{xtypo_dropcap}U{/xtypo_dropcap}n sentiment de trahison plane déjà dans l’esprit d’une jeune mahoraise dépucelée avant le mariage. Les étapes du passage à l’acte, pour l’honneur de la famille et le respect de la religion sont toutes subitement grillées. "Lorsque je l’ai fait pour la première fois, je me suis sentie très mal dans ma peau", ne cache pas Zaria*, dix huit-ans. "Les mises en garde de ma mère me revenaient sans cesse dans la tête. C’est après que j’ai réalisé combien cela lui tenait à cœur et je venais de trahir sa confiance", poursuit la jeune nordiste qui n’a pu jusqu’à ce jour se confier qu’à sa petite sœur.
Comme ce cas de figure, la vérité peut rester secrète, longtemps, parfois toute la vie. Mais généralement, la première fois, "dans l’euphorie de l’action", la protection est négligée. Il arrive donc que ces jeunes filles découvrent, parfois trop tard, qu’elles attendent un enfant et décident de le garder plutôt que de procéder à un avortement. Dramatique pour l’entourage.
Pas plus tard qu’en fin de semaine dernière dans un des villages du sud, un parent renvoyait promptement sa belle-fille, pourtant collégienne, chez son vrai père : un billet aller simple direction la Grande île. Une affaire répandue dans le village entier en l’espace de quelques petites heures, mais extrêmement tabou. Cette toute fraîche anecdote parmi tant d’autres n’est qu’une illustration de la condamnation, du bannissement imminent des responsables de famille vis-à-vis de l’ado.
"C’est inacceptable. Surtout pour nous qui sommes musulmans. Agir de telle sorte, c’est insulter la notoriété de la famille, c’est insulter sa religion", estime Dhoulkamal, employé à la mairie de Dembéni. Assumer. Voilà ce à quoi sont destinées ces adolescentes, délaissées généralement par leurs parents, la plupart du temps abandonnées par leurs partenaires qu’elles percevaient jusqu’alors comme étant l’amour éternel.
Sous les préjugés des uns et des autres, les filles-mères contemplent chaque jour, dans un mélange de joie et de regret, la vie d’une progéniture trop souvent accidentellement conçue.
I.M
{mospagebreak title=Entretien avec Nafissata Bint Mouhoudhoir}
"La société a tendance à rendre les garçons irresponsables"
Déléguée au droit des femmes de 1997 à 2007, Nafissata Bint Mouhoudhoir observe et défend la condition féminine depuis de nombreuses années. Elle analyse pour Mayotte Hebdo le phénomène des filles-mères.
{xtypo_dropcap}M{/xtypo_dropcap}ayotte Hebdo : Comment expliquez-vous ce nombre important de filles-mères ?
Nafissata Bint Mouhoudhoir : Le principal problème est qu'il n'y a pas de discussion sur la sexualité dans la famille. Le tabou est trop fort. Au collège, les enfants ont des cours sur la grossesse, la contraception, etc., mais l'éducation ne se fait pas qu'à l'école. Il faudrait qu'il y ait un relais à la maison, dans la famille. Aujourd'hui Mayotte s'est ouverte, les gens voyagent, des gens extérieurs s'installent. Il y a la télévision, on assiste à une véritable américanisation et les jeunes regardent tout cela mais sans recul, sans l'éducation nécessaire à la compréhension des images. Et quand ils découvrent la sexualité, c'est de façon très brutale : on fait comme on peut, comme les autres ont dit. Il y a un choc de deux cultures ici : la culture dite "occidentale", face à la tradition, la coutume, la religion.
Les jeunes ont une méconnaissance totale des choses, par exemple souvent les garçons disent "ce n'est pas moi, je ne peux pas être le père parce que je n'ai fait qu'un gourwa". Ils ne comprennent pas que ce n'est pas la pénétration qui engrosse les filles mais le sperme, et que c'est donc possible avec un gourwa. A côté de ça, les filles refusent de prendre la pilule par peur que les parents les découvrent. Je leur dit toujours que ce que les parents n'aiment pas, ce n'est pas la pilule mais le fait qu'elles aient des relations sexuelles. A partir du moment où elles décident d'en avoir, elles sont déjà dans la transgression, donc il faut assumer ce choix et prendre ses précautions contre la grossesse et les maladies.
MH : Quel est le regard de la société mahoraise sur ce phénomène ?
N.B.M. : La société a tendance à rendre les garçons irresponsables, c'est une chose qu'il faut revoir. Si on cherche à conscientiser les filles, il faut faire de même avec les garçons. Ils doivent comprendre qu'être père à 15 ans est très difficile. Les conséquences sont très graves pour les jeunes filles qui deviennent mères. Psychologiquement, c'est très dur d'avoir une grossesse non désirée et elles n'ont pas le réflexe de chercher un soutien. Certains garçons en souffrent également, ils ont peur de la paternité. Ensuite, la société vous juge, vous colle une étiquette, et il y a également des conséquences sur la scolarité des filles. Même si elles arrivent jusqu'au bac, ce qui est difficile, elles ne pourront pas faire d'études, elles n'auront pas droit à cet accomplissement personnel.
En général, les jeunes filles tombent dans un engrenage terrible car peu de familles soutiennent les filles dans cette situation. Les parents attendent de leur fille qu'elle arrive vierge au mariage, qu'elle soit une bonne épouse, une bonne mère. La grossesse d'une jeune fille casse les rapports familiaux, parfois la famille arrange les choses par un mariage… En général, les parents pensent que s'ils soutiennent leur fille qui a eu un enfant, c'est un signe qu'ils acceptent son geste, et ainsi ses sœurs feront de même. S'ils aident leur fille, ils montrent aux autres que ce n'est pas grave.
