Faridy Attoumane, le nouveau visage de Mayotte à Paris

Le 1er décembre 2023, Faridy Attoumane a été nommé délégué de Mayotte à Paris. En déplacement à Mayotte, il nous confie ses motivations.

Flash Info : Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir délégué de la délégation de Mayotte à Paris ?

Faridy Attoumane : Je dirais que les raisons sont multiples. J’ai toujours été dans l’administration, porté des politiques publiques et là en l’occurrence, il s’agit de ça. De plus, Mayotte c’est mon territoire. Cela fait plus de vingt ans que je suis au service de l’État et l’opportunité de pouvoir apporter mon expertise et ma connaissance en matière d’administration et de politique publique s’est présentée. Le temps est venu pour nous de renouer avec notre territoire et apporter tout ce que nous avons appris, pour permettre le développement dont Mayotte a besoin.

F.I : Vous avez évoqué votre ancienneté dans le domaine administratif, est ce que vous pouvez nous en dire plus sur votre parcours ?

F.A : Naturellement. J’ai eu une maîtrise administration et gestion des entreprises économiques et sociales. À la suite de ce diplôme, je suis rentré pour travailler ici à Mayotte. J’ai commencé à la direction de l’emploi et l’insertion professionnelle en tant que coordonnateur emploi de formation, c’est-à-dire mettre en œuvre toutes les politiques publiques dédiées à la formation professionnelle et à l’insertion des publics en recherche d’emploi. Par la suite, j’ai évolué en tant que responsable de ce service, le service de formation professionnelle. J’étais parallèlement chargé de mission régionale dédiée à la lutte contre l’illettrisme. C’est un sujet qui touche l’Hexagone, mais également les territoires d’Outre-mer comme Mayotte. Ce qui m’a amené plus tard à devenir délégué du préfet à la politique de la ville à la préfecture de Mayotte. À la suite de cette dernière mission, je me suis dit qu’il était peut-être nécessaire d’aller muscler mon jeu, comme on peut le dire vulgairement, en matière d’administration en allant travailler à la centrale. Donc je suis allé travailler au ministère des Outre-mer pendant pratiquement dix ans. Ces dix années, m’ont forgé pour ramener de quoi accompagner le territoire.

F.I : Revenons sur votre nomination, quelles sont les actions que vous souhaitez mettre en place en tant que délégué ?

F.A : Je tiens d’abord à saluer le travail de mes successeurs. Il ne faut pas oublier une chose, la délégation de Mayotte, c’est le continuum du département, donc c’est une administration avec la vocation d’assurer la continuité des politiques publiques souhaitées par les élus et par nos autorités. Moi, mon rôle va s’inscrire dedans, dans la politique voulue par le président du conseil départemental, Ben Issa Ousseni. Il faudra m’adapter par rapport aux réalités qui sont les miennes en Hexagone. Nous avons plusieurs cibles, si je peux me permettre du terme. Nous avons tout d’abord les étudiants, chaque année, c’est plus de 4.000 jeunes qui arrivent en Hexagone.

L’une de nos premières missions, c’est déjà s’atteler à accompagner ces jeunes, les installer de manière à s’assurer que leur première année se déroule de la meilleure façon afin d’éviter des redoublements ou des abandons de filière.

Ensuite, nous avons de plus en plus de familles qui viennent s’installer en Hexagone. C’est un phénomène à mon avis qui va s’amplifier. Sur dix familles qui viennent s’installer, deux sur dix vont être agiles facilement à leurs arrivés alors que les huit autres vont être confrontées à des problématiques diverses d’accès aux droits, d’accès à l’information. Donc notre rôle aussi va être d’accompagner ses familles. Mon travail va s’atteler à sensibiliser nos partenaires.

F.I : Vous avez parlé d’un accompagnement pour les jeunes et les familles qui partent en Hexagone, comment allez-vous les accompagner concrètement ?

F.A : Concrètement, on va essayer de travailler avec les services de l’État tel que les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) pour essayer de faciliter l’accès aux logements. Nous faisons plus de 10.000 km, ce n’est pas rien comparé à un étudiant qui quitte Marseille pour venir à Paris. Je sais que ce sont des éléments qui sont déjà pris en compte, mais on va essayer de sensibiliser davantage.

