L’association Shimé (Shimaore Méthodique) propose depuis déjà plusieurs années des cours de shimaore et de kibushi dans plusieurs communes de Mayotte. Elle souhaite valoriser ces langues locales et en promouvoir l’utilisation et l’enseignement. Elles sont en effet en train de se perdre progressivement du fait de l’influence grandissante du français à Mayotte.
Selon Rastami Spelo, le président de l’association, le shimaore est en train d’être abandonné au profit du « shizungou », sorte de sabir composé d’un mélange de français et de shimaore. De ce fait, aucune de ces deux langues n’est plus correctement parlée…
Pour remédier à cette situation, Rastami Spelo propose de revaloriser les langues locales en développant l’enseignement du « vrai shimaore » c’est-à-dire un shimaore non dénaturé, riche de toutes ses nuances et subtilités linguistiques. Ainsi, les cours dispensé par l’association ne sont pas uniquement destinés aux métropolitains mais aussi, et peut-être même surtout, aux mahorais qui souhaiterait apprendre à mieux parler leur propre langue.
« On ne bâtit pas l’enseignement d’une langue étrangère sur les ruines de la langue maternelle. » (Alain Bentolila, linguiste)
L’association Shimé met également tout en œuvre pour faire comprendre à l’Education Nationale qu’il est indispensable d’enseigner le shimaoré et le kibushi à l’école. Selon Rastami Spelo, le fait que l’intégralité de l’enseignement de l’école publique se fasse en français, et non dans la langue maternelle des élèves, est en grande partie responsable du taux élevé d’échec scolaire à Mayotte : « Comment expliquer qu’on enseigne le français depuis 1841 sur une petite île de 364 km² et que les mahorais n’arrivent toujours pas à maîtriser correctement cette langue ? C’est forcément que les méthodes d’enseignement utilisées sont inadéquates. Dénuder les enfants de Mayotte de leur langue et de leur culture ne peut mener qu’à la catastrophe. Or le Vice-Rectorat s’obstine à ne pas prendre en compte ce paramètre et refuse d’apporter le remède nécessaire à savoir l’enseignement de nos langues et de nos cultures à l’école. »
La conférence de ce soir portera justement sur ce thème de l’enseignement des langues locales à l’école. Elle a pour intitulé « L’enseignement du shimaore et du kibushi à l’école : état des lieux et perspectives. » La première partie sera assurée par Houlam Haladi, ancien secrétaire général de l’association Shimé, et la seconde par Victor Randrianary, ethnomusicologue et anthropologue.
« Notre langue est notre talisman. Si on la perd, c’est toute notre identité que nous perdrons. »
La première partie établira donc un état des lieux de ce qui a déjà été fait à Mayotte pour promouvoir l’enseignement des langues locales. L’une des actions les plus significatives qui ait été faite en ce sens est « la double recherche action ». Celle-ci a consisté à mettre en place dans plusieurs écoles-test de Mayotte un double enseignement : l’un en français et l’autre en shimaore ou en kibushi. Cette action, qui a été menée de 2001 à 2003 puis de 2006 à 2010, a donné d’excellents résultats : l’intégration de leur langue maternelle dans l’enseignement rendait les élèves beaucoup plus performants dans toutes les matières.
Or, bien que cette action ait été entreprise il y a déjà 14 ans et ait porté ses fruits, le shimaore et le kibushi sont pourtant toujours totalement absents du système scolaire mahorais, ce que déplore Rastami Spelo : « Je ne comprends pas l’attitude du vice-rectorat à l’égard des langues locales. Alors qu’il a été prouvé que le fait d’enseigner leur langue maternelle constituerait un remède simple à l’échec scolaire dont souffrent les élèves mahorais, le Vice-Rectorat s’obstine à mettre en œuvre un enseignement uniquement francophone qui nuit à la réussite de nos enfants. C’est à croire que le gouvernement français fait sciemment en sorte que Mayotte soit en retard sur tous les plans ! »
Afin de redorer le blason du shimaoré et du kibushi, l’association shimé a créé deux émissions de télévision en partenariat avec Mayotte Première. La première, Zalada, qui signifie « succulence », est une émission de poésies récitées en langue mahoraise. Elle a pour but de montrer au public la beauté de cette langue et l’étendue des nuances poétiques qu’elle possède. Afin de lui rendre hommage, tous les poèmes récités au cours de cette émission sont des poèmes d’amour : l’amour entre les personnes, bien sûr, mais aussi l’amour de la peinture, de la littérature, de la vie…
L’autre émission, wusoma shimaoré, qui signifie « Tu apprends le shimaore » est plus intellectuelle et polémique. Elle a pour but de démontrer que les politiques menées à Mayotte jusqu’à présent ont poussé les mahorais à ne pas accepter que leur langue ait une place à l’école. Cette émission remporte un gros succès, non seulement à Mayotte, mais également aux Comores, à Madagascar, à La Réunion et même en métropole où elle est suivie sur internet.
« Nous devons donner de la voix et de la vie à nos langues »
La conférence de ce soir est la première des trois actions prévues dans le cadre de la journée internationale des langues maternelles. La deuxième est un concours de poésie en langue mahoraise qui aura lieu le vendredi 13 février dans la salle des mariages de la mairie de Mamoudzou à 16h.
Le troisième évènement, et sans doute le plus important, est la grande cérémonie de mise en valeur du shimaore et du kibushi qui aura lieu le week-end du 20 février place de la république. Elle débutera le vendredi par des discours d’ouverture et se poursuivra les samedi et dimanche par des chants, des danses et des débats en langue mahoraise. Cette cérémonie contribuera à faire vivre les langues locales et à leur redonner la place qui leur revient sur l’île de Mayotte.
Nora Godeau
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