Un an après avoir reçu le prix “Womenspire 2020”, la Mahoraise est en passe de développer son produit à grande échelle. De quoi changer la façon de peigner les cheveux des femmes noires, mais aussi donner confiance à une nouvelle génération d’entrepreneure.s de l’île aux parfums.
“Afro hair comb inventor hopes to inspire young black women” (L’inventeure du peigne pour les cheveux afro veut inspirer les jeunes femmes noires, NDLR). Derrière ce titre élogieux, signé tout droit de la BBC, le site d’information britannique du plus ancien radiodiffuseur national du monde, se cache une jeune Mahoraise au parcours prometteur. Son nom : Youmna Mouhamad. Cette chercheuse en physique des polymères à l’université de South Wales, au Pays de Galle, qui avait remporté il y a un an le prix “Womenspire award 2020”, vient de lancer officiellement sa startup Nyfasi.
Son objectif : faire du soin des cheveux afro, souvent douloureux, un souvenir au contraire agréable. “Le cheveu, c’est un moment convivial où tu connectes avec d’autres femmes de la famille. Je voulais qu’en grandissant, elle se rappelle du soin des cheveux comme un moment qu’elle passait avec sa mère, plutôt que des larmes à cause de la douleur”, raconte cette originaire de Pamandzi, en référence à une enfant qu’elle gardait comme fille au pair pendant son doctorat. “Elle avait une chevelure magnifique, énorme, elle m’a vraiment touché cette petite. Mais elle pleurait chaque matin en disant qu’elle voulait des cheveux raides, et en queue de cheval”, déroule-t-elle, soulignant les “pressions” qui demeurent “pour se raidir le cheveu, même à Mayotte d’ailleurs.”
Un brevet déposé
Cet épisode signe le top départ de son projet, pour lequel la Mahoraise a obtenu une bourse de près de 60.000 euros afin “d’amener mon invention sur le marché”. Grâce à ces fonds, versés concrètement à l’université, l’entrepreneure a bénéficié d’un accompagnement pendant 18 mois, qui lui ont permis de peaufiner son produit, son packaging et sa marque. Initialement intitulée Myana Naturals, c’est finalement sous le nom de Nyfasi Deluxe Detangler, que Youmna Mouhamad aura déposé son invention. “J’ai déposé un brevet et j’ai une réponse favorable. Ce n’est pas définitif, mais cela veut dire qu’il y a bien une invention ici, c’est une très bonne nouvelle”, poursuit-elle, en espérant que cette validation pèse dans la balance dans l’optique d’une prochaine levée de fonds.
L’objet se présente comme un simple peigne, aux branches assez épaisses, dans les tons rose et violet. Il se compose de trois parties, dont les formes ont évolué au gré de tests effectués auprès d’une cinquantaine de femmes depuis bientôt deux ans. “Tu mets l’après-shampoing dedans, tu fermes, et cela permet d’appliquer sur le cheveu et directement sur le nœud, pour démêler en toute facilité”, décrit-elle. “Au tout début, j’avais fait un test sur trente personnes, parmi elles 76% disaient vouloir acheter le produit. Il y en a même une qui ne voulait plus me le rendre !”, s’amuse-t-elle. Dans les retours, beaucoup de testeuses ont aussi évoqué leur méconnaissance des techniques de soin pour leurs cheveux, ce qui donne déjà des idées pour la suite à la jeune startuppeuse. “Si tout se passe bien, dans trois ans, je proposerai une gamme entière pour que le produit fonctionne parfaitement !” En attendant, la physicienne de formation place beaucoup d’espoir dans sa levée de fonds. “C’est le moment crucial, je vais avoir besoin des Mahorais”, glisse-t-elle.
Inspirer la jeunesse mahoraise
Mais Youmna Mouhamad voit aussi les choses en grand. Outre son peigne afro, la jeune femme veut inspirer une jeunesse qui fait face à de nombreuses pressions. “La culture mahoraise peut être assez pesante, la façon dont on nous élève… Je suis avec beaucoup de jeunes, et j’arrive à un stade où je vais pouvoir offrir du coaching à des jeunes qui ont du potentiel”, annonce celle qui a elle-même bénéficié de l’accompagnement d’un coach dans les moments les plus difficiles de son parcours. Comme le note par ailleurs la BBC, moins de 2% des ingénieurs sont des femmes issues des minorités ethniques. Et si elle a quitté Mayotte à l’âge de huit ans, et n’a pas pu rendre visite à sa famille depuis au moins trois ans, à cause de la crise sanitaire, la femme de sciences n’en oublie pas ses origines. “Mon rêve ultime, c’est de devenir moi-même coach de vie. C’est là où j’espère pouvoir contribuer au développement de Mayotte, et revenir sur l’île”, conclut-elle.