Il est écrivain, ancien syndicaliste, et surtout amoureux de son île. Soulaimana Noussoura a consacré toute sa vie à défendre les intérêts de Mayotte. Aujourd’hui, la crise qui traverse l’île le pousse à lancer un nouvel appel. Un appel à l’aide, un appel à la raison, un appel à changer les choses.
Flash Infos : Vous avez récemment écrit une lettre à destination des Mahorais où vous apportez quelques remèdes aux nombreux maux de Mayotte. Quel est l’objectif de cette lettre ?
Soulaimana Noussoura : J’ai écrit cette lettre quand la ministre des Outre-mer est arrivée la semaine dernière, car je considère que Paris a du mal à ouvrir les yeux concernant notre île et Mayotte fait beaucoup trop de bruit. Paris doit arrêter de dormir et Mayotte doit arrêter de faire du bruit pour rien. Le train est déjà en marche. Pour que l’on puisse le rattraper, il faut se mettre au travail et créer une passerelle afin d’y entrer.
FI : Vous dites qu’un développement économique n’est viable que si la finalité est sociale. Qu’entendez-vous par cela ?
S. M. : Je suis de ceux qui disent que le monde est devenu fou parce que le monde a oublié cette vision des choses. Les anciennes générations se sont battues pour qu’on ait ce que nous avons aujourd’hui afin de rendre la vie plus vivable. Un développement économique doit être pensé pour améliorer la qualité de vie des Hommes. Mais aujourd’hui, certains considèrent qu’ils peuvent avoir toujours plus d’argent même si à côté d’autres meurent de faim. Cela crée un déséquilibre dans la société.
FI : Selon vous est-ce que cette théorie est appliquée à Mayotte ?
S. M. : À Mayotte non plus nous ne considérons pas que le développement économique doit être pensé pour l’humain. À notre époque, nous ne devrions pas avoir ici des gens qui n’ont pas d’eau, pas d’électricité, qui ne peuvent pas se soigner, qui ne peuvent pas aller à l’école ou qui ne se sentent pas en sécurité chez eux. Le potentiel qu’a le monde aujourd’hui peut permettre à chacun de vivre convenablement, mais ce n’est pas ce qui anime tout le monde et c’est regrettable.
FI : Dans votre lettre, vous évoquez un plan Marshall pour Mayotte. En quoi consiste-t-il ?
S. M. : C’est une théorie que je défends depuis 2009-2010. Le plan se présente en 5 points. À l’époque, seulement 25 % de la population avait un emploi. Il fallait que le plan Marshall emmène ce pourcentage à 51 % au bout de 10 ans. La communication sous toutes ses formes est également un point essentiel. Il faut par exemple mettre tous les moyens pour que nous ne passions pas autant d’heures sur la route et diminuer les embouteillages. L’autre point essentiel est le développement de l’autosuffisance alimentaire. Enfin, il faut que les autorités mettent en place un plan habitat sur une trentaine d’années afin d’éradiquer les habitats précaires et que chacun puisse avoir un logement convenable.
FI : Comment pourrions-nous développer l’autosuffisance alimentaire chez nous ?
S. M. : Mayotte se développe et devient de plus en plus attractive. Il y a donc de plus en plus de personnes sur l’île. Nous devons nous préparer à nourrir tout le monde et cela passera pas l’agriculture. Il faut encourager les gents à s’y intéresser. Nous pouvons aussi passer des conventions avec les pays de la région pour des productions bien ciblées.
FI : Vous parlez également de dynamique économique permettant de créer des emplois. De quelle façon pouvons-nous concrétiser ce concept ?
S. M. : Il n’est pas normal que sur un territoire français, plusieurs membres de la même famille n’aient pas de travail. Il y a une quinzaine d’années, dans le plan Marshall, je parlais de créer une dynamique pour que dans 10 ans au moins 51 % de la population en âge de travailler ait un travail. Pour cela, il faut en premier lieu que les enfants aillent à l’école parce que chaque Français doit avoir les connaissances de base. Nous devons ensuite identifier les métiers en tension et former les jeunes pour qu’ils occupent les emplois qui existent. Enfin, les entreprises et les collectivités doivent faciliter les diplômés à s’insérer dans le monde du travail.
FI : Une décennie plus tard, avez-vous l’impression que la situation a évolué telle que vous l’envisagiez dans le plan Marshall pour Mayotte ?
S. M. : Nous n’avons pas fait le boulot. Il n’y a pas de plan pour le développement de Mayotte et l’évolution de sa population. Le boulot n’a pas été fait du côté de l’État, mais il n’a pas non plus été fait du côté des Mahorais. Nous devons expliquer aux décideurs parisiens que Mayotte c’est la France au même titre que les autres départements. Notre territoire était comme un bébé qui acceptait ce que nous lui donnions au début parce qu’il n’avait pas le choix et c’était suffisant. Aujourd’hui, le bébé a grandi et a besoin de plus pour s’épanouir, ce que nous lui donnons ne lui suffit plus pour vivre.
FI : Existe t-il cependant un moyen pour réparer la situation ?
S. M. : Oui nous avons les moyens d’y remédier, et la première chose à faire est d’inciter les jeunes à étudier afin d’avoir plus d’ingénieurs. J’ai envie de voir des Mahorais qui sont préfets, des Mahorais ministres, des Mahorais qui prennent leur place au sein de la République.
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