Carole Lambert : “Exister c’est se montrer, accepter qu’il y ait des films, des livres qui parlent de Mayotte”

Carole Lambert – dont le dernier long métrage est Gueule d’ange, avec Marion Cotillard – est la productrice du film Le destin de Mo, actuellement en tournage sur l’île. Elle revient ici sur les coulisses d’une aventure pas comme les autres, qui doit jongler avec les difficultés du territoire et surtout, avec les susceptibilités de chacun. À l’instar de celle du conseil départemental qui a refusé de subventionner le film. Elle rappelle, pourtant, qu’il s’agit bien là de la première réalisation cinématographique sur l’île.

Flash Infos : Après avoir décidé d’adapter le roman Tropique de la violence au cinéma, que s’est-il passé pour enfin, aujourd’hui, en être au tournage ?

Carole Lambert : D’abord, Nathacha Appanah nous a fait confiance en nous cédant les droits de son livre, c’était une belle victoire ! S’en est suivi un processus plutôt classique d’écriture du film comme nous souhaitions le faire. Mais ce que nous imaginons dans ce processus doit être confronté à la réalité et en l’occurrence, à Mayotte. C’est un territoire que nous ne connaissions pas du tout et il nous fallait faire ce travail car son importance est immense dans le livre, au-delà du cadre, c’est presque un personnage à part entière. Nous sommes donc venus assez tôt sentir, voir, ressentir cette île.

Je crois que nous sommes tombés amoureux de l’endroit, dans toute sa complexité. Il en est ressorti une sorte d’évidence. Nous nous sommes dit que ça allait être très difficile, très compliqué mais qu’il fallait absolument faire ce film ici. Une fois que nous sommes portés par cette évidence, malgré les difficultés, nous pouvons mettre tout en œuvre pour parvenir à ce que nous voulions et c’est ce que nous avons fait. Ça a marché ! Nous sommes hyper heureux… Même si nous ne sommes pas vraiment au bout de nos galères !

FI : Comprenez-vous malgré tout la décision du conseil départemental de ne pas vous subventionner ?

C. L. : Non. Il y a quand même des financements européens très conséquents sur cette île, de l’argent censé être dédié à la culture et qui n’est pas utilisé… C’est très dommage de manière générale, et de notre côté je le déplore encore plus car justement, nous faisons l’effort d’être le plus possible dans la véracité, ne pas être dans la caricature. Si nous l’avions fait ailleurs en trichant, j’aurais compris qu’on nous mette des bâtons dans les roues, mais malgré toutes les difficultés, nous avons décidé d’enraciner coûte que coûte ce projet dans le territoire. Nous ne trichons pas, nous venons pour de vrai. Nous avons fait trois mois de casting sur place pour trouver des enfants de l’île, il y a une quinzaine de Mahorais dans notre équipe technique que nous formons aux différents métiers… Le but c’est de partager le plus possible avec les Mahorais l’histoire du premier film de cinéma à Mayotte, nous ne faisons pas un film de blancs dans notre coin. Donc non, je ne comprends pas cette absence de soutien. Ils ont eu peur que nous donnions une mauvaise image mais en réalité c’est nous qui avons été jugés sans que d’efforts soient faits pour comprendre le projet. Je pense qu’il faut accueillir les gens qui veulent parler de cette île, c’est nécessaire à son développement.

FI : Qu’est-ce qui, dès les repérages, vous a fait comprendre que ça allait être compliqué mais qu’il fallait coûte que coûte le réaliser à Mayotte ?

C. L. : Le fait que Mayotte soit la France sans l’être vraiment nous interpelle, nous intéresse, il nous fallait comprendre cela, ce que cela voulait dire. C’est quelque chose qui ressort dans le livre mais aussi dans les discours des gens sur place. Nous sommes aussi sur un territoire incroyablement beau et qui n’a jamais été montré au cinéma… C’est forcément un défi très excitant !

Dans le même temps, beaucoup de personnes ne voulaient pas vraiment de nous ici, ou plutôt du film. On nous reprochait très souvent d’avoir un projet qui allait donner une mauvaise image de Mayotte. Et ce n’est pas du tout l’idée. Pour nous, mauvaise ou pas, il fallait de toute façon donner une image. Parce que dans l’inconscient de la majorité des métropolitains, Mayotte n’existe quasiment pas, ils ne connaissent pas son histoire, c’est une réalité. Être dans le déni de cela ici contribue selon moi à ce que Mayotte continue à ne pas exister en métropole. À un moment donné, exister c’est se montrer, accepter qu’il y ait des films, des livres qui en parlent. Il n’y a pas de fiction ici et je suis convaincu que la fiction peut combattre beaucoup de choses, en véhiculer énormément. C’est cela notre travail, essayer à travers l’art de parler de sujets réels de la société, qui permettent de les faire rentrer dans le débat public, de les aborder de manière moins frontale, moins politique.

Nous ne faisons pas de politique, nous avons juste envie de parler de Mayotte, de ce que vivent les Mahorais et oui, forcément, tout n’est pas rose mais il faut le montrer. Réussir à en parler c’est déjà trouver des bouts de solution.

FI : Comment avez-vous réussi à embarquer des jeunes dans cette aventure ?

C. L. : Nous avons fait beaucoup de casting sauvage et travaillons avec des jeunes de Vahibé, Cavani, Kawéni, Koungou. Nous avons organisé des ateliers pour bien expliquer que ce n’était pas que de l’amusement mais un véritable travail sur lequel beaucoup d’attentes reposent et qu’il fallait donc un certain engagement et du sérieux. S’engager sur un film c’est être là tous les jours, à l’heure, etc. Notre directrice de casting est également leur coach et les encadre parfaitement. Et il en ressort une envie, une formidable énergie, très émouvante et que j’ai rarement ressentie sur un plateau. C’est incroyable, ils sont d’une grande bienveillance, très respectueux, très polis… Pas du tout l’image de la jeunesse mahoraise que nous pouvons imaginer de loin.

Retrouvez l’intégralité de l’entretien de Carole Lambert dans le n°933 de Mayotte Hebdo du vendredi 23 octobre.

 


Un bond en avant pour l’audiovisuel à Mayotte ?

“Je pense qu’on a à peu près rencontré tous ceux qui font de l’audiovisuel ici”, s’amuse Carole Lambert. “Il y a des choses, mais il faut se dire que c’est le début, qu’il faut persévérer. Dans le cadre du tournage, nous organisons une masterclass avec Dali Benssalah pour les options audiovisuel et théâtre au lycée Mamoudzou Nord. Car on est aussi là pour pour transmettre, partager”, poursuit la productrice. Alors, au-delà de susciter des vocations, le tournage de ce film pourrait-il être un déclic pour le secteur audiovisuel mahorais ? “Je n’aurais pas la prétention de dire que l’on va changer les choses mais il faut de toute façon essayer. Soutenons-nous les uns les autres et montrons que c’est possible”, répond Carole Lambert, qui voudrait convaincre ses confrères. “Je verrai comment ça se sera passé à la fin mais j’aimerais aussi inciter à venir ici. Montrer que oui, c’est peut-être un peu fou mais que ça en vaut la peine au vu de la beauté du territoire et de ses énergies”

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