Alors que la Caisse des dépôts et des consignations (CDC) a lancé un plan de relance pour soutenir le secteur de l’immobilier, durement éprouvé pendant la crise sanitaire, André Yché, président de sa filière habitat, actionnaire largement majoritaire de la SIM depuis 2018, met en exergue l’opportunité que cela représente pour Mayotte, mais aussi les difficultés rencontrées pour structurer la chaîne de production. Il met d’ailleurs en garde : si cet argent n’est pas utilisé ici, il le sera ailleurs.
Flash Infos : L’an dernier, CDC Habitat a lancé un ambitieux projet de construction de 4.500 logements sociaux d’ici 10 ans à Mayotte. Qu’en est-il de cette volonté ?
André Yché : Nous avons recapitalisé la Société immobilière de Mayotte (SIM) pour lui donner plus de moyens et nous sommes aujourd’hui à quelque chose comme 90% du capital, car cette augmentation a été faite sans que nous soyons suivis par les collectivités territoriales. Le conseil départemental avait envisagé de la suivre aussi, mais je crois qu’elle n’a jamais eu lieu. Quoi qu’il en soit, grâce à cette recapitalisation, la production a notablement augmenté puisque la SIM sort, en temps normal, 500 à 600 logements par an. Si on se projette sur 10 ans, cela fait 5.000 à 6.000 logements. Nous sommes donc dans le ton.
Le point faible que l’on a à Mayotte – et dans les autres Outre-mer également –, est qu’il ne suffit pas d’avoir un opérateur comme la SIM, qui soit solidement recapitalisé, il faut aussi une chaîne de production qui suive. Cela inclut d’une part le foncier aménagé – l’EPFAM* travaille avec nous en ce sens –, mais aussi les capacités d’aménagement, puis le secteur du BTP. La SIM fait elle-même de l’aménagement, mais elle a sans doute des équipes à renforcer encore là-dessus. Quant au BTP, on éprouve des difficultés à faire venir de nouvelles entreprises pour renforcer la capacité de production et pour organiser un peu de concurrence, car les prix sont tout de même très élevés. Quand on a de grosses opérations comme celle de Chirongui, par exemple, on essaye aussi de trouver des cadres et ingénieurs qui puissent apporter leur aide depuis La Réunion, où l’on dispose de beaucoup plus de personnels et d’effectifs.
Toutes ces questions d’ordre structurel, nous les rencontrons depuis que nous sommes à Mayotte. On essaye de les régler et la situation s’est globalement améliorée, en particulier parce que la SIM s’est dotée de moyens importants pour accroître sa production. Mais la structuration de la filière demeure problématique et ce problème va se trouver accentuer par le plan de relance [de la Caisse des dépôts et consignations, destiné à soutenir l’activité immobilière à la suite de la crise sanitaire, NDLR]. Ce dernier fait en effet apparaître un vrai potentiel de production, mais encore faut-il que tous les éléments de la chaîne soient réunis.
FI : Quid de ce plan de relance localement ?
A. Y. : On a reçu, de la promotion locale, 1.300 propositions de logements : des programmes répartis sur plusieurs communes. Nous regardons tout cela de près et à la fin du mois de juin nous aurons commandé environ 500 logements supplémentaires, en plus de la production normale. Si tout va bien, au troisième trimestre, nous doublerons ce chiffre pour en commander 500 à 600 de plus. Nous devrions donc dépasser les 1.000 logements supplémentaires. C’est une opportunité extraordinaire pour Mayotte – et les Outre-mer en général – d’accélérer la réalisation du plan logement. Au titre de la relance, on va être en état de commander l’équivalent de deux années supplémentaires de production. C’est au-delà des espérances, mais nous souhaitons que cela ne soit pas au-delà des capacités de production. Le problème va se poser car on va injecter entre 150 et 200 millions supplémentaires dans l’île pour ces programmes immobiliers et cela représente un gros plan de charge. Il va falloir que les entreprises s’adaptent.
FI : Vous parliez de difficultés pour faire venir des entreprises, des effectifs, etc. À quoi sont-elles dues ?