MH : Comment se fait-il que les filles n'aient pas appris à être plus prudentes, qu'elles arrivent à la maternité quand il est trop tard pour avorter ? Ne discutent-elles pas entre elles de ce qui leur arrive ?
N.B.M. : Je pense qu'il y a une vraie peur de prendre la pilule. La peur d'être vue est très forte à Mayotte. Tout le monde se connait, si une fille est vue à l'infirmerie ou au dispensaire alors qu'elle n'est pas malade, elle va tout de suite être interrogée et soupçonnée. Ensuite, il y a le refus d'être enceinte, le déni. C'est pour cela qu'elles attendent le dernier moment pour aller à la maternité, elles hésitent, espèrent avoir leurs règles… Cela montre aussi le manque de dialogue. Elles n'ont pas conscience que si elles ne veulent pas de l'enfant il faut réagir vite. Même entre filles les confidences ont des limites, encore une fois à cause de la peur des racontars.
Après, les garçons ne se protègent pas non plus, pourtant ce n'est pas compliqué pour eux de se procurer des préservatifs, mais ils ne sont pas responsabilisés. Au contraire, ils sont élevés dans l'idée que leur masculinité est ce qu'il y a de plus important. Le sexe et le fait de mettre une fille enceinte est une preuve qu'ils sont des hommes. De toute façon, lorsqu'une fille tombe enceinte, on estime que c'est uniquement de sa faute. Il est temps de revoir les choses, d'atteindre les garçons, de leur faire comprendre qu'un enfant est un projet réfléchi. La société ne leur offre pas vraiment une image correcte de ce qu'est la paternité, il faut leur expliquer le rôle d'un père.
MH : Plusieurs sages-femmes sont surprises et choquées de voir des jeunes filles terrorisées lors de leur accouchement, car elles ne savent même pas comment cela doit se passer, par où va sortir le bébé. Même pendant la grossesse, il n'y a aucune communication ?
N.B.M. : Non. Lorsqu'une fille est enceinte, sa mère ne lui parle pas de ce qui va se passer, car elle pense que ce serait lui faire un trop grand cadeau, lui montrer qu'elle lui pardonne. L'idée c'est qu'elle verra bien elle-même ce qui lui arrivera. Il y a ici une tendance des mères à se dire : "j'ai été élevée comme ça et aujourd'hui j'en suis là. Ma fille doit s'en sortir de la même façon, avec la même éducation". Elles ne se rendent pas compte que le contexte a changé.
Lorsque j'étais une jeune fille, on ne savait même pas ce qu'étaient les règles, ça nous tombait dessus un jour et nous étions catastrophées. On ne nous disait jamais ce que c'était et surtout pourquoi cela arrivait. Simplement que cela arriverait tous les mois, et que désormais on pouvait tomber enceinte, donc interdiction d'approcher les garçons. Aujourd'hui, grâce à l'école, les filles sont préparées, savent ce que sont les règles et pourquoi on les a. Mais le discours des mères n'a pas changé, les filles doivent leur montrer tous les mois qu'elles ont leurs règles, pour prouver qu'elles ne sont pas enceintes.
Il y a de la sensibilisation auprès des jeunes, il faudrait maintenant en faire auprès des parents qui ont une méconnaissance totale de ces choses. Peu de mères peuvent expliquer pourquoi et comment on tombe enceinte, ce qui se passe dans notre corps. Parallèlement les enfants apprennent des choses que les parents ne savent pas et ils se sentent dépassés. Il y a des actions sporadiques qui sont menées par des associations ou des établissements qui réunissent les parents, il faut que ce soit structuré. J'ai fait ce genre d'actions, souvent les femmes étaient très gênées quand on projetait des vidéos sur le sujet. Elles se cachaient le visage, rigolaient comme des ados, n'osaient pas prendre la parole… Le sujet est vraiment tabou. Cela montre encore une fois l'importance de ce genre d'initiative, pour qu'elles osent aborder le sujet avec leurs enfants.
Propos recueillis pas Hélène Ferkatadji
{mospagebreak title=Samia*, mère à 17 ans}
"Je suis consciente de l’erreur que j’ai faite"
Des liens totalement coupés avec le père pendant la grossesse, mais des liens gardés avec la famille de celui-ci, Samia* s’estime chanceuse. Elle n’a pas à s’occuper quotidiennement de son enfant. Pratiquement tous les jours, elle rend visite à la grand-mère paternelle, en charge de sa fille depuis l’accouchement. Elle regrette son acte et en tire aujourd’hui toutes les leçons.
{xtypo_dropcap}"C{/xtypo_dropcap}ela me libère dans mes démarches pour trouver une formation". Agée de dix-sept ans, elle connaît quelques adolescentes dans sa situation. Une situation n’étant toutefois pas du tout la même sur la forme. "Pour mon cas, j’ai la grand-mère de ma fille qui est là et que je remercie beaucoup. J’ai eu une chance exceptionnelle. Mais par contre, je sais que pour une autre en général, quand elle rentre de l’école, on lui balance son enfant et on lui dit de se démerder, qu’après tout elle l’a cherché", témoigne-t-elle. "Pour les parents ou les proches, c’est une sorte de punition pour ce qu’elle a fait. Et c’est un vrai sacrifice pour ces filles."
Depuis, Samia s’est mariée, par amour, mais surtout pour tenter de se racheter auprès de ses proches. En effet, bien que la famille du père biologique la soutienne dans cette épreuve, sa mère, principalement, loin de Mayotte, n’a jamais digéré la nouvelle, la mauvaise nouvelle. "Actuellement, nous sommes en contact, on discute, mais c’est très rapide. Ce n’est pas comme avant", se désole la jeune maman.
