« Le confinement a été un échec »

À quelques jours du possible déconfinement de Mayotte, le député Mansour Kamardine doute sérieusement de la pertinence de cette prolongation. Et la juge même dangereuse. En cause, selon lui : les mesures imposées n’ont pas été accompagnées de moyens pour circonscrire l’épidémie. 

Flash Infos : La semaine dernière, vous demandiez au gouvernement que Mayotte soit déconfinée en même temps que la métropole. Cela n’est finalement pas le cas et ledit déconfinement est prévu pour le 18 mai. Le département vous semble-t-il vraiment prêt pour cela alors que le pic épidémique annoncé n’est pas encore atteint ? 

Mansour Kamardine : De l’analyse que je fais, je pense qu’on a pris une semaine de retard dans le déconfinement. Il tue au moins autant que le virus. On n’a pas encore mesuré aujourd’hui ses conséquences, mais deux mois de confinement, cela a été trop long. À cela s’ajoute qu’à la vue de ce qu’on observe à l’international, il n’est pas l’unique solution pour combattre l’épidémie. En Corée du sud par exemple, ou en Allemagne, en Suède, des pays où le confinement n’a pas été fait, on constate qu’il y a à peu près le même nombre de morts par million d’habitant que dans les pays qui l’ont appliqué. On peut donc avoir des doutes sur sa pertinence. Par ailleurs – et je parle là de manière générale, y compris à Mayotte –, le confinement a été un échec : il n’a pas empêché le virus de circuler. 

FI : Mais on peut imaginer que cela aurait été pire sans ces mesures… 

MK : Ce qui est pire, c’est que Mayotte n’a pas été dotée des moyens nécessaires pour assurer le succès du confinement. Lorsqu’on confine des populations, sans moyen pour tester tous ceux qui sont susceptibles d’être des porteurs potentiels du virus, et qu’on met deux mois avant d’avoir une timide réaction, il est normal que le virus prenne l’avantage. Un exemple : j’ai été personnellement touché par le Covid-19. Le 2 avril, les médecins m’annoncent que je suis positif. Déjà, cela veut dire que j’étais porteur depuis plusieurs jours. On me demande alors quels sont les gens que j’ai pu fréquenter avec proximité. J’en cite quatre et donne leurs numéros de téléphone. Pour qu’elles soient testées toutes les quatre, il a fallu attendre que certaines d’entre elles tombent malades 15 jours plus tard. Et encore, il a fallu que je les amène à Kahani pour imposer qu’elles le soient. On voit bien que les moyens ont manqué. On dit aux gens de rester chez eux s’ils ont des symptômes, de surveiller leur température et d’appeler le Samu en cas de difficultés respiratoires uniquement. Un médecin qui doit dire à quelqu’un de malade qu’il ne peut pas le traiter et qu’il doit rester chez lui, c’est un cas unique ! Or, si on les prenait en charge tout de suite, si on contrôlait directement l’environnement, on n’aurait sans doute pas propagé la maladie. On voit bien 

que confiner sans permettre les mesures d’accompagnement nécessaires, n’a aucun intérêt. C’est ce qui me fait dire que la solution n’est pas dans le confinement : le virus est en grande circulation. 

FI : Quelles solutions alors, selon-vous ? 

MK : La solution réside dans les tests, pour commencer. Ensuite, il faut donner des masques à tout le monde. Et puis il faut soigner. Lorsqu’on est testé positif, même asymptomatique, il faut être traité car on est alors susceptible de transmettre le Covid-19. C’est ce qui me fait dire qu’il faut désormais déconfiner sous ses conditions, dès l’instant où cela est fait de manière responsable et stricte. 

En réalité, comme le gouvernement n’avait pas préparé cette situation, il s’est retrouvé pris au dépourvu et a donné la priorité aux régions où le virus était en grande circulation au détriment d’un territoire comme Mayotte. Tester 30 personnes par jour, c’était manifestement insuffisant. D’ailleurs, on le constate depuis à peu près une semaine : après que la tension a baissé en métropole, on a pu dégager quelques moyens et tester 200 à 300 personnes par jour ici. Cette augmentation importante, avec une forte hausse du nombre de cas positifs, montre que le virus a déjà pris beaucoup d’avance par rapport aux moyens de lutte. Ce n’est pas une surprise, c’est le constat d’une situation que personne ne pouvait ignorer. Durant plusieurs semaines, le virus a emprunté des autoroutes sans rien pour le freiner. Il faut maintenant en tirer les conséquences : je demande qu’on arrive à plus d’un millier de tests par jour ; à ce que soient distribués des masques à l’ensemble de la population ; à soigner tout le monde ; et que soient contrôlées les frontières afin que plus personne ne rentre à Mayotte alors que nous n’avons déjà pas les moyens de faire face à la situation actuelle. 

FI : De manière générale, les mesures prises pour préparer le déconfinement du 18 mai vous paraissent-elles suffisantes ? 