A. Y. : Toute une série d’éléments convergent. Pour les entreprises, on s’est tourné vers les majors afin de faire en sorte qu’elles soient davantage présentes. Mais elles ont des préoccupations, alors il faut leur fournir un plan de charge. C’est ce qu’on est en train de faire, malgré quelques difficultés jusqu’à présent.
Pour répondre à des besoins de production accentués – ce qui va être le cas dans les mois qui viennent –, il faudrait se poser la question de la réalisation d’unités de production un peu industrialisées, pour avoir des produits moins chers et en quantité plus importante. Nous sommes amenés à envisager une relance très importante de l’activité pour soutenir le bâtiment, à Mayotte comme partout, et il faut que toute la chaîne du BTP réponde. C’est notre souci majeur. À l’échelle nationale, cela représente un engagement d’au moins 10 milliards d’euros d’investissement, probablement 12 milliards à la fin. Il faut donc que le BTP soit en état de tirer tout le profit de cette manne. Et pour ça, il faut avoir toutes les capacités humaines, que ce soit quantitativement ou qualitativement, et avoir un niveau de production à la hauteur des ambitions.
Nous sommes en train de voir de quelle manière nous pouvons encourager tout cela. On présente notre programmation en mettant en avant le plan de charge tel qu’il pourrait se réaliser. C’est l’exercice auquel nous allons procéder à Mayotte, avec la question de la sortie du confinement et de la reprise des chantiers.
FI : Justement, cette crise sanitaire impacte encore Mayotte puisque l’île n’est pas encore désenclavée. Dans quelle mesure vos projets sur l’île ont-ils été impactés par cette période ?
A. Y. : Il y a eu un ralentissement de la production, mais par rapport à d’autres endroits, les chantiers se sont moins arrêtés. Je crois qu’ils ont d’ailleurs pratiquement tous repris aujourd’hui. Notre préoccupation désormais, c’est d’être vigilants sur les mesures de protection sanitaire pour les personnels et pour les entreprises qui travaillent sur nos chantiers, tout en faisant tout ce qu’il faut pour que cela ne s’arrête pas à nouveau.
FI : Pour en revenir à la problématique des capacités de production, sur quels leviers peut-on agir pour l’améliorer ?
A. Y. : Il y a deux axes fondamentaux selon moi. Le premier est d’avoir une programmation sérieuse. C’est ce que nous faisons et cela va être très concret bientôt : avant la fin de l’année, nous aurons négocié et contractualisé la totalité des programmes. Il faudra alors dire clairement quels sont les chantiers qui vont démarrer, sur combien de logements ils vont porter, à quels endroits, etc. En somme : avoir une programmation extrêmement précise de ce qu’on envisage de faire sur deux ou trois ans ; et avoir également une programmation glissante, c’est-à-dire la réactualiser chaque année, en rajoutant les chantiers à venir, en sortant ce qui ont été réalisés, etc. C’est indispensable pour que tous les acteurs – et les entreprises du BTP en particulier – aient une vision précise du plan de charge et qu’ils puissent adapter leurs effectifs, etc.
Cela dit, il ne faut pas s’imaginer non plus qu’on va distribuer de l’or gratuitement. L’objectif reste avant tout un certain niveau de production, de productivité et de qualité. On n’est pas prêt à tout accepter à n’importe quel prix.
Le deuxième axe d’effort, c’est de mieux intégrer toute la chaîne de production, en particulier avec les porteurs de foncier et les aménageurs. C’est la première condition. Il se trouve que la SIM est un très gros propriétaire foncier sur Mayotte et qu’elle a donc pas mal de ressources foncières en elle-même, mais on peut aussi travailler – en particulier pour développer les capacités d’aménagement – avec l’EPFAM. Dans la mesure où la SIM est le seul investisseur/maître d’ouvrage significatif en dehors de l’État et des collectivités territoriales de l’île, c’est assez facile de structurer cette coopération. Le nombre d’acteurs est assez limité. Cela devrait se faire sous l’égide de l’État. Il pourrait s’engager dans cet exercice-là.