"A la base, je n’ai jamais eu de vraie relation avec ma mère, mais cet événement a empiré les choses. J’espère que ce ne sera pas pareil avec ma fille plus tard. Elle est aujourd’hui plus que mon enfant ! Je ne sais pas comment l’expliquer, mais ça dépasse l’amour maternel." Comme souvent, c’était un accident : "je ne voulais pas un enfant", affirme-t-elle. Ce n’est que trois mois après son rapport que Samia apprenait sa grossesse. "Je suis consciente de l’erreur que j’ai faite, j’en ai beaucoup souffert et je me demande parfois comment ça aurait été si je ne l’avais pas".
"Les filles qu’on voit enceintes sont les moins sensibilisées par leurs proches"
Cataloguée depuis son accouchement, Samia voit les parents de ses amies les mettre en garde régulièrement : "En me voyant avec leurs filles, elles se méfient, parce qu’elles pensent que je vais les inciter à faire comme j’ai fait. Ces mamans ont tort, elles me jugent mal, mais elles ont peur pour leurs enfants".
Cette situation la chagrine, d’autant plus qu’elle ne peut rien pour changer l’opinion publique. Dans sa vie de couple, la désormais jeune femme avoue tenir bon, ne se voyant pas habiter de nouveau avec sa famille, auprès de ses proches. Avec un peu de recul, elle explique ce qui s’est passé par un manque de communication avec les grandes personnes, avec ses parents notamment, "seule ma grand-mère m’a mise en garde, mais c’était déjà trop tard…".
Selon elle, la pression des parents joue énormément, "il est indispensable pour une mère ou un père de prévenir son enfant à partir de ses treize ans, même plus tôt, en particulier si c’est une fille. Les filles qu’on voit enceintes sont les moins sensibilisés par leurs proches. C’est vraiment important", insiste-t-elle.
Après les parents, Samia adresse cette fois-ci un message aux jeunes : "Quand les grandes personnes nous préviennent, quand nos proches nous disent ce qui est bon et ce qui est mauvais, il faut le prendre en compte, il ne faut pas ignorer, car ils savent de quoi ils parlent". Si elle devait retourner en arrière, Samia n’aurait pas hésité entre garder l’enfant et avorter : "même si je trouve que l’avortement est un crime, mieux vaut ça que de vivre tout ce que j’ai vécu, et ce que je continue à vivre…".
I.M
* prénom d'emprunt
{mospagebreak title=Rencontre avec Faouzia Cordji}
"Parler à sa fille de contraception, c'est comme l'offrir à un homme"
Fondatrice et présidente de l'Association pour la condition féminine et l'aide aux victimes (ACFAV), Faouzia Cordji attribue le problème des grossesses des jeunes filles moins à un manque de communication qu'à une trop grande liberté.
Mayotte Hebdo : Comment analysez-vous le phénomène des filles-mères dans le temps ?
Faouzia Cordji : Le regard a changé, aujourd'hui il y a une certaine tolérance. Il y a 10/15 ans, ce phénomène n'existait pas, en tout cas c'était très rare car c'était une honte, le déshonneur pour la famille. Aujourd'hui c'est devenu classique. Certains pensent qu'évoluer veut dire devenir comme les Métropolitains. Je ne suis pas d'accord avec cela, pour moi évoluer signifie dépasser certaines limites. A Mayotte on assiste à une mauvaise évolution. Avant, les filles étaient éduquées par la famille, l'entourage et le village. Aujourd'hui cela n'existe plus, on est dans la non-éducation. L'Education nationale a contribué à ce fléau : elle a donné beaucoup de pouvoir aux enfants sur leurs parents. Aucun parent n'est démissionnaire, ils sont juste dépassés par les évènements.
MH : Ne pensez-vous pas que le problème des grossesses chez les jeunes filles vient d'un manque de communication entre les parents et les enfants sur la sexualité, la contraception…?
F.C. : Certainement pas. Ma génération ne parlait jamais de sexe avec ses parents, et je n'ai jamais parlé de ça à ma fille. Je lui parle de la vie de femme, mais je ne lui parle pas de la pilule. Une mère ne va pas faire la promotion de la pilule à sa fille de 14 ans, car elle ne veut pas que sa fille ait des rapports sexuels à 14 ans ! Elle sera prête quand elle sera adulte, qu'elle aura une situation, qu'elle sera réfléchie, c'est de ça que je parle à ma fille. Lui parler de contraception, c'est comme l'offrir à un homme, c'est dire qu'on est d'accord alors qu'on ne l'est pas.
Il faut arrêter de donner aux enfants des droits que leurs parents n'ont pas. Aujourd'hui, on a supprimé les tabous, la notion d'honneur. Je ne dis pas qu'une femme doit se marier vierge – je me fiche de ça -, mais elle doit s'offrir à celui qu'elle aime, car c'est important, or on n'est pas amoureux à 14 ans et on n'est pas prêt à l'être. Si une fille a un enfant très jeune, l'enfant sera mal dans sa peau et sa mère ne sera jamais une femme émancipée.
Je dis la même chose aux garçons : de ne pas faire un enfant car ils sont trop jeunes pour assumer cela, il faut attendre d'être indépendant et il faut respecter les filles. C'est cela l'éducation. La contraception doit s'apprendre dans un contexte différent : à l'école quand on vous apprend la fécondation, les cycles, la grossesse, ce que moi j'ai appris aussi au lycée. Aujourd'hui les filles ont beaucoup plus de libertés et se donnent à n'importe qui, sans amour, sans plaisir même. Juste parce que ça se fait.
MH : Vous faites parfois des interventions dans les lycées à ce sujet, que dites-vous aux jeunes ?
