En visite à Mayotte, Maxime Zennou, le directeur général du groupe SOS jeunesse, qui comprend l’association Mlézi Maoré, revient sur la protection de l’enfance dans le 101ème département. Il dresse sans langue de bois son constat sur la politique menée par le Département, l’hypothèse d’un centre éducatif fermé ainsi que l’importance de la scolarisation pour tous. Entretien.
Flash Infos : Quel état des lieux faites-vous de la prise en charge des mineurs non accompagnés ?
Maxime Zennou : Le dernier rapport sénatorial sur la sécurité à Mayotte de la semaine dernière évoque le nombre de 5.000 enfants déscolarisés. Il se peut qu’il n’y en ait que quelques centaines, soit dix fois moins, qui seraient sans présence parentale sur le territoire et sans solution durable d’hébergement. En réalité, un second rapport réalisé en interministériel par une demi-douzaine d’inspections générales, qui est en ce moment même aux Comores, est prochainement attendu. Dans la lettre qui leur est missionnée, il est déjà question de 8.000 mineurs. Donc les chiffres sont à géométrie variable et donnent une indication tendancielle. Ce qui est clair, c’est que le phénomène migratoire est loin d’être interrompu malgré les efforts déployés sur la reconduite et la sécurisation de l’île.
FI : Justement, ce fameux rapport sénatorial propose des « solutions » déjà entendues par le passé, à l’instar du centre éducatif fermé. Est-ce selon vous une bonne proposition pour faire face à la délinquance juvénile qui gangrène le département ?
M. Z. : S’il y avait une solution miracle, nous la connaîtrions, nous la travaillerions et nous la modéliserions ! Il n’y a pas une seule réponse car il y a énormément de questions qui se posent. Une chose est sûre : nous avons affaire à des gosses qui ont fait des choses graves, voire très graves par moment. Est-ce qu’il faut tous les faire arrêter par la police et les jeter en prison ? Et même les expulser pour ceux qui ont une qualité d’étranger ? Sachant que le droit international nous l’interdit jusqu’à l’âge de 18 ans… Est-ce qu’il faut construire des établissements de placement pénal ? Encore faut-il attendre qu’ils aient commis des infractions de plus en plus graves pour que le juge des enfants, après leur interpellation, décide de les placer au pénal dans un tel établissement. Nous en avons déjà deux à Mayotte : l’établissement de placement éducatif de Tsoundzou (12 places) et le centre éducatif renforcé de Bandrélé (8 places). Aujourd’hui, pour être très clair sur le sujet, nous prendrons nos responsabilités en fonction de notre autorité de contrôle, à savoir le ministère de la Justice. Nous sommes un gestionnaire d’établissements de toute nature, comme le handicap ou le vieillissement. Si demain, on nous demande de gérer un nouvel établissement, nous le ferons.
Un centre éducatif fermé, c’est 12 places. C’est un lieu dans lequel vont passer une vingtaine de gosses dans l’année. Cela coûte très cher à construire. Je vous laisse faire le ratio et la comparaison par rapport aux 8.000 mineurs évoqués précédemment et d’en tirer la conclusion que vous voulez ! Après, comme l’indique la commission sénatoriale, et comme va, sans doute, l’indiquer le rapport des inspections générales, il faut que Mayotte se dote de sa propre cour d’appel, d’une politique pénale renforcée, de moyens policiers supplémentaires et diversifiés, d’un dispositif de placement en éventail à présenter au juge des enfants. Mais selon moi, le sujet se joue largement en amont par la petite enfance et l’attention que nous lui portons, la scolarisation, le travail de prévention et de protection de l’enfance qui incombe au conseil départemental.
FI : Selon la PJJ de Mayotte, les places réservées pour le 101ème département dans le centre éducatif fermé de La Réunion ne sont pourtant pas toutes utilisées…
M. Z. : Le directeur territorial de la PJJ est mon autorité de contrôle ici. Je ne peux, évidemment, que m’inscrire dans son pas. Et je peux vous confirmer que ces établissements ne sont jamais plein ! Cela veut dire que si nous additionnons les places vacantes de l’EPE de Tsoundzou, du CER de Bandrélé et celui de la Plaine des Cafres ainsi que du CEF de Saint-Anne, le centre éducatif fermé envisagé à Mayotte existe déjà… Il y a peut-être un sujet d’articulation entre les juridictions des deux îles, les directions territoriales de la protection judiciaire de la jeunesse, les deux parquets, pour faire en sorte que ces places déjà financées puissent être utilisées à leur optimal avant d’entreprendre des travaux onéreux et conséquents. Encore une fois, s’il le faut, je répète la position de mon organisation, nous prendrons nos responsabilités !
FI : Comment jugez-vous la politique de l’aide sociale à l’enfance menée par le Département ?
