Le temps passe, mais la mémoire reste intacte. Nombreux sont les Mahorais la famille de la victime la première, à attendre le dénouement de l’affaire. Après de multiples péripéties, le procès va enfin prendre place. Plusieurs personnes comparaissent, mais la plupart pour des chefs d’accusation différents. Pour bien comprendre les tenants et aboutissants de cette affaire, il faut remonter en janvier 2011. Un matin, le corps d’une jeune femme âgée de 18 ans est retrouvé sans vie sur une plage à Trévani. L’autopsie révélera qu’elle est décédée d’une overdose d’héroïne. Au fur et à mesure que l’enquête avance, les investigations démontrent l’implication du petit-ami de la victime dans le drame. En effet, celui-ci avouera lors de ses auditions, avoir consommé la drogue dure en sa compagnie avant qu’elle ne succombe. Sous le coup de la panique visiblement, l’individu décide de dissimuler le cadavre avec la complicité de son employeur de l’époque.
Mais l’affaire prend une tournure encore plus grave quant à l’origine des stupéfiants qui se sont retrouvés dans les mains de Roukia. Les premières conclusions de l’enquête montrent l’existence d’un trafic de drogue au sein du Gir (groupe d’intervention régional) rattaché à la police et à la gendarmerie. Plusieurs officiers et sous-officiers seront sommés de s’expliquer jusqu’à ce que les charges ne concernent finalement plus que deux agents. Ces derniers sont accusés par le compagnon de Roukia d’avoir mis en place un réseau de trafic de stupéfiants bien ficelé. Afin de gonfler leurs chiffres d’interpellations et de saisies, ils auraient installé un circuit avec Anjouan d’où transitait l’héroïne avant de la revendre ou de la restituer à deux indicateurs. Ces derniers sont eux aussi poursuivis dans cette affaire en tant que dealer et sur le volet de l’homicide involontaire. Parmi les indics du Gir, certains ont dénoncé des menaces de la part des forces de l’ordre pour les faire taire. Des accusations que contestent bien évidemment les principaux concernés.
Pressions, fuites, fadettes et soupçons de manipulation
Le juge Hakim Karki qui instruit ce dossier s’attire progressivement les foudres des forces de l’ordre qui demandent qu’il soit dessaisi de l’enquête. S’en suivent des fuites de documents jugés confidentiels dans la presse locale. L’incident va mener à la garde à vue d’un journaliste. L’IGGN (l’inspection générale de la gendarmerie nationale) cherchait à connaître ses sources. Auparavant en 2012, une commission rogatoire du vice-président chargé de l’instruction du tribunal de grande instance de Mayotte, Marc Boehrer, avait ordonné d’éplucher les fadettes du juge Karki. À l’origine de cette procédure, une information judiciaire ouverte pour violation et recel du secret de l’instruction” (MH n°569 vendredi 25 mai 2012). Un procédé légal mais qui a choqué l’opinion publique. Ainsi, les ressentis envers l’État sont exacerbés au sein du barreau et de la société mahoraise. Ils reprochent aux instances d’user de méthodes dignes de la “colonisation” selon les termes employés en 2013 par l’avocat de la famille de la victime, Mansour Kamardine. De plus, la gendarmerie réclamera en vain la délocalisation du procès à La Réunion. Une tentative qui a provoqué la colère des avocats qui ont toujours exigé la tenue du procès à Mayotte comme condition sine qua non. Cependant, le tribunal de grande instance de Saint-Denis a tout de même reçu les auditions.
Cette affaire n’étant plus à un rebondissement près, voilà qu’en 2014 le juge Karki est poursuivi dans le cadre d’une plainte pour viol. Au vu des éléments en présence, pour le barreau et la famille de la victime l’accusation ressemble plus à un coup monté. Une allégation que nie déjà en juillet 2014 le commandant Gautier, ex-patron du Gir et entendu comme témoin dans ce procès. Le juge s’est toujours défendu en mettant en avant un rapport sexuel consenti. Autre zone d’ombre dans l’instruction de ce dossier, l’absence de confrontation entre la victime et son présumé agresseur. Par la suite, Hakim Karki a été suspendu de ses fonctions avant que lui soit retirée l’affaire Roukia. Depuis le dossier a été remis au juge Ballu qui a signé une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel à l’encontre des six prévenus (le petit-ami, son employeur, les deux indicateurs, l’agent de police et le gendarme), les chefs d’accusation relevant de cette juridiction. Ils encourent jusqu’à 10 ans de réclusion. En septembre dernier, Me Kamardine l’avocat de la famille de Roukia avait indiqué son souhait de faire intervenir à la barre le juge Karki avant finalement de changer d’avis. “J’ai renoncé à cette option, car son intervention n’apportera pas d’élément particulier en plus dans le débat qui va s’ouvrir”, estime-t-il.
Le procès démarre donc aujourd’hui à 14h sans que l’on sache encore ni la date ni l’heure du verdict. Néanmoins, la durée de la procédure est estimée à cinq jours. Tout dépendra de la vitesse des audiences.
GD
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