MK : Ou bien on prend les mesures que je propose, quitte à les amplifier, ou bien le déconfinement ne pourra pas se faire. Aussi longtemps qu’on continuera à traiter Mayotte comme on l’a fait, on ne déconfinera jamais. Or, le confinement est en train de tout tuer, l’économie en tête. D’ailleurs, s’il n’a pas fonctionné, c’est que nous n’avons jamais été en mesure de confiner tout le monde, notamment toute cette partie de la population qui n’a pas de véritables logements, qui n’a pas de quoi manger ni d’accès à l’eau, etc. Et non seulement il a été impossible de les confiner, mais on s’est rendu compte aussi que les frontières de Mayotte n’étaient pas totalement étanches. Du coup, les Mahorais se sont dit qu’on leur demandait de rester enfermés alors que d’autres étaient en circulation, et ils sont sortis aussi. Cela a été un échec. Il faut donc mettre les moyens, sinon on ne réussira pas ce déconfinement, ni demain, ni après-demain. 

FI : Vous parliez de masques pour le déconfinement. Des commandes ont tout de même été passées et sont en cours d’acheminement, voire même déjà arrivées sur le territoire… 

MK : J’espère que la préparation est solide et que les masques seront tous bien là. Mon sentiment est que le confinement a été prolongé à Mayotte parce qu’on n’était pas prêt en termes de moyens, et non parce que le virus circule. Plusieurs personnes ont demandé à pouvoir importer des masques, et c’est le seul produit soumis à autorisation. Pourquoi freiner ces initiatives ? Des jeunes mahorais sont en mesure d’en faire venir, mais ils ne reçoivent pas les autorisations ; des personnes à Madagascar – là où d’ailleurs ont déjà été commandés des masques – sont prêtes à en fabriquer tout de suite, mais tout cela est verrouillé pour des raisons que j’ignore. Nous sommes pourtant là dans le commerce normal, pas dans des masques FFP2 ou chirurgicaux, juste des masques grands publics. Il faut, je crois, sortir de toutes ces autorisations administratives qui nous étouffent pour permettre à tous ceux qui peuvent en importer de le faire. Car le masque est la solution de base, la condition sine qua non du déconfinement. 

FI : Vous abordiez la question de l’économie. Avez-vous déjà réfléchi à des propositions pour soutenir sa reprise à Mayotte, où l’on sait qu’elle est déjà bien fragile ? 

MK : Ce qu’il nous faut, ce sont des activités permettant de créer des emplois durables. Il faut lancer des grands chantiers structurants, permettant aux entreprises de remplir leurs carnets de commandes et ainsi recruter des salariés. Or, en l’état, l’actuel contrat de convergence ne parle pas beaucoup à Mayotte. Un exemple : a-t-on le moindre commencement de travaux pour la construction des écoles, pourtant signée il y a un peu moins d’un an ? Non, il n’y a rien encore parce que tout est centralisé à la Deal. Or, celle-ci n’a pas les moyens techniques pour assurer la maîtrise d’œuvre de ces projets. On a une Deal qui a les yeux plus gros que le ventre, comme disait La Fontaine. Du coup, rien ne sort. Il faut permettre aux maires de s’en charger. Je plaide pour la mise en place d’une commission d’attribution des écoles au sein de laquelle on réunit les maires pour leur en confier la responsabilité. Les autorités d’équipement y joueraient un rôle de contrôle en tant que service de l’État pour s’assurer que le projet corresponde aux attentes. Mais en mettant les communes sous tutelle, on ne s’en sortira jamais. Voilà le type d’actions qu’on pourrait mener dans le cadre du contrat de convergence et qui ne se fait pas. Il prend fin en 2022, et sur le 1,6 milliard d’inscrit, on en aura utilisé que 30, 40 ou 50 millions. 

FI : Des grands projets existent pourtant, comme la piste longue par exemple, notamment dans le cadre du contrat de convergence. Craignez-vous que la crise économique, qui pourrait sévir à la suite de la crise mondiale du Covid-19, ne les freine ? 

MK : Le contrat de convergence ne prévoit pas le financement de la piste longue. Il prévoit de financer des études à hauteur de 1,5 ou 2 millions d’euros, mais c’est tout. Et on s’est rendu compte lors d’une première réunion, en janvier, que cette dotation était insuffisante. Il a même été demandé au Conseil départemental de mettre la main à la poche pour la compléter. Au-delà, le contrat ne prévoit pas non plus ce que j’appelle des « grands travaux » : quai de Longoni, contournement de Mamoudzou, agrandissement de l’université, etc. Pour en revenir à la question, il faudra effectivement que nous fassions attention. D’ailleurs je relève que le premier ministre nous a annoncé en octobre 2018, à Matignon, le lancement d’une opération d’intérêt national à Mayotte. Cela fait deux ans et on ne voit toujours rien venir. Je ne serai donc pas 

surpris que l’on invoque la crise, demain, pour justifier la non-réalisation des projets. La situation justifie pourtant amplement que ce contrat de convergence soit non seulement conduit à son terme, mais qu’il soit aussi amplifié.

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