“L’hôpital militaire” attendu d’ici une douzaine de jours à Mayotte

Alors que Mayotte se rapproche inévitablement du pic épidémique, le centre hospitalier de Mayotte s’apprête à accueillir un hôpital militaire dans ses murs vers le 16 mai et à transférer des patients non-Covid vers La Réunion pour libérer des lits. Si ces deux nouvelles sont plutôt rassurantes, le docteur Philippe Roche, le directeur médical de crise au CHM, souhaite que l’agence régionale de santé mobilise d’autres professionnels de santé pour réaliser les prélèvements afin que le personnel soignant puisse renforcer les soins des patients. 

Flash Infos : Ce lundi, le préfet de Mayotte, Jean-François Colombet, a confirmé le transfert des personnels et des matériels de l’hôpital militaire installé jusqu’alors à Mulhouse. 

Philippe Roche : Une mission exploratrice est venue il y a quelques jours. Un inventaire de tous les DOM-TOM a été dressé, car les militaires se doutaient bien qu’ils allaient se projeter dans l’un d’entre eux en fonction de l’évolution de l’épidémie. Mis à part la Martinique, il n’y a aucun autre territoire ultramarin où la surface au sol dans l’hôpital est assez grande pour accueillir leurs tentes. Conséquence, il faut libérer de la place que nous avions réservée à l’accueil de patients en médecine, et que nous allons devoir déplacer. Or, nous avons épuisé toutes les salles possibles et utilisables dans l’établissement. Et se déporter à l’extérieur du CHM est logistiquement impossible puisque ce public nécessite des scanners quasi quotidiens et des examens biologiques. 

Même si nous nous sommes mis d’accord sur un schéma, ce sont les ministères qui tranchent. Nous sommes partis sur l’idée que nous leur fournirons les locaux et eux arriveront avec de quoi faire tourner entre 10 et 20 lits de réanimation et une quinzaine de lits de médecine Covid. 

Quand bien même nous aurions eu l’espace pour accueillir toute leur structure, cela aurait nécessité six rotations de A400M, des tonnes et des tonnes de matériel à démonter là-bas et à remonter ici, le tout après désinfection… Cela n’avait aucun sens, car ils seraient arrivés le 15 juin, après la guerre ! Avec notre proposition, nous les attendons vers le 16 ou 18 mai. La durée de leur mission n’est pas figée. Mais je pense qu’elle se limitera à un ou deux mois, grand maximum, si l’épidémie devait être intense et longue. 

FI : En attendant cette arrivée, le président de la République, Emmanuel Macron, a pris la décision, jeudi dernier, de renforcer les évacuations sanitaires. Qu’en est-il de ce dispositif ? 

P. R. : Nous allons effectivement transférer six patients non Covid (dengue, insuffisance cardiaque, traumatisme crânien…) à La Réunion cette semaine. Nous allons avoir très prochainement une réunion téléphonique avec le corps médical de là-bas pour évaluer le nombre d’envois possibles. Après, il faut bien comprendre que si nous étions amenés demain à recevoir 100 ou 150 patients atteints de Covid en hospitalisation, il n’y aurait pas d’autres solutions que d’installer des structures sous tentes dans la cour de l’hôpital pour accueillir ceux qui présentent des pathologies qui ne sont pas très graves, mais qui ne peuvent pas rentrer chez eux. 

Le nombre insuffisant de lits d’hospitalisation est propre à tous les établissements français. En médecine à Mayotte, nous avons 14 lits pour 100.000 habitants, c’est un chiffre extrêmement bas par rapport à La Réunion et encore plus par rapport à la métropole. Depuis 20 ans, la communauté médicale n’a cessé d’alerter sur ces fermetures intempestives. Nous travaillons déjà en flux tendu en temps normal, alors imaginez en période épidémique… Dès qu’il y a un afflux de patients, les hôpitaux français sont incapables d’y faire face ! 

FI : Depuis deux mois, vous vous étiez préparés en interne à faire face à cette épidémie. Cette avance, grâce au décalage avec la métropole, vous l’avez progressivement perdue au fil des semaines… Comment l’expliquez-vous ? 

P. R. : Quoique nous disions du confinement, il a été efficace à Mayotte pendant plusieurs semaines. À l’hôpital, il ne se passait pas grand-chose alors que nous l’avions dans le même temps profondément réaménagé. Je pense notamment aux deuxièmes urgences, dans lesquelles nous avons fait un test récemment pour former le personnel soignant. Depuis deux ou trois jours, nous réfléchissons très fortement à l’ouvrir pour y intégrer la pédiatrie et la traumatologie. Pour ne traiter que des cas de Covid dans les urgences actuelles, même si nous allons garder des circuits séparés pour les patients que nous ne pourrons pas prendre en charge de l’autre côté, notamment les déchocages, les polytraumatisés de la route, etc. 

Puis en 36 heures, nous avons dû ouvrir 6 ou 7 lits supplémentaires pour nos postes d’urgences. C’était un challenge énorme pour remplir les pharmacies par exemple. À chaque fois, cela représente des coups de fatigue supplémentaires que nous imposons à notre personnel soignant. C’est très difficile de continuellement s’adapter au fil des semaines ! Quand nous ouvrons de nouvelles unités, cela veut surtout dire que nous en déplaçons un peu par ci pour en mettre par là. C’est le jeu des chaises musicales qui représente une charge de travail toujours plus conséquente. 