Mais il faut aussi que cela soit une affaire de professionnels. Nous allons donc voir dans quelle mesure nous pouvons aider la SIM en envoyant périodiquement un cadre de métropole pour animer une structure de ce type-là. Il conviendrait de faire émerger dans chaque Outre-mer un cluster aménagement/habitat qui associe tous les acteurs de l’aménagement, de la construction et de la gestion. Ce sont deux axes fondamentaux pour travailler dans la durée, car il ne suffit pas d’injecter de l’argent, il faut aussi mettre à profit un plan de relance pour essayer de structurer une filière. Et là, il faut beaucoup de volontarisme et de fermeté politique. Quand les conditions de transport seront revenues à la normale, je viendrai sans doute à Mayotte pour faire passer quelques messages en ce sens, à la fois clairs et fermes, à tous les acteurs. On arrive avec beaucoup d’argent, maintenant c’est à eux de s’organiser pour qu’il soit dépensé. Si on ne peut pas le faire, on l’utilisera ailleurs. Il y a aussi des systèmes de subventions publiques comme la LBU**, et il faudra que ce soit au rendez-vous, mais ça, nous le verrons avec le ministère des Outre-mer.
La situation paradoxale, c’est que le groupe de la Caisse des dépôts a dégagé d’énormes ressources supplémentaires pour soutenir les territoires, mais ce n’est pas parce qu’on dégage des ressources énormes que tout va pouvoir se réaliser. C’est possible uniquement si tout le monde est au rendez-vous. C’est l’avantage de cette opération : chacun est placé devant ses responsabilités. On ne pourra pas dire que les bailleurs à Mayotte sont insuffisamment actifs ou productifs : on amène les ressources financières nécessaires pour que la SIM puisse au moins doubler sa production dans les deux ou trois ans qui viennent.
Qu’est-ce que c’est que l’économie ? Fondamentalement c’est deux choses : de la confiance et de l’organisation dans le tissu des opérateurs. Ces deux conditions doivent être réunies simultanément. La confiance, c’est nous qui la représentons en apportant des ressources grâce au soutien de la Caisse des dépôts, un actionnaire plus que solide. Il faut que ce qui est au départ une contrainte – le risque que l’économie et l’emploi s’effondrent – soit transformé en opportunité. Il faut que chacun soit au rendez-vous des responsabilités : que les collectivités soient là, que les services délivrent les permis de construire dans un temps record, que le BTP s’organise pour répondre à des conditions de productivité raisonnable – parce que ce n’est pas parce qu’il y a crise que nous allons leur payer des marges trois fois supérieures –, et que les autres prestataires, pour les raccordements par exemple, soient également au rendez-vous. On ne peut pas être les seuls à ramer sur la mer de la tranquillité. Les cartes sont sur la table, nous les fournissons. L’opportunité est exceptionnelle, maintenant c’est à eux de s’en emparer pour produire dans les meilleures conditions.
FI : Les investissements réalisés ici représentent combien en termes d’emplois ?
A. Y. : Quand on est sur des niveaux de productivité normaux, on considère qu’un logement engendre 1,2 emploi pendant deux ans. Pour des raisons climatiques et autre, le niveau de productivité à Mayotte n’est pas le même. Mis bout à bout donc, le programme peut générer entre 1.500 et 2.000 emplois. Mais pour ça, il faut aussi que les gens qui sont dans les instances économiques s’organisent pour faire un effort de formation localement.
Depuis qu’on est arrivé dans la SIM, le paysage a changé singulièrement. À notre arrivée, elle produisait 100 logements par an environ, aujourd’hui elle en est à 500, et elle va bientôt se retrouver avec un plan de charge de 1.000 logements supplémentaires par rapport à sa production habituelle. Toutes les chances sont là, il ne reste plus qu’à les saisir. Cela serait paradoxal et très dommageable que cette opportunité ne soit pas saisie. Mayotte est occupée par beaucoup de sujets difficiles, c’est vrai, mais cela reste un endroit paradisiaque qui mérite d’être valorisé.
*Établissement public foncier d’aménagement de Mayotte ** Ligne budgétaire unique
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