On va créer des partenariats avec les entreprises de l’Hexagone. On peut se rapprocher de la Colas, de Total, de Carrefour. Toutes ces entités, qui officient à Mayotte, ont souvent besoin de main d’œuvre qualifiée. Pourquoi ne pas partir de cette base avec leurs représentations, pour mettre en œuvre des politiques qui soient cohérentes ? On peut commencer ce travail depuis l’Hexagone pour former les jeunes, leur permettre de mettre un pied à l’étrier et puis une fois qu’ils sont mûrs, ils pourront être embauchés.

Concernant l’accès aux droits, c’est notre travail aussi, de sensibiliser les services de l’État et du gouvernement selon le domaine, où il y’a de la fragilité dans la politique publique. L’administration est de plus en plus numérisée, alors imaginez une personne qui n’est pas familiarisée avec l’outil, donc c’est une personne qui est exclue. Or, on sait que des organismes comme l’agence nationale contre l’illettrisme (ANCI), mettent en place des dispositifs, où on peut inscrire les Mahorais et Mahoraises qui veulent, pour avoir plus d’aptitudes avec les ordinateurs. Avec l’appui des associations sur place, nous pouvons détecter et identifier les besoins en matière d’accompagnement et à ce moment-là, on pourra orienter les familles qui ne maîtrisent pas la langue française ou qui sont démunies d’ordinateurs, vers ces points dédiés, pour qu’ils puissent bénéficier des services.

Pour moi, il faut de la méthode, il faut s’organiser. J’estime que le département me donne les moyens, j’ai l’équipe qu’il faut pour déployer ça, donc c’est quelque chose de faisable et on peut le faire.

F.I : Quand vous parlez de partenaires, ça serait dans quels domaines ?

F.A : Ces dernières années, j’ai travaillé au ministère des Outre-mer, j’ai eu l’occasion de travailler avec différents partenaires qui mettent en place des opérations pour promouvoir et valoriser nos territoires ultra-marins, il ne reste plus qu’à focaliser ces énergies sur Mayotte. Je peux donner l’exemple de la course marine qui réunit un grand nombre de partenaires et de professionnels de la mer. Là où nous sommes, il y a la possibilité d’organiser une activité similaire. L’avantage de cette activité serait d’attirer du monde et de générer d’autres activités autour qui ramènerait donc de la plus-value. Nous avons la mer, l’environnement et les potentialités pour organiser une manifestation d’envergure dans ce sens, qui peut donner de la visibilité à l’extérieur de Mayotte.

F.I : Et concernant les partenaires existants ?

F.A : On avait déjà une convention avec la Banque française commerciale Océan Indien (BFC), il suffit de voir comment on peut l’ajuster par rapport à Mayotte. Pour Colas, rien ne m’empêche de me faire appuyer par la représentation locale pour avoir une entrée au national.

F.I : Quels seraient les potentiels obstacles pour l’aboutissement de vos projets en tant que délégué de Mayotte à Paris ?

F.A : Sans doute la fragilité que nous allons avoir, c’est le fait qu’on n’ait pas de données. On est incapable aujourd’hui de dire combien il y a de Mahorais en Hexagone. On n’est pas non plus en capacité de situer les Mahorais. Il y a eu un diagnostic qui a été mené par mon prédécesseur, Mohamed Zoubert, l’année dernière. Ce diagnostic nous donne déjà quelques éléments, mais malheureusement, il est resté fragile. Les personnes qui avaient accepté en amont de répondre aux enquêtes se sont désistées. Si on avait les données, je serais plus à l’aise à dire voilà, on va cibler Paris, la Bretagne, etc. On peut s’appuyer sur la fédération des associations mahoraises en métropole (Famm) pour identifier les personnes. Naturellement, ce ne sera pas pareil que si on avait des données telles que celles qui sont produites par l’Insee. Donc on n’a pas le choix.

F.I : Tout à l’heure vous avez évoqué votre amour pour Mayotte, quel aspect de l’île aimeriez-vous valoriser au niveau national et même international ?

