Jeudi 26 et vendredi 27 novembre se tenait la XXVème édition de la conférence des régions ultrapériphériques d’Europe. Mohamed Sidi, 6e vice-président chargé de la coopération décentralisée et des affaires européennes, revient sur les enjeux de la présence européenne à Mayotte, qui occupait la présidence des RUP depuis février 2020.
Flash Infos : Mayotte a connu une présidence des RUP assez particulière cette année en raison de la crise sanitaire. Quel bilan faites-vous de cette année, et de cette XXVème édition de la conférence des RUP, qui signe le passage du flambeau aux Açores ?
Mohamed Sidi : Nous avons succédés à Saint-Martin il y a huit mois de cela. Pendant ces huit mois, nous n’avons pas chômé, crise Covid ou pas ! Tous les mois, le comité de suivi s’est réuni pour faire des propositions sur des questions essentielles. Car nous sommes dans une période très dense, notamment avec l’approche de la prochaine programmation des fonds européens pour 2021-2017. Les négociations sont en cours et nos équipes travaillent au quotidien pour faire émerger des propositions. Au niveau du bilan de cette présidence, il faut aussi mentionner les écrits que nous avons produits aux mois d’avril et de juin pour demander la solidarité de l’Europe face à cette pandémie et ses conséquences dévastatrices pour l’économie. Nous avons été entendus par la Commission qui a déployé le plan React-EU avec un volet spécifique pour les RUP. À Mayotte, par exemple, ce sont 150 millions d’euros que nous avons obtenus pour relancer les gros chantiers, l’innovation, bref l’économie. Nous avions aussi des inquiétudes quant au taux de cofinancement du FEDER et FSE+, puisqu’il a été question un temps de le ramener à 70%. Nous avons pu le maintenir à 85%, c’est une petite victoire. Pour chacune de ces enveloppes, il y des combats difficiles à mener, et à gagner.
FI : Justement, un combat a tenu en haleine les représentants des RUP et le Parlement européen : la réduction du POSEI, un sujet particulièrement sensible dans nos territoires, qui doivent structurer les filières agricoles. Contre toute attente, le Conseil européen et la Commission ont trouvé une solution pour maintenir le budget de la précédente programmation. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?
S. : Ce combat-là n’est pas terminé ! Certes, nous avons eu gain de cause par rapport à l’enveloppe initiale. Mais il faut savoir qu’à la base, nous demandions une augmentation, et seulement à défaut, le maintien de l’enveloppe dévolue aux RUP. Cette solution ne saurait s’inscrire dans la durée. Car l’enveloppe initiale avait été décidée avant même que Mayotte intègre les RUP, comme Saint-Martin d’ailleurs. Nous allons donc persévérer et nous espérons que les problématiques spécifiques de ces territoires seront mieux prises en compte. Pour Mayotte, par exemple, nous n’avons exploité qu’un seul des deux volets du POSEI, à savoir les aides dont les agriculteurs peuvent bénéficier en fonction des surfaces cultivées. L’autre volet concerne les animaux et nous sommes en train de poser les bases pour pouvoir en bénéficier. Car le manque d’abattoirs freine aussi le travail de nos agriculteurs. Bientôt, grâce au POSEI, nous pourrons faire sortir de terre l’abattoir de volaille de Kahani et aussi un abattoir de bovins avec la communauté de communes du Sud.
FI : Le Département vient de publier une vidéo réalisée par Naftal Dylan, pour vanter les projets nés à Mayotte grâce aux fonds européens. Pourquoi pensez-vous qu’une telle campagne de communication soit nécessaire ? Il est vrai qu’au quotidien, les Mahorais peinent à se sentir concernés par l’Europe…
S. : C’est parce qu’ils doivent voir les choses de leurs propres yeux ! Mais il faut un certain temps pour que les projets sortent de terre. À noter aussi que nous sommes sur la première période d’investissement des fonds européens à Mayotte. Certes, l’Europe a toujours été présente chez nous au travers du FED (fonds européen de développement), mais désormais, nous avons intégré le fonds structurel d’investissement de 2014. Il faudra quelques années pour que cela gagne en tangibilité pour les Mahorais. Mais je ne doute pas qu’au fur et à mesure, ils verront la patte de l’Europe sur le développement du territoire.
FI : Dans la vidéo se mélangent pêle-mêle plusieurs projets sortis de terre, d’autres en construction. Pouvez-vous citer quelques exemples concrets qui illustrent l’intérêt des fonds européens pour Mayotte ?
S. : Prenez les deux amphidromes acquis par le Département par exemple ! Un achat rendu possible grâce aux 12 millions d’euros financés par l’Europe. Il y a aussi l’hôpital de Petite-Terre, en train d’être construit, qui est abondé à hauteur de 17 millions d’euros. L’Europe à Mayotte, ce sont encore les voiries rurales en haut de Dembéni ou la filière agricole qui se structure grâce au FEADER, avec des bâtiments construits par Ekwali ou Avima Ovoma. Sans parler des PMI, de la formation et de l’insertion. L’Europe est très importante à Mayotte, surtout quand nous savons que les outils financiers au niveau national sont rares et compliqués. Il faut que les porteurs de projet se tournent de plus en plus vers les fonds européens.
FI : Le délai peut être long entre la programmation et la mise en paiement. Comment l’expliquez-vous ?
S. : C’est une question de savoir-faire et de technicité. Il faut pouvoir monter un dossier et après justifier de la bonne utilisation de ces fonds. Certains porteurs de projet n’étaient pas forcément préparés à répondre à tous les critères demandés. Beaucoup pensaient qu’il s’agissait de subventions classiques, alors qu’il faut en réalité avancer les fonds. Donc, il y avait un apprentissage à faire. Or, nous avons pris un peu de retard dans la certification de l’État comme autorité de gestion, qui est intervenue en août 2017 alors que la programmation débutait en 2014.
FI : L’État garde en effet la main sur ces fonds européens, alors que le conseil départemental en réclame l’autorité de gestion. Lors de sa venue, le député européen François-Xavier Bellamy soulignait qu’une enveloppe avait été particulièrement sous programmée, celle de l’assistance technique pour organiser la montée en compétence des agents. Cela explique-t-il les difficultés que Mayotte peut avoir à consommer ces enveloppes ?
S. : Nos prédécesseurs avaient en effet choisi de transférer cette compétence à l’État. Le problème, c’est qu’il y a un important turn over au sein des services de la préfecture. Et ceux formés grâce à cette enveloppe de l’assistance technique partent au bout de quelques années. Je plains le SGAR (secrétaire général des affaires régionales), car c’est un gros effort à fournir pour former ces équipes ! Du côté du conseil départemental, nous souhaitons tout faire pour accompagner l’autorité de gestion. Nous avons mis à disposition des agents au SGAR ou à la DEAL pour qu’ils se sensibilisent à l’instruction complexe des dossiers de demande de fonds européens. De telle sorte que nous serons en mesure de récupérer l’autorité de gestion quand il le faudra, celle-ci étant une compétence régionale. En attendant, nous sommes en train de réfléchir à un organisme intermédiaire avec le SGAR pour que nos équipes travaillent main dans la main. Car ce sujet est avant tout celui du Département.
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