F.C. : Je suis très pragmatique. Je dis aux garçons de faire attention, de fuir les filles qui ont l'air facile. Je suis choquée de voir la façon dont certaines jeunes filles s'habillent, des décolletés profonds, des minis jupes… Elles incitent les garçons par ces tenues et l'Education nationale ne fait pas son travail, elle ne devrait pas accepter ce genre de tenue en classe. Je leur dit qu'il n'y a que les animaux qui n'ont pas de tabou.
Les femmes doivent se respecter elles-mêmes, sinon les hommes ne les respecteront pas. Aujourd'hui la femme a été banalisée, alors que la femme c'est la mère, elle donne la vie, elle éduque la société, elle est derrière chaque grand homme. Moi je magnifie les femmes ! Une fille de 14 ans qui tombe enceinte confronte ses parents à une situation douloureuse pour eux, les déshonore, et perd ses chances dans la vie, la possibilité de faire des études. Plus tard, quand elle fera des enfants avec un homme qu'elle aime, elle comprendra son erreur et regrettera.
MH : Que dites-vous à une jeune fille enceinte qui vient vous trouver ? Lui parlez-vous d'avortement ?
F.C. : Je ne suis pas contre l'avortement, mais c'est quand même un déchirement terrible. Avoir un enfant très jeune, c'est bousiller ses chances, infliger du malheur à ses parents… Il n'y a pas de bonne solution lorsqu'on est enceinte jeune, car l'erreur est déjà faite. Tout ce que j'ai à dire à ces filles c'est qu'elles doivent assumer leur erreur et choisir elles-mêmes leur solution. La seule bonne solution aurait été d'attendre.
Des jeunes filles enceintes sont déjà venues me voir pour se confier. Le plus souvent, elles voulaient que je persuade le père de l'enfant de revenir, de les épouser, de s'occuper de leur enfant, mais elles n'avaient pas l'air de se rendre réellement compte de la gravité de la situation.
Propos recueillis par Hélène Ferkatadji
{mospagebreak title=Témoignage, Rouzouna, mère à 16 ans}
"Je veux montrer à ma mère que je n'ai pas gâché ma vie"
Seulement âgée de 16 ans, Rouzouna est déjà la mère d'une petite fille de 10 mois. Quand elle apprend qu'elle est enceinte, elle décide tout d'abord de le cacher aux yeux des gens, même à sa famille. Ceux qui s'en rendent compte lui posent des questions, mais elle nie constamment. Jusqu'au jour où sa mère, qu'elle n'arrive plus à éviter, comprend ce qui se passe. "C'est à cause des yeux. Quand une femme est enceinte, ça se voit dans ses yeux", explique la jeune fille.
{xtypo_dropcap}S{/xtypo_dropcap}a mère l'a réprimandée, lui rappelant qu'elle l'avait prévenue de bien faire attention. Elle lui avait même parlée de contraception pour éviter tout accident. Malheureusement, Rouzouna avait également entendu dire que les pilules empêchent la fécondité pour la vie, que les capotes détériorent l'appareil génital féminin et que l'implant contraceptif peut se perdre dans le corps. Toutes ces rumeurs lui ont fait peur et elle a préféré avoir des rapports sexuels non protégés plutôt que de risquer d'éventuelles complications. "C'est beaucoup plus tard que l'infirmière du collège m'a dit que c'était faux tout ça. Mes croyances ont alors changé, mais c'était déjà trop tard".
Son père a réagi beaucoup plus violemment. Très énervé d'apprendre la nouvelle, il a menacé d'expulser Rouzouna de la maison familiale. Pour lui, elle ne méritait pas de rester vivre avec eux. Il ne voulait surtout pas qu'elle donne un mauvais exemple à sa petite sœur et que cette dernière fasse les mêmes erreurs. A force de discussions, le voisinage, alerté par les cris, a réussi à calmer le chef de famille qui a accepté à contrecœur de garder sous son toit la nouvelle maman et son bébé.
Depuis la venue au monde de sa petite fille, Rouzouna tente tant bien que mal de vivre une vie normale. Comme ses camarades de classe, elle va tous les jours au collège où elle est en 4ème. Pendant ce temps, sa mère garde le bébé jusqu'à ce qu'elle vienne s'en occuper elle-même. Financièrement, tout est pris en charge par les deux familles, celle de Rouzouna et celle de son petit ami. Ce dernier vit également chez ses parents, dans un autre village de l'île. En apprenant la grossesse de sa copine, il n'a pas paniqué et a déclaré qu'ils assumeraient tout cela ensemble.
Trop de rumeurs infondées sur les moyens de contraception
Rouzouna n'a pas voulu avorter. Pourtant elle aurait pu le faire comme le lui avait proposé l'infirmière qui l'a auscultée à l'hôpital. Elle aurait pu également écouter les conseils des parents de son petit ami qui s'évertuaient à dire que c'était mieux pour tous les deux, pour leur avenir. Mais Rouzouna a catégoriquement refusé de tuer un être humain. C'est aller à l'encontre de sa religion, et elle ne tenait vraiment pas à commettre un péché aussi grave.
Aujourd'hui elle assume donc ses actes et ses décisions, même si elle sait pertinemment que certaines personnes parlent derrière son dos et chuchotent sur son passage. Cela ne la blesse pas vraiment. Ce qui lui est arrivée est fréquent dans le quartier, elle ne doute pas que celles qui la critiquent se retrouveront bientôt dans la même situation.
L'opinion d'une seule personne lui tient réellement à cœur, celui de sa mère. "Je sais qu'elle n'oubliera jamais ce que je lui ai fait car elle a tout fait pour éviter que ça arrive. Mon plus grand rêve serait de faire des études, de gagner de l'argent et de pouvoir l'aider afin qu'elle me pardonne un jour. Je veux aussi lui montrer que je n'ai pas gâché ma vie."