Le deuxième mécanisme est le travail avec d’autres partenaires pour étendre les capacités limitées de l’hôpital. Comme pour l’internat de Tsararano ou le centre de rétention administrative… et à chaque fois, dans ces cas-là, nous rentrons dans cette espèce de millefeuille français administratif qui est un frein, parce que ça oblige à beaucoup communiquer. Et la communication peut parfois être défaillante (rires)… 

FI : Ces frictions avec les institutions sont sûrement inévitables pour que vous puissiez bénéficier de matériels supplémentaires ou encore de la réserve sanitaire… Êtes-vous plutôt rassuré à ce sujet-là ? 

P. R. : Oui, beaucoup plus qu’il y a quelques semaines ! Nous sentons qu’il y a une prise de conscience gouvernementale du risque épidémique à Mayotte et une volonté d’intervenir. Nous avons des retours positifs de Santé Publique France (SPF). Après, à la différence des militaires qui arrivent en équipe complète, les personnels de SPF sont isolés. Heureusement, nous avons eu la chance de bénéficier dans leurs rotations d’anciens soignants CHM. Mais pour les autres, c’est plus compliqué, car il faut les former pour une mission de quinze jours. Travailler ici est tout à fait différent de la métropole : il y a les problématiques linguistiques, pathologiques et socioculturelles à prendre en compte. Ils ne restent pas assez longtemps pour être pleinement efficaces dans nos chaînes de soins. Mais SPF a entendu notre requête et s’organise désormais pour envoyer des médecins sur une durée d’un mois. Nous avons aussi le sentiment que si nous avons des besoins supplémentaires, l’agence nationale y répondra. Mais nous ne voulons pas non plus être gourmands trop tôt et perdre en crédibilité. Cet équilibre-là est difficile à jauger et à trouver en cette période. 

FI : Indépendamment de l’hôpital de Mamoudzou, comment se déroule la gestion de la crise dans les centres périphériques ? 

P. R. : Sur les centres périphériques, nous avons fait le choix d’essayer de ne pas faire rentrer de patients Covid à l’intérieur. L’idée est de réaliser un tri le plus précis possible à l’entrée et de prélever énormément. Tant que l’afflux n’est pas massif, nous allons rester dans cette politique pour préserver ces structures qui accueillent des malades chroniques. Ils n’ont pas les moyens et puis de toute façon, ce n’est pas leur vocation de traiter le virus. 

Parmi les autres bonnes nouvelles de ces derniers jours, nous devrions recevoir dans la prochaine rotation du Mistral un hélicoptère sanitaire pour la durée limitée de la crise. Ce nouvel outil va nous permettre de maintenir cette politique de récupération des patients les plus graves très rapidement dans les différents centres médicaux de référence. Au lieu de prendre deux heures par la route pour aller les chercher, si nous pouvons les ramener en cinq minutes, ça change complètement la donne ! 

FI : Concrètement, qu’est-ce que change le passage en phase 3 de l’épidémie ? 

P. R. : Nous avons tout remarqué depuis une semaine que nous avons une ascension de nombre de cas, et notamment des cas graves, qui a amené au passage en phase 3. Le problème est que cela vient impacter une politique nationale de mise en place de prélèvements massifs sur le plus grand nombre de la population pour préparer le déconfinement. À Mayotte, la volonté gouvernementale est d’en réaliser entre 500 et 1.000 par jour. Sauf que nous sommes en décalage. On nous demande de commencer à appliquer les mesures métropolitaines alors que nous devrions entièrement nous consacrer sur les soins parce que nous allons très prochainement atteindre le pic épidémique qui va mobiliser toutes nos ressources sanitaires. Pour nous, c’est compliqué à gérer, car nous nous retrouvons avec deux “boulots” sur le dos, à savoir du dépistage, qui représente 25 % de l’activité des urgences et du soin, le tout à personnel constant… 

Une circulaire ministérielle est sortie il y a quelques jours stipulant que d’autres professionnels de santé, comme des kinésithérapeutes ou des dentistes, peuvent être formés pour réaliser ces dépistages. Nous attendons impatiemment que l’agence régionale de santé les mobilise, sachant que bon nombre d’entre eux sont actuellement au chômage partiel en raison de la fermeture de leurs cabinets. Car à l’hôpital, nous bloquons quotidiennement plusieurs médecins et infirmiers sur cette mission au détriment de l’ouverture du deuxième service d’urgences par exemple. Or, nous ne pouvons pas si nous ne récupérons pas ce personnel ciblé. À un moment donné, il y a un arbitrage à faire : soit nous continuons à prélever et dans ce cas-là, nous ne pouvons pas soigner tout le monde, soit nous misons tout sur les soins, ce qui est normalement imposé par la phase 3. 

FI : Quand espérez-vous recevoir une réponse claire des autorités sur la question ? 

P. R. : Je ne sais pas (rires). Si nous n’avons pas de réponse, nous trancherons en interne, quelles que soient les directives régionales et nationales. Si nous ne pouvons pas faire les deux, nous ferons un choix ! Et celui-ci est déjà fait dans nos têtes… Nous n’allons pas laisser mourir certains, car d’autres doivent se faire mettre des cotons-tiges dans le nez ! Nous arrêterons de prélever de manière unilatérale, que cela plaise ou non. Ce sera peut-être conflictuel, mais nous assumerons notre décision, dans l’intérêt des malades.

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