M. Z. : Je ne blâme pas, je ne juge pas et je condamne encore moins quiconque. Le Département est jeune, il apprend encore à gérer l’action publique, à développer les missions qui incombent à la décentralisation. Pour l’exercer depuis longtemps, je peux vous dire que la protection de l’enfance est une mission complexe qui demande des équipements et du personnel formé. Une fois dit tout ça, nous voyons bien qu’il y a un écart entre le réel et l’objectif. Après, en dix ans, il ne s’est pas rien passé ! Nous sommes dans une dynamique de progrès, mais nous avons encore du chemin à parcourir. Ensuite, attention, même s’il doit mener une politique territoriale de la protection de l’enfance qui correspond à la réalité des besoins, toute la réponse ne relève pas du seul conseil départemental. Chacun dans le travail de prévention et de protection et dans l’accompagnement des familles a son rôle à jouer dans les départements ministériels et dans les pouvoirs publics locaux. En ce qui nous concerne à Mlézi Maoré, nous avons ouvert la première maison d’enfants à caractère social, le premier service d’aide éducatif en milieu ouvert, le premier lieu de vie mère-enfant !
FI : Quel manque serait préjudiciable pour accompagner plus efficacement ce public ?
M. Z. : L’école ! Pour moi, c’est là-bas que tout se joue, que tout doit se jouer et que tout peut se jouer. L’éducation fait des miracles, j’en suis profondément convaincu. L’enfant est très résilient. Même en ayant subi les pires avanies, il peut s’en sortir et devenir écrivain, musicien, et tout simplement un honnête homme. À la seule condition qu’il ait pu bénéficier de conditions d’éducation les plus favorables possibles. Un gamin qui ne va pas à l’école, c’est d’emblée une difficulté majeure qui va se poser puisqu’il ne sait pas lire, écrire et compter. Il va se débrouiller comme il le peut, se construire et grandir comme le père. Quand ce dernier se fait modèle, tant mieux. Quand ce n’est pas le cas, l’oisiveté est mère de tous les vices. Il faut que tout le monde – l’éducation nationale, les services de l’État et les associations – mette le paquet ! D’ailleurs à Mlézi Maoré, nous sommes dans un programme d’accompagnement d’associations mahoraises pour les inciter à déployer leurs propres projets.
FI : Depuis un peu plus d’un an, il y a eu une intensification des destructions d’habitats indignes. L’application de la loi Élan peut avoir un effet pervers sur la scolarisation et le suivi de certains jeunes, mais aussi sur le relogement…
M. Z. : Ce n’est pas moi en tant que fonctionnaire de justice qui vais proscrire le régalien ou crier au scandale. Expulser, empêcher de venir et sécuriser le territoire, cela fait partie de la feuille de route de l’État. Mais après, que faisons-nous des enfants ? Posons-nous la question, sans défaitisme. Il faut mailler sur l’ensemble du territoire, un plan d’action pour la protection maternelle infantile, pour la protection de l’enfance, pour les familles d’accueil, etc. Avec une commission de recueil des informations préoccupantes (CRIP) qui marche. Quand un professionnel, un enseignant ou un voisin voit une situation alarmante d’un enfant maltraité, il y a le déclenchement d’une procédure.
Nous parlons de relogement et décasage, très bien. Mais il y a encore des gosses qui dorment dehors au moment où nous parlons. Et ça, c’est juste insupportable ! Commençons par le commencement : nous occuper des enfants et des familles, et imaginer une politique du logement qui soit globale, qui n’écarte aucune possibilité et qui rassemble toutes les personnes concernées. Malheureusement, nous sommes dans une situation d’urgence à Mayotte.
FI : Que pensez-vous de l’installation ce mercredi d’un bataillon de la prévention dans les quartiers de Doujani et de M’Tsapéré ?
M. Z. : Toutes les actions de prévention sont bonnes à prendre. Tous les dispositifs de coordination sont intéressants. Cela vient apporter de la prévention spécialisée un peu différente avec des missions très précises. Attention, toutefois, à ne pas multiplier les dispositifs sans passer à côté de l’essentiel : construire des écoles et recruter des enseignants ; étayer le conseil départemental dans le déploiement d’une politique territoriale de protection de l’enfance, structurée, de plus en plus professionnelle, de plus en plus efficace. Une fois que nous avons fini les discours, les dénonciations, les manifestations, la réalité reprend le dessus. À savoir encore une fois, que faisons-nous des enfants ?
FI : Êtes-vous confiant pour l’avenir de Mayotte ?
M. Z. : Je suis confiant par nature et je suis un optimiste. Sinon, je ne ferais pas ce métier ! Nous avançons au rythme de l’histoire du département, de son attachement à la France, du soutien apporté par la puissance publique. La départementalisation a un coût. La loi Mayotte va générer d’autres dépenses : l’aéroport, le port, le programme de constructions, la sécurisation du territoire, les moyens militaires supplémentaires pour limiter les flux, les accords de coopération avec les Comores. Mais l’avenir de Mayotte appartient aux Mahorais ! Il faut encourager l’initiative locale et les jeunes mahorais qui ont la chance de faire des études de retour chez eux pour participer au développement de l’île.