Pour sa fille, Rouzouna prévoit une éducation différente de celle qu'elle a reçue. Elle instaurera un dialogue permanent et sans tabou entre sa fille et elle, "comme chez les Mzungus", rajoute-t-elle. "Nous, les Mahorais, on n'ose pas parler de ce genre de chose, on a honte et c'est bien dommage."
Elle cite même la série télévisée diffusée sur RFO Mayotte : "Le roman de la vie". Gisèle, qui en est l'héroïne, discute ouvertement de ces choses là avec sa mère qui la met en garde des dangers de la vie d'adulte. Une attitude que tous les parents de l'île devraient adopter car "ils ne doivent pas se voiler la face, conclut Rouzouna. Ils aimeront toujours leurs enfants, quoi qu'ils fassent. Ils doivent donc les garder près d'eux car si un malheur arrive un jour, ils regretteront toujours de les avoir chassés de la maison pour un accident qui peut arriver à tout le monde".
Rawnat Mohamed Chaher
"Elles ne connaissant pas leur corps"
Elles sont à Mayotte depuis quelques mois ou quelques années, et ne manquent jamais de travail. Parmi leurs patientes, beaucoup de mineures, souvent perdues et dans le déni de leur grossesse. Trois sages-femmes font part de leur expérience avec ces jeunes filles.
{xtypo_dropcap}"E{/xtypo_dropcap}n 2005, alors que je travaillais en PMI, nous avions beaucoup de très jeunes filles enceintes, de 11 ou 12 ans. On nous a demandé d'intervenir dans les classes de CM2, de PPF et de collège pour sensibiliser les enfants et leurs parents qui étaient conviés. Ils ont tous refusé, ils considéraient cela comme une incitation. Il y a eu un gros travail avec les parents d'élèves pour leur expliquer que de toute façon les jeunes filles ont des rapports sexuels, et puisqu'ils ne veulent pas en parler chez eux, il faut le faire à l'école."
Pour Stéphanie, aujourd'hui sage-femme à la maternité de Kahani, il y a avant tout un gros problème de non communication sur la sexualité, même de méconnaissance. "Elles savent ce qu'est le sexe, mais c'est tout. Certaines filles ne savent même pas que le fait d'avoir ses règles signifie qu'on est féconde, leurs mères ne leur disent rien."
"Elles ne connaissant pas leur corps", renchérit Marie, sage-femme à M'ramadoudou, "elles ne savent pas où se met le bébé, ce qui se passe à l'intérieur." A Mayotte depuis un an, la jeune femme se souvient d'un accouchement d'une très jeune fille, terrorisée par ce qui lui arrivait. "Elle hurlait comme personne, et nous avons compris après qu'elle ne comprenait pas ce qui se passait : elle ne savait même pas que le bébé devait sortir par là ! Il y avait deux coco qui l'accompagnaient, elles ne lui ont rien dit de tout l'accouchement."
Une anecdote qui n'est pas unique et qui n'étonne aucune des professionnelles de la naissance, qui ont toute constaté qu'il n'y avait aucune transmission de ces choses entre la mère et la fille. "Elles savent s'occuper d'un bébé, une fois à la maison, mais pour tout ce qui se passe avant, elles n'ont aucune connaissance", confirme Sophie, elle aussi sage-femme à Kahani.
"C'est une erreur"
"Ce qui se passe avant" est en effet un tabou puissant, qui se ressent dans le travail médical. "Les aides soignantes, qui font l'intermédiaire entre nous et les patientes qui ne parlent pas français, traduisent "vagin" par "en bas"", constate Marie. "Mêmes ces femmes qui travaillent dans le médical sont gênées de prononcer les termes. Le résultat de ce tabou, c'est que les femmes qui ont un problème gynécologique attendent toujours le dernier moment, que ça devienne gênant, voire grave pour oser aller consulter." Les examens gynécologiques sont d'ailleurs la terreur des Mahoraises, elles le refusent pendant le ramadan.
"C'est vrai avec toutes les femmes, quel que soit leur âge, mais avec les adolescentes c'est encore pire : elles sont totalement mutiques. Il est impossible d'obtenir des réponses à nos questions", se désole Sophie, qui se souvient d'une jeune fille qui ne répétait qu'une seule chose : "c'est une erreur". "Il n'y a pas d'anticipation", poursuit Stéphanie, "je vois des jeunes filles dans les collèges, habillées de façon très choquante. Elles aguichent les garçons, se retrouvent un jour acculées, et presque obligées au rapport sexuel, et finissent devant nous, sans père, rejetées par leur famille, c'est trop tard.."
Toutes celles qui refusent d'avoir l'enfant arrivent souvent trop tard pour avorter. "Elles prient et prient encore pour avoir leurs règles, attendent jusqu'à ce que ça soit trop voyant, et quand elles sont obligées de reconnaitre leur état et demandent à avorter, elles sont à 4 mois de grossesse, c'est trop tard", raconte Marie qui précise qu'en général, les jeunes filles qui arrivent tôt à la maternité et réclament l'avortement sont plus au courant que les autres du fonctionnement et des solutions. "Ce sont souvent celles qui parlent bien français d'ailleurs."
"Elles ne prennent jamais la pilule"
Stéphanie estime que peu d'entre elles veulent avorter réellement, même si elles n'ont pas voulu être enceintes, elles veulent être mères. "Avoir un enfant leur confère un statut, un pouvoir." "On leur raconte que le mariage et les enfants vont les sauver", estime Sophie. "Dans nos contes de petites filles, à la fin ils sont heureux, se marient et ont beaucoup d'enfants, mais très vite on fait la différence avec la vie réelle. J'ai l'impression que ce n'est pas le cas pour ces jeunes filles, c'est comme si leur seul espoir d'avoir une bonne vie, une bonne place dans la société, c'est d'être mères. Donc elles ne se protègent pas sérieusement et finissent par accepter leur grossesse."
