pays-tampon, comme cela se fait entre le Royaume-Uni et le Rwanda par la loi Safety of Rwanda bill et un accord diplomatique depuis fin 2023 ? Un dispositif jugé illégal par la Cour suprême britannique et critiqué par l’Organisation des nations unies, qui consiste à délocaliser entièrement l’accueil, l’hébergement et surtout la demande administrative dans un autre territoire ?

C.G. : Ce sont les grandes idées qu’avait déjà eu l’Union européenne pour mettre en place des demandes d’asile externalisées en Afrique du Nord : Tunisie, Maroc… Pour que les demandeurs demandent l’asile avant de traverser. Ça avait été refusé par les pays africains pour qui il est hors de question de créer des centres de tri sur leur territoire. Le Niger joue un petit peu ce rôle-là avec tout le programme d’urgence mis en place en Libye qui avait permis de faire sortir des personnes du pays. Mais elles sont laissées pour compte au Niger sans trop de réponse mis à part le plan de retour volontaire de l’OIM. Il devait y avoir un système de réinstallation qui fonctionne très mal au niveau des pays européens… Pour ce qui va se faire au Rwanda, ce n’est pas simplement de déléguer, c’est dire que ce problème va être géré ailleurs et que ces personnes n’obtiennent pas de visa mais un statut de réfugiés au Rwanda. Si on veut arrêter les morts en mer, la réponse est de permettre aux gens de prendre l’avion. Plus on bloque, plus les gens vont essayer de trouver d’autres moyens. C’est ce qu’on voit en mer Méditerranée, entre les Comores et Mayotte, à Calais dans la Manche…  On peut mettre les barrières les plus hautes, les personnes obtiendront une liberté de circulation d’une manière ou d’une autre. L’idée du pays-tampon, c’est juste externaliser nos positions. Il n’y a pas de raisons qu’on offre plus de voies légales dans cet État. Donc à part les bloquer dans un endroit où on ne sait pas si les droits fondamentaux seront respectés…

F.I. : Qu’est-ce qui aurait pu être mis en place au préalable avant de connaître la crise que connaît Mayotte actuellement ?

C.G. : S’il y a une leçon qui peut être tirée à Mayotte, mais aussi ailleurs, c’est que l’histoire coloniale est hyper importante, il faut replacer dans un temps long l’espace aujourd’hui et se dire que c’est les résultats de politiques qui ont été faites… On peut le voir avec la Guyane, les Caraïbes… Isoler un territoire d’un contexte régional tout en étant loin de la France, c’est impossible. Je pense qu’il y a des choses à penser aussi dans le lien entre la métropole et les Outremers. Dans toutes les politiques en termes d’immigration, il y a toujours eu des dispositions particulières en Outremer, moins protectrices et qui sont des laboratoires de normes sécuritaires plus dures et souvent étendues après à l’ensemble du territoire. Oui, on aurait pu anticiper qu’aujourd’hui il y ait autant de résistance face à un pouvoir qui impose ses idées sans plus de communication et de ne pas avoir mis en place les moyens en ressources humaines ou matériels ou financiers pour soutenir le développement des services sociaux et publics. C’est comme à l’école [N.D.L.R. : Les élus s’interrogent sur la capacité à distinguer les prises en charge scolaires et sur l’obligation de scolarisation des enfants compte tenu de la pression démographique], c’est aussi une non-réponse à un problème, plutôt que d’avoir plus d’endroits où faire cours, plus de professeurs…

F.I. : Donc selon vous, pour résumer, tout cela serait plus un jeu politique où on dit résoudre le problème alors que ça ne ferait que diviser et précariser plus qu’autre chose ?

C.G. : Oui, je pense que c’est un jeu politique qui joue aussi sur une partie de la population métropolitaine ou mahoraise, qui touche aussi de plus en plus à des propositions faites par l’extrême-droite. Sachant que l’amalgame entre délinquance et immigration est renforcé partout. Mais c’est aussi lié à une évolution de la vision de l’étranger, de ce qu’est un étranger.

Journaliste à Mayotte Hebdo et pour Flash Infos arrivée en décembre 2023. Mes sujets de prédilection ? Les sujets sociaux, sociétaux, de culture et concernant la jeunesse.

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