En novembre 2020, la convention nationale des associations de protection de l’enfant a publié un état des lieux de la protection de l’enfance dans les territoires ultramarins. Dans sa continuité, un deuxième publié le 21 octobre dernier met en valeur les actions et dispositifs innovants mis en œuvre par les associations membres de la fédération et leurs partenaires. Éclairage avec Dahalani M’Houmadi, délégué régional de la CNAPE et directeur de Mlézi Maoré.
Flash Infos : Votre élection à la CNAPE remonte au mois d’avril dernier. Avez-vous eu le temps de prendre part à ce rapport sur la protection de l’enfance en Outre-mer ?
Dahalani M’Houmadi : Tout à fait, j’ai été l’un des acteurs de l’élaboration de la constitution de ce rapport. Le siège de la convention nationale des associations de protection de l’enfant a interpellé ses différents adhérents dans les territoires ultramarins pour échanger sur les pratiques innovantes. C’était la volonté de la fédération de mettre en lumière les Outre-mer et la thématique de la protection de l’enfance au sein de ces départements pour montrer que nous sommes en capacité de nous inscrire dans le droit commun et de remonter des pistes face aux réalités du terrain.
FI : Pourquoi un tel rapport sur les Outre-mer, est-ce que ces territoires présentent des similitudes en la matière ? Pourquoi selon vous ?
D. M. : Nous sommes régulièrement amenés à nous rencontrer, que ce soit en face-à-face ou par visioconférence, pour échanger sur nos pratiques et nos spécificités et ainsi imaginer comment nous pouvons trouver des solutions communes ! À titre d’exemple, les besoins alimentaires des enfants en Martinique se posent aussi à Mayotte. Idem par rapport aux populations et à la scolarisation en Guyane. Cela fait partie de notre base commune de travailler sur ces sujets et chacun le fait en fonction des opportunités, des alliances et des partenariats sur son territoire.
La Réunion développe une ferme pédagogique, la Martinique expérimente une formation des jeunes dans la restauration… Toutes ces portes d’entrées sont des supports. C’est typiquement le genre d’outils qui pourrait se développer à Mayotte. À travers cette approche, nous travaillons avec les produits du terroir et les espèces locales. En ce sens-là, nous avons des pratiques innovantes et des expérimentations au service de notre jeunesse. Et c’est tout le but : trouver un point d’accroche et d’accompagnement pour la protéger !
FI : Dans son premier rapport en date de novembre 2020, la CNAPE avait souligné la situation particulièrement critique de la Guyane et de Mayotte. Qu’est-ce qui a évolué depuis ?
D. M. : Il y a forcément eu des évolutions car les pouvoirs publics sont encore plus fortement engagés dans ces sujets-là. Mais attention, il faut bien saisir que ces thématiques – les populations isolées en Guyane et les mineurs isolés à Mayotte – sont toujours d’actualité. Nous montons petit à petit des marches, mais nous n’avons pas encore vu le bout du tunnel. Les efforts doivent être permanents, plus intenses et plus concertés.
Ce rapport permet de valoriser les réalisations dans les Outre-mer et de regarder les problématiques sur ces territoires. Mais aussi et surtout de savoir comment nous y répondons ! Tout cela a une ampleur qui mérite toute l’attention de la France métropolitaine.
FI : Pouvons-nous nous inspirer de pratiques innovantes d’associations ultramarines pour apporter des solutions aux problématiques de la protection de l’enfance à Mayotte ?
D. M. : Bien sûr ! Voir qu’autre chose, tout aussi pertinent, se développe ailleurs, c’est stimulant pour les acteurs mahorais. Cela fait la démonstration que si nous y arrivons dans d’autres territoires, nous pouvons aussi mener des actions qui vont sortir de l’ordinaire et du droit commun et ainsi sortir des sentiers battus. Ces outils montrent que l’ordre du possible est important et que l’innovation ne s’arrête pas à la frontière de ce que nous réalisons déjà. Cela nous donne envie de pousser encore davantage de portes. Et c’est la même chose pour les autres. À Mayotte, nous avons les indicateurs les plus précaires et les plus rouges. Or, quand nous montrons tout le travail réalisé autour de la scolarisation et de la promotion de la santé, cela prouve aux autres qu’un jeune département comme Mayotte est capable d’être à la table de ceux qui innovent et qui ne se lamentent pas sur leur sort pour parvenir au résultat escompté.
FI : Le rapport évoque la situation des mineurs non accompagnés confiés à des adultes “apparentés ou non”, une pratique qui serait de plus en plus courante. Comment l’expliquez-vous ?
D. M. : Cela s’explique par l’histoire de Mayotte et la richesse du territoire. Nous avons l’héritage des solidarités communautaires. Aujourd’hui, il est difficile de laisser un aîné ou un enfant pleinement isolé mais aussi un adulte dans la rue sans domicile. Il y aura toujours un voisin ou un adulte référent qui aura le souci d’apporter le minimum d’attention. Ce n’est pas le choix des autorités mahoraises ou des associations de voir ces enfants-là pris en charge par le voisinage, mais c’est un état de fait ! À Mayotte, ces enfants bénéficient d’un regard bienveillant de la communauté. Cela ne doit pas dédouaner d’une responsabilité. Mais en même temps, il faut aussi se satisfaire de cette solidarité existante.
FI : Quels sont les freins rencontrés pour officialiser la prise en charge de ces enfants par une délégation de l’autorité parentale à ces tiers ?
D. M. : La loi prévoit des possibilités pour réaliser une délégation d’autorité parentale ; Pour ceux en situation régulière, cela ne pose pas plus de problème. Il existe des solutions législatives, même si cela n’empêche pas d’apporter un soutien à cette famille accueillante.
Par contre, pour ceux en situation irrégulière, c’est beaucoup plus complexe, car il faut jongler avec une politique de lutte contre l’immigration clandestine qui consiste à dire que cette personne ne doit pas rester sur le territoire, même si elle joue ce rôle de solidarité vis-à-vis d’enfants isolés. Dans ce cas-là, c’est plus difficile ! Nous essayons de faire avec et nous ne pouvons pas régulariser une situation illégale… Toutefois, cela mérite réflexion dans l’intérêt supérieur de l’enfant, pour lui apporter la protection dont il a droit dans un pays comme la France, indépendamment des adultes autour de lui.
FI : Y-a-t-il beaucoup d’enfants qui peuvent être envoyés aux Comores via la réunification familiale ?
D. M. : Le nombre ciblé s’élève à 50. Aujourd’hui, nous partons du principe que la place d’un enfant est auprès de son parent. Si celui-ci se trouve aux Comores, il faut travailler sur cette réunification. Mais de manière intelligente, avec les administrations locales et étrangères, en lien avec les familles, sur la base du volontariat… Nous faisons le pari que des enfants souhaitent être proches de leurs parents et inversement. À Mlézi Maoré, nous jouons un rôle de facilitateur dans le but de satisfaire les intérêts de chacun, dans le respect des législations des pays respectifs.