Avoir des enfants très jeune pose d'ailleurs des problèmes médicaux : "si elles n'ont pas fini d'être formées, leur bassin est trop étroit et l'accouchement est difficile. Mais le plus gros danger est psychologique", estiment les trois sages-femmes. "Elles savent qu'elles risquent d'être rejetées par leur famille, de se retrouver seules avec leur enfant, c'est pour ça qu'elles sont dans le déni, qu'elles ne viennent pas aux consultations", explique Sophie.
Après un accouchement, que la patiente soit mineure ou majeure, les sages-femmes lui proposent la pilule, qui est totalement gratuite. "Elles ne la prennent jamais, d'ailleurs quand elles reviennent à nouveau enceintes elles mentent, affirme qu'elles l'ont prise. D'autres avouent qu'elles n'arrivent pas à y penser", constate Stéphanie, qui voit une différence entre la ville et la brousse : "celles qui habitent en ville sont plus au courant et font plus attention". L'implant à d'ailleurs beaucoup de succès chez ces jeunes filles, il ne se voit pas, dure plusieurs années et n'oblige pas à y penser chaque jour à heures fixes.
"Tout dépend de l'attitude de la famille"
Cependant, les trois sages-femmes estiment que certaines de leurs consœurs poussent trop les jeunes femmes à accepter l'implant. "Ce sont des êtres humains, des femmes qui ont le droit de faire ce qu'elles veulent, nous n'avons pas à leur imposer notre vision des choses. Si elles refusent la contraception, alors il faut respecter ce choix. Nous insistons quand même sur les bienfaits médicaux d'espacer les grossesses." Certaines femmes voient la contraception comme un "truc de m'zungu", une sorte de pouvoir du médecin blanc sur la femme mahoraise.
L'acceptation de la grossesse et son bon déroulement dépendent énormément de l'attitude de la famille. "Des filles qui sont au départ totalement mutiques, dans le déni, vont changer à partir du moment où la famille va accepter de les aider", observe Marie. "On voit un changement de son comportement alors, de petite fille, elle devient mère, se prépare à la naissance. Malheureusement il y a aussi des contextes dramatiques de jeunes filles totalement rejetées. Certaines sont enceintes d'un membre de la famille mais ont peur de parler, nous ne pouvons pas faire grand-chose."
Quoi qu'il arrive, si la jeune fille enceinte a moins de 16 ans, la maternité le signale au procureur pour qu'il y ait enquête. Mais les jeunes mères refusent souvent de quitter leur famille, de se retrouver sans aide, même si la famille est en cause dans leur situation.
Hélène Ferkatadji
{mospagebreak title=Témoignages}
"Il faut que toute la population s'y mette"
Etre maman à l'adolescence est un phénomène encore courant à Mayotte. Il touche plus particulièrement une certaine couche sociale, à faible revenu, dont la famille n'hésite pas à donner son accord à la première proposition de mariage, soi-disant pour garantir la prise en charge par quelqu'un, de la toute jeune fille.
{xtypo_dropcap}D{/xtypo_dropcap}u coup, la jeune mariée encore mineure devient "mère prématurément". Parfois elle est encore scolarisée. Dans ce cas précis où elle accepte de se marier, elle a toute ses chances de compter sur la collaboration entière de son entourage familial pour l'aider à prendre soin du bébé. Mais le cas le plus délicat concerne les grossesses indésirables, cela entraîne souvent l'exclusion de la jeune fille du cadre familial. Restée dans la rue avec ou sans compagnon, la jeune et future maman vit dans l'angoisse totale. Le désespoir. Que peut faire une jeune personne, complètement démoralisée, face à un nouveau-né qui ne demande qu'à bénéficier d'une prise en charge et ensuite d'une bonne éducation pour son bien-être ? Difficile à dire.
Derrière tout ça se cacherait d'autres cas concernant les abus et/ou détournements de mineures, facteurs aggravants de ce phénomène, pour lesquels les parents, par naïveté ou pression sociale, n'osent pas témoigner.
Une petite enquête menée dans la banlieue nord de la capitale, à Kawéni, est révélatrice de deux cas de mineures, futures mamans, suivies mensuellement par les services de PMI de Kawéni. Ce phénomène qui hante la jeunesse féminine devient de plus en plus inquiétant et suscite un travail énorme, mais malheureusement encore sans résultat, malgré les campagnes de sensibilisation menées par les professionnels de la santé publique.
"Il faut que toute la population s'y mette", préconise une sage-femme qui exerce à Mayotte depuis trois ans. L'affaire est grave. "Faire un enfant quand on a moins de 15 ans est une sérieuse catastrophe et pour la maman et pour le bébé", signale la responsable de la section PMI-femme enceinte, "même si la maman s'en occupe bien", précise-elle. Ce qui n'est pas toujours évident, car en général cette tâche est réservée aux grandes personnes, plus matures.
Les enfants de 12 à 15 ans ne sont pas du tout prêtes, ni psychologiquement dans la tête, ni physiquement dans le corps, pour supporter l'accouchement et l'arrivée de l'enfant.
D'ailleurs, avoir un rapport sexuel avec des mineurs est un délit puni par la loi, même s'il y a consentement. Mais malheureusement, le témoignage recueilli à la PMI de Kawéni fait état de deux cas de consultation de mineures en attente d'un prochain accouchement. Un enseignant de classes de PPF signale également 4 cas d'accouchement dans l'établissement de Kawéni au cours de l'année scolaire 2008-2009.