FA : Les habitants de l’île, parce que déjà une île sans habitants n’a pas lieu d’être. L’âme de Mayotte, ce sont les Mahorais. Il y’a déjà le côté généreux, bienveillant, accueillant, le côté à faire les choses simples. Ici, c’est la paix donc il ya cet aspect-là déjà de la paix. Puis les atouts. Mayotte a tout cet environnement naturel que ce soit le bleu ou le vert, que ce soit la mer ou la forêt. On le sait depuis des années, on a des espèces indigènes qui n’existent qu’ici et nulle part ailleurs.

Aujourd’hui, le monde se tourne vers une préservation de la planète. Nous, on a déjà une nature préservée. Aujourd’hui, on arrive à réaliser de belles opérations pour créer de l’attractivité sur le territoire sans dénaturer la richesse qu’on a ici.

F.I : Justement, comment allez-vous faire pour faire connaître ces aspects-là ? 

F.A : Moi, je suis un chef d’orchestre. J’ai la chance d’avoir plusieurs personnes qui jouent chacun leurs partitions au sein de Mayotte, donc à moi en tant que chef d’orchestre d’amplifier là où on a du mal à donner du sens. Vous avez vu récemment les jeunes de Bandrélé qui ont brillé au national avec leurs chants et leurs danses. Ça ce sont des choses qu’on peut amplifier en prenant en compte toutes les initiatives qui nous viennent.

Je n’ai pas l’intention de créer quelque chose, ça existe déjà, des artistes talentueux, des artisans talentueux. Nous avons des secteurs qui fonctionnent bien. À chaque fois que je serais sollicité pour apporter une amplification aux actions qui sont menées je serais disponible.

Il faut dire aux Mahorais que la délégation de Mayotte est la leur. Elle concerne aussi bien la population de manière naturelle, mais aussi des futurs investisseurs et chefs d’entreprises. Tout le monde est la bienvenue là-bas. Les jeunes porteurs de projets si nous on peut les mettre en lien avec des gens ici qu’ils n’hésitent pas.  La délégation de Mayotte à Paris est une petite Mayotte dans le XVIème arrondissement. Si on peut accompagner les Mahorais dans leurs démarches, on le fera avec grand plaisir, il suffit juste de nous alerter, de nous dire la personne qu’ils veulent rencontrer à ce moment-là si nous avons suffisamment de temps pour organiser ces rencontres, on le fera avec plaisir.

Nous avons déjà des personnes qui œuvrent dans ce domaine. Nous avons aussi une structure dédiée à Paris, l’agence du tourisme qui mène de belles actions, qui participe notamment à des salons pour donner de la visibilité à nos atouts. Intelligemment, je m’associe avec eux pour amplifier leurs actions.

F.I : Vous avez beaucoup parlé des jeunes. Quels messages aimeriez-vous leur faire passer ? 

F.A : Moi, je fais partie de ceux qui pensent que l’atout de Mayotte, c’est la jeunesse. Si je dis cela, c’est parce que j’y crois. On a de plus en plus de jeunes mahorais qui relèvent des challenges qu’on n’aurait jamais imaginés il y’a dix quinze ans. Il suffit pour nous les adultes de tendre la main aux jeunes. Il ne faut pas oublier que nous étions nous aussi des enfants et on admirait les adultes. Ces jeunes, même ceux qui font les couillons, ce sont des jeunes qui rêvent d’espérance. Donc il suffit de donner le modèle. Un jeune qui se retourne contre nous, c’est qu’on a failli tous collectivement donc on ne peut pas simplement dire qu’il est méchant, il est ceci, il est cela. Pour moi, c’est toute une question d’éducation.

Qu’est-ce que je peux dire à la jeunesse mahoraise ? Tout simplement croire en leur rêve et en leur espérance, parce que ce sont eux qui porteront haut les couleurs de Mayotte. Vous le voyez quand on va au jeu des îles de l’océan Indien par exemple, malgré le peu de moyens que nous avons ici, on revient quand même avec des médailles. Il y a quand même une grande fierté.

Tout à l’heure en début d’entretiens nous avons parlé d’outils numériques. Vous savez qu’aujourd’hui, c’est un monde qui appartient aux jeunes, donc demain, une bonne partie de notre énergie va être véhiculée par des jeunes qui sont hyper agiles sur ces outils-là et on aura besoin d’eux pour sans doute nous accompagner. Ils vont nous apporter des savoirs faire que nous ne connaissions pas, mais qui vont nous faciliter la vie.

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