Une équipe de chercheurs se trouve actuellement à Mayotte pour identifier les différents points de refuge en cas de risques naturels. Doctorant au laboratoire Gred à l’université Paul Valéry de Montpellier 3, Fahad Idaroussi Tsimanda, un Mahorais de 28 ans originaire d’Acoua, y prend part et détaille les contours de cette mission baptisée « Tsunami ».
Flash Infos : En quoi consiste cette mission scientifique ? Et qu’est-ce qui va en découler ?
Fahad Idaroussi Tsimanda : À la suite des différents essaims de séisme à Mayotte, la préfecture nous a sollicités, mon professeur, Frédéric Leone, une ingénieure de mon laboratoire, Monique Gherardi, et moi-même, pour procéder à des repérages pendant deux semaines. Compte tenu de la naissance du volcan, notre objectif est de modéliser les différents tsunamis qui sont susceptibles d’affecter l’île avant de les cartographier pour identifier les différentes zones qui seraient plus impactées que d’autres, à l’image des plaines côtières. À partir de là, nous avons essayé de repérer les zones de refuge pour que la population puisse se mettre à l’abri.
Toutes ces informations seront intégrées dans l’application SW Map. En cliquant sur n’importe quelle maison, vous pourrez connaître l’itinéraire le plus court pour rejoindre les points de refuge, que nous avons géoréférencés pour les associer dans le système d’information géographique qui nous permet de modéliser des cartes.
Enfin, nous réfléchissons aux différents dispositifs qui pourront être installés, tels que des sirènes. En cas de risque avéré, elles seront automatiquement enclenchées. Des GPS et des radars, placés au large de Mayotte, alertent en premier lieu le service interministériel de défense et de protection civile, qui donne ensuite le signal aux différentes communes.
FI : En décembre dernier, le cyclone Belna est passé à quelques kilomètres de Mayotte. Cet événement avait poussé les autorités compétentes à réagir dans l’urgence et a mis en lumière que les habitants préféraient rester chez eux plutôt que de rejoindre un lieu sûr.
F. I. T. : La population marginale et vulnérable a peur de perdre le peu en sa possession. En cas de risques de cyclone, elle refuse d’évacuer. Mais la croyance joue également un grand rôle dans ce type de refus. En parallèle de cette mission, je poursuis ma thèse intitulée « Vulnérabilité différentielle des migrants à Mayotte : enjeux socio-politiques de la réduction des risques dans un département français insulaire en développement », qui me permet de réaliser des enquêtes dans les bidonvilles. Bon nombre d’habitants m’expliquent que Dieu pèse sur leurs gestes et leurs agissements. Après, le problème est aussi plus profond et concerne leur situation administrative. Pour éviter toute expulsion, certains préfèrent ne pas entrer en contact avec les autorités.
Les municipalités doivent jouer le jeu et rentrer dans les quartiers les plus précaires. Et pour cela, elles devraient se rapprocher des associations qui y mènent des actions. Ces structures connaissent davantage les réalités du terrain et surtout, elles ont une relation de confiance avec les habitants de ces quartiers informels. Sans la sensibilisation, nous sommes voués à l’échec et à des catastrophes de grande ampleur. Il faut aussi passer par les écoles. Car vous n’êtes pas sans savoir que les enfants sont un vecteur de message auprès de leurs parents.
FI : Avec ses spécificités, Mayotte peut-elle espérer passer entre les mailles du filet en cas de catastrophe naturelle ?
F. I. T. : Le risque est réel ! Il faut savoir que dans l’océan, Mayotte se situe sur un plancher, qui rassemble des zones de montagne. Et avec les différents essaims de séisme, celles-ci peuvent se fragiliser et s’écrouler. Les roches dans l’eau peuvent être un vecteur de tsunami. En cas de glissement de l’édifice du volcan, ce phénomène peut provoquer l’arrivée soudaine de grosses vagues. Du coup, la mangrove est protectrice, tout comme les deux barrières de corail qui entourent l’île. Elles peuvent jouer un rôle important dans l’atténuation d’un éventuel tsunami.
Malheureusement, la situation est plutôt alarmante à certains endroits, notamment à Iloni où la mangrove est assiégée et abîmée. Et d’ici quelques années, il y a de fortes chances qu’elle ait complètement disparu du paysage… Idem à Acoua. La zone marécageuse a été rasée et remblayée pour accueillir le terrain de football et les écoles maternelles. Sans oublier le remblai de M’tsapéré où se situe le siège de la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement. Je pense que l’État n’a pas pris conscience, ou alors très tardivement, de l’enjeu de la mangrove.
En 2014, lors du passage du cyclone Hellen, il y a eu un phénomène de submersion marine. Cela montre bien que quand la nature décide de reprendre ses droits, l’humain n’est qu’un simple pion sur l’échiquier. Si l’objet de cette mission n’est pas de créer des psychoses, nous devons avertir les acteurs. Il faut insister et travailler main dans la main avec la population. Le risque zéro n’existe pas. Nous ne pouvons prédire ce que l’avenir nous réserve… Sensibiliser et faire des exercices permettent de minimiser les impacts. Au Japon, cela a pu sauver 95% des vies. Il faut donc multiplier les exercices. Il ne faut pas en faire un par an, mais plutôt un tous les trimestres pour que les mécanismes puissent rentrer plus facilement dans les mœurs. Comme le dit l’adage, mieux vaut prévenir que guérir !
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