Saïd Ahmed
Témoignages
Une maman de 23 ans
Moi-même, j'ai eu mon premier bébé à l'âge de 16 ans et je suis actuellement mère de trois enfants: deux garçons et une fille. Mais j'ai eu le soutien moral de mes parents qui m'ont pris en charge. Avant tout, un mariage précoce a été conclu par consentement parental entre les deux familles. Vue l'ampleur de la tâche, j'ai pris toutes mes précautions et le second accouchement a eu lieu cinq ans plus tard et le dernier après trois ans.
Par contre, je connais une voisine, encore mineure, qui a fait un bébé hors mariage. C'est un vrai problème pour elle. A l'époque elle avait 12 ans et son amant 18 ans. Le couple vit seul hors du foyer familial, dans la galère. Pourtant le mari, lui, se débrouille pas mal, en bricolant à gauche et à droite. Mais le reste laisse à désirer. L'inexpérience pèse et se paye cash.
Une jeune maman de 15 ans scolarisée en 2ème année PPF
Je suis tombée enceinte à l'âge de 15 ans et mon amant avait 18 ans, l'année dernière. Le bébé a maintenant 1 an et se porte très bien. Je n'ai pas connu un problème particulier. On se débrouille comme on peut. J'ai fêté son premier anniversaire le 21 juin.
Zalia, mère de trois garçons
Je me suis mariée à l'âge de 18 ans. Je n'ai eu aucun problème. Mais par contre, je sais que la tâche d'une mère n'est pas du tout facile. Etre maman à moins de 15 ans est un danger, car l'accouchement est un passage difficile entre la vie et la mort pour donner une autre vie. Si j'ai un conseil à donner, ce serait d'éviter de tomber dans ce circuit.
Propos recueillis par Saïd Ahmed
{mospagebreak title=Témoignage, Rafida, mère à 14 ans}
Chassée du domicile familial par ses parents
Rafida a 15 ans. Cela fait bientôt un an qu'elle habite seule avec son fils et son petit ami. Chassée du domicile familial quand ses parents ont appris sa grossesse, elle doit maintenant se débrouiller pour gérer un enfant, un foyer et une vie d'adolescente.
{xtypo_dropcap}A{/xtypo_dropcap} l'âge de 14 ans, elle se rend compte qu'elle est enceinte. Elle décide de ne rien dire à personne, excepté son petit ami qui va tout assumer avec elle. Leur première réaction a été de chercher à faire avorter la jeune fille par leurs propres moyens, toujours sans prévenir personne. Ils essayent donc des méthodes diverses et variées : ingurgitation d'aspirine mélangée à du soda, une mixture composée de gingembre et de boisson gazeuse ou encore des herbes spécifiques à boire en infusion. "C'est mon petit ami qui a eu toutes ces idées. Un foundi l'a aussi conseillé, surtout pour les herbes à prendre". Mais tous leurs efforts sont vains, rien ne se passe. 5 mois plus tard, Rafida est toujours enceinte et les gens s'en rendent compte.
Alertée par les rumeurs, sa mère la questionne et apprend la vérité. Furieuse, elle l'emmène à l'hôpital mais il est déjà trop tard pour avorter par intervention médicale. C'en est trop pour la mère de l'adolescente. Malgré les excuses que lui fait sa fille, elle décide de la chasser de la maison à cause de ce qu'elle a fait. Le père n'étant pas d'accord avec cette décision tente de raisonner sa femme mais n'a rien pu faire face à sa colère. Et c'est comme ça que Rafida finit par s'installer dans le banga de son petit ami, à côté de la famille de ce dernier.
"Il faut se protéger ou bien assumer"
Une nouvelle vie commence avec la naissance du bébé. Le matin, elle le laisse chez sa mère où sa sœur le garde pendant qu'elle est au collège. "Ma mère sait que mon fils reste chez elle la journée, explique Rafida, mais elle ne dit rien même si elle ne fait pas attention à lui. Elle veut que je puisse finir mes études". De retour du collège, elle endosse son rôle de mère et s'occupe de son fils comme le ferait n'importe quelle maman. C'est son petit ami qui se charge de trouver de l'argent pour le bébé : "il se débrouille", déclare-t-elle vaguement.
Interrogée sur ce qui lui est arrivée, elle parle de Dieu, c'est lui qui a choisi et c'est comme ça, elle ne pouvait rien y faire. En ce qui concerne la contraception, elle n'en a jamais entendu parler. Sa mère lui avait juste demandé de ne pas trop sortir, de faire attention à ce qu'elle faisait, sans jamais lui parler réellement du danger qui la guettait. De toute façon, elle pense que même si elle avait fait attention, s'était protégée comme il se doit, ça serait quand même arrivé, "c'était écrit".
A cause de sa situation familiale, elle fait les frais des ragots et se fait désigner du doigt par tout le monde. Devenue persona non grata, les mères interdisent même à leurs filles de fréquenter la jeune maman et son copain. Certains membres de sa famille aussi ont mal réagi au départ, insistant sur le fait qu'elle ait déshonoré toute la famille. Avec le temps les choses se passent mieux, mais il reste toujours une certaine gêne entre Rafida et son entourage.
"Plein de filles tombent enceintes à M'tsapéré et elles avortent à chaque fois. Aujourd'hui, elles sont mariées et tentent d'avoir des enfants, mais n'y arrivent pas. C'est pour ça que j'ai bien fait de ne pas le faire finalement, je l'aurai regretté. Il faut se protéger ou bien assumer, c'est ce que je conseille. Je ne sais pas ce qu'il faudrait faire d'autre pour stopper tout ça."
