Septembre 2007 – Société – Les enfants des poubelles

Ils se déplacent toujours en groupes et se rassemblent fréquemment autours des grandes boutiques de la capitale. Dans quelle tranche de vie peut-on les placer ? Leurs vies tanguent au fil des rencontres. Tantôt ils sont les pauvres petits enfants mendiants, victimes de l'immigration clandestine. Tantôt ils deviennent des petits monstres capables des pires insultes et des pires vols et cela sans aucun scrupule. Mineurs pour la plupart, la justice a les poings et les mains liés face à leurs agissements. A moins qu'un réseau d'adultes se cache derrière cette misère infantile ?

Interrogez ces gamins sur le butin qu'ils ont ramassé dans les poubelles diverses ou à la décharge de Majicavo et vous obtiendrez toujours la même réponse : "c'est pour mon chien", semblent-ils s'être donné le mot. Pourtant Mayotte est une île musulmane qui prêche l'éloignement des chiens car ce sont des animaux impurs. Et tous les enfants rencontrés à fouiller dans les poubelles répètent le même refrain : "ces aliments sont pour nos chiens". Admettons un instant que cela soit la vérité, pouvez-vous nous conduire chez vous, pour qu'on puisse voir vos chiens ? Un long moment de silence s'installe alors. Il est vrai que rien ne pousse ces enfants à nous conduire chez eux, mais certains acceptent.

Les trois enfants que nous suivons vivent dans les bidonvilles de Kawéni. Ils ont entre 12 et 14 ans. Pour revenir dans leur quartier, les petits empruntent des chemins invisibles : "nous sommes les seuls à passer par là. Nous connaissons ces endroits comme nos poches", se vante un des enfants. Vêtement sales et déchirés, les enfants ne font pas attention à leur look : "nous n'avons pas les moyens de nous acheter des beaux vêtements", expliquent-ils en arrivant aux abords de leur maison. Des cases faites de bric et de broc. Sans eau, sans électricité. Retirées au fin fond de Kawéni.

 

Pour dormir, une chambre de 2 mètres sur 2 empestant la pisse, un bout de matelas délabré et un drap moisi…

Dans une grande cour vide, des adultes sont assis et jouent au domino. Sans inquiétude, les enfants se dirigent vers les plus grands, cartons tendus. "Déposez ça là et allez préparer le feu !", lance une voix sortie de nulle part. Dans les cartons, des restes amenés des poubelles des grands magasins : des œufs, des tranches de jambon encore emballées dans leurs paquets, des poires… Puis une voix nous interrompt : "aucun journaliste ici. Pas de journaliste !…", stoppe brutalement un adulte assez costaud pour faire obtempérer le plus gaillard des hommes. Tous les enfants reculent, regards effrayés. Un moment de pourparlers s'entame alors, puis le contact est noué.

Les enfants sont mis en retrait. Les adultes ressentent le besoin de s'expliquer : "c'est moi qui a sauvé ce petit de la misère. Ses parents ont été expulsés par la police. Depuis 2 ans je m'occupe de lui. Mais ce petit est incontrôlable. Il pille les poubelles, vole aux supermarchés. Tous les jours la police vient nous voir à cause de leurs bêtises, je ne sais plus quoi faire", braille l'adulte tout en nous conduisant vers le lieu où sont supposés loger les petits. Une chambre de 2 mètres sur 2, empestant la pisse. Un bout de matelas délabré sert de couchage aux petits. Les draps sont moisis… Les détails sont indescriptibles tant le lieu est invivable. Une porcherie diront certains…

Les enfants admettent, hors la présence des adultes, vivre effectivement dedans, "mais pas toujours. Des fois nous dormons chez des amis, c'est mieux". Les déclarations des adultes pleuvent d'un peu partout : "c'est moi qui l'aide", "non c'est moi", "non c'est plutôt moi", se bousculent-ils. Sur l'histoire des petits, chacun veut s'expliquer. Nous apprendrons alors que l'un des gamins vit seul à Mayotte depuis 2 ans. Il aurait 14 ans. Du haut de ses trois pouces, on lui donnerait à peine 12 ans.

 

L'enfant dénonce des maltraitances physiques

Il est arrivé à 8 ans à Mayotte accompagné de ses parents. La suite de l'histoire, le petit Abou très timide accepte de la raconter. Il réfute les explications des grands : "ma mère est rentrée d'elle-même à Anjouan. Mon père n'est jamais venu, il a toujours vécu là-bas. Ici, ma mère m'a laissé à la charge de mon beau-père qui est propriétaire de la cabane où je vis. Mais maintenant, je ne le vois presque plus, il vit à Mamoudzou".

Et tous ces gens, qui sont-ils par rapport à toi ? La tête et les yeux du gamin font comprendre qu'il ne veut pas s'exprimer dans le cercle de ses dits protecteurs. S'en défaire avec l'enfant devient alors un casse-tête chinois. Mieux vaut partir, nous le retrouverons à un autre moment. Deux heures plus tard l'enfant, assis avec un de ses amis, est de nouveau plongé dans les poubelles. Nous en profitons pour poursuivre notre conversation. La langue du petit se délie alors : "le gars qui se vantait m'aider, là-bas, c'est un menteur. Il me bat quand je ne ramène pas de quoi manger le soir. Il me demande de le payer pour manger ce qu'ils font à manger. C'est en plus un voleur. Il dit que j'en suis un, mais quand je reviens avec des trucs à moi, il me les pique", dénonce inlassablement le jeune garçon.

Le regard reste tout de même inquiet, le visage est triste… Puis petit à petit d'autres enfants le rejoignent. Ceux là, ils ont des parents à Mayotte. "Allons dans la mangrove, jouer !", invitent-ils. Heureusement, la vie de gamin existe encore pour les petits comme Abou.

Denise Marie Harouna

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