Rafida attend aujourd'hui une deuxième chance de la vie. Pouvoir poursuivre normalement son cursus scolaire, vivre avec son fils et son petit ami sans se soucier des regards malveillants et accusateurs la comblerait de bonheur.
Rawnat Mohamed Chaher
{mospagebreak title=Témoignage, Nassilat, mère à 15 ans}
"Je remercie ma mère qui m’a comprise et aidée"
Nassilat, étudiante en 2ème année de BTS assistante de direction, a 24 ans. Mère de Nayim, 9 ans, elle fait partie des nombreuses Mahoraises à avoir eu un enfant lors de leur adolescence, voire leur jeunesse. Elle était âgée de 15 ans lorsqu’elle s’est rendue compte qu’elle était enceinte.
{xtypo_dropcap}"J{/xtypo_dropcap}’étais malade donc ma mère m’a emmenée à l’hôpital où on a appris toutes les deux en même temps que je portais un bébé depuis 6 mois". Elle se rappelle ne s’être doutée de rien au début. Son cycle menstruel a toujours été déréglé, un fait qui explique qu'elle ne se soit pas alarmée de ne pas voir arriver ses règles. De plus, elle n'avait remarqué aucune modification physique sur elle-même.
Comme aujourd’hui, Nassilat vivait alors chez ses parents. Très proche de sa mère, elle pouvait tout lui dire et n’a jamais pensé à lui cacher la vérité sur ses agissements, quels qu'ils soient. Les relations avec son père étaient différentes, elle le craignait. Elle ne l’a d’ailleurs mis au courant de sa grossesse que 2 ou 3 semaines après avoir elle-même appris la nouvelle.
"Il a très mal réagi, comme je le prévoyais. On s’est disputé et pendant un an il ne m’a pas adressé la parole". Un climat de tension qui ne l’a pas empêchée de vivre sa grossesse normalement, de l’assumer pleinement devant les gens. "C’est vrai que j'ai beaucoup pleuré quand j'ai su que j'étais enceinte. Mais après m'être remise du choc, je l’ai dit à tout le monde, je n’ai pas cherché à le cacher. J'ai tout fait comme d’habitude, j'ai même continué à jouer au basket".
Nassilat n’a jamais pensé à avorter ni à abandonner l’enfant à la naissance. Sa mère précise qu’elle ne lui aurait jamais proposé de le faire : "C’est la volonté de Dieu qui a fait qu’elle est tombée enceinte. Il ne faut pas aller à l’encontre des décisions de Dieu. Peut-être que si elle avait avorté, il ne lui aurait plus offert la chance d’avoir à nouveau des enfants. En plus, je ne voulais pas qu’un jour elle me reproche de l’avoir forcée à faire quoi que ce soit".
Le reste de sa famille, à l’exception de son père, a bien réagi et accepté la situation. Bien qu’il y ait eu quelques rumeurs malfaisantes du côté des voisins et parfois des amis, ça n’a jamais gêné Nassilat. "C’est tout le temps comme ça, les gens parlent, critiquent et insultent. Ca sera toujours la même chose, sauf que maintenant ça arrive tellement souvent que c’est moins choquant de voir une jeune fille enceinte."
Le père n'a vu son fils qu'au bout de 7 ans…
En ce qui concerne le père du bébé, il s’agissait de son petit ami. Malheureusement il ne vivait pas à Mayotte, mais faisait ses études à la Réunion. Ce n’est qu’après l’accouchement qu’elle lui a annoncé qu’il avait un fils. Dès lors, le jeune homme s’est débrouillé pour lui envoyer de l’argent de temps en temps. A cause de l'éloignement géographique, c'était la seule façon pour lui de participer aux frais relatifs au bébé. Parti en Métropole peu de temps après la naissance de son fils, il n’a pu le voir qu’au bout de 7 ans, quand Nayim est parti lui rendre visite en France.
La principale crainte de la jeune maman était de ne pouvoir continuer normalement ses études à cause du bébé. Une peur finalement non fondée puisqu’elle a réussi à joindre les deux bouts. "Ma mère gardait le petit pendant que j’étais en cours. Le seul souci c’est que j’ai dû redoubler ma 5ème parce que j’avais raté pas mal de cours pendant ma grossesse et après l’accouchement. En ce qui concerne mon avenir proche, je prévois de partir l'année prochaine faire une licence en France où j’emmènerai mon fils pour m’en occuper, seule cette fois".
En ce qui concerne la prévention, elle déplore le manque de communication entre les mères mahoraises et leurs filles. A son époque, raconte-t-elle, elle ne savait rien des différents moyens de contraception, personne ne lui en avait parlé. Si le sujet de la sexualité n’était pas aussi tabou, des accidents de ce type arriveraient moins souvent selon elle.
Comprenant la chance qu'elle a eu, elle veut remercier sa mère qui l’a comprise, suivie et aidée tout au long de cette épreuve. Ce n'est pas toujours le cas dans ce genre de situation. De plus, son père a finalement accepté son petit-fils et vit maintenant une bonne relation avec lui. "Qu’ils me pardonnent de leur avoir imposé tout ça".
Pour les futures jeunes filles qui tomberont accidentellement enceintes, elle leur conseille d’en parler avec leur parent, c’est primordial. "Il faut leur expliquer la situation, les calmer et peut-être même les rassurer. Surtout ne pas avorter, c’est une très mauvaise chose. Pour celles qui ne sont pas encore enceintes, je leur recommande de bien faire attention et de se protéger, que ce soit en prenant la pilule ou par un autre moyen. Enfin, les parents, eux, ne devraient pas mettre leurs filles dehors, ce n’est pas une solution. Il faut accepter et discuter avec la jeune maman pour que tout cela n’arrive plus".
Rawnat Mohamed Chaher
Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.