Procès de la tête de cochon : prison ferme et forte amende

Tout le monde s’en souvient. L’entrée dans l’année 2014 ne s’était pas passée sans heurts, tout de suite entachée par un scandale : une tête de cochon déposée dans la mosquée du vendredi de Dzaoudzi Labattoir la nuit du réveillon. Les jours passent, la population peine à comprendre que l’enquête piétine. Des marches sont organisées. Elles rassemblent dans le calme des milliers de croyants.

Au bout d’une semaine, on apprend enfin que ce sont des réveillonneurs avinés qui, après avoir passé la soirée auprès de tout un groupe de légionnaires et de gendarmes, en ont fait le pari.
Après avoir cuisiné “à la tahitienne”, deux porcelets commandés chez Jumbo Score, Malika, chez qui se tenait la soirée, plaisante à l’idée de jeter l’un des membres d’un cochon par-dessus sa clôture, pour embêter les jeunes qui l’ennuient souvent de l’autre côté. Sarah relève alors la proposition et se met à évoquer les répercussions qu’aurait une tête de cochon placée dans une mosquée. “Chiche”, embraye Malika.
Plusieurs heures plus tard, et surtout de nombreux verres après – elle parle que 10 verres de rosé, de 5 à 8 verres de punch, de 3 à 4 nouveaux verres de rosé, de 4 verres de vin rouge, de 2 bouteilles de champagne et de 4 ou 5 verres de Get27 -, alors qu’il est temps pour les amis de se séparer, Sarah et Sébastien, son mari gendarme, repartent avec la tête sous le bras. C’est Sébastien qui conduit. Il stoppe son véhicule aux abords de la mosquée. Là, son épouse descend et dépose la tête “entre les colonnes”. “Il est possible qu’elle soit tombée dans le patio”, ajoutera Sarah.
Ils ont été repérés par un témoin. Là, les événements ne sont pas clairs. Le témoin a-t-il sonné l’alerte ? La prière s’est-elle tenue avec la tête de cochon à l’intérieur du bâtiment pour n’être découverte qu’à la sortie des fidèles ? Difficile de le dire.

Une véritable omerta

L’absence des prévenus est déplorée par tous.
“Cela fait partie de la sanction que de se présenter devant les juges”, affirme le procureur Joël Garrigue.
“L’audience aurait du clôturer l’événement. Elle va produire l’effet inverse en laissant un gout d’inachevé”, regrette maitre Larifou qui évoque une certaine “lâcheté”.
Tous les trois ont produit des certificats médicaux mettant en avant l’état psychologique dans lequel ils se trouvent. Leurs avocats expliquent que tous sont en instance de séparation.
“Cette audience est l’acronyme d’une bêtise insondable”, lance le président Jean-Pierre Rieux. Il parle de “l’omerta” initiée par le Numéro 2 du DLEM qui a préféré faire le secret sur l’histoire avant de s’assurer qu’aucun de ses hommes n’y était trop impliqué et de dénoncer alors lui-même les auteurs à la gendarmerie. “Cet ordre de se taire a participé à l’ampleur qu’ont pris les choses”, selon Jean-Pierre Rieux. Après avoir relaté les faits, il pose à la défense une question qui fera sourire certains des spectateurs : “Vos clients, on a testé leur QI ?”. Le plus sérieusement du monde, Maitre Pinelli, conseil de Malika, de répondre : “pas dans le cadre de la procédure”.
Cet argument de la stupidité reviendra régulièrement battre la mesure, “imbécile” étant certainement le terme qui aura été utilisé le plus grand nombre de fois.

Depuis, Sébastien a reçu un blâme ministériel et a été muté à Toulon. Il serait en instance de divorce d’avec Sarah qui, elle, ne travaille toujours pas et vivrait des subsides de la CAF . Tout comme Malika, elle aussi en voie de séparation et bénéficiaire du RSA . “Il nous faudrait des preuves de tout ça, ou au moins des mouchoirs, pour que l’on puisse pleurer”, s’exclame Maitre Ahamada.

Avant les plaidoiries, le président Rieux propose de requalifier les faits, qui étaient jusque-là qualifiés de provocation à la discrimination en raison de la religion en violence psychologique.

Un profil Facebook brandi en plaidoirie

Maitre Cooper met en avant les “mensonges constants” dans cette affaire. Elle fait surtout impression en lisant certains articles partagés sur la page Facebook de Sarah. Des articles nationalistes et à forte connotation raciste envers les musulmans. Pour maitre Ahamada, “on juge des racistes et des souilleurs.” Il a regretté : “une fois encore à Mayotte, on est face à des fonctionnaires censés protéger le territoire et qui s’illustrent mal.” Il termine sa plaidoirie en demandant une condamnation aux juges : “on le doit aux Français”, a-t-il ajouté. Enfin, maitre Larifou s’est dit fier de “participer à l’oeuvre de justice”. Il a écarté la thèse de l’acte spontané : “Tout a été prémédité. Il y avait une volonté d’agresser les musulmans de Mayotte, mais aussi du monde entier. Ils sont tous attentifs à la réponse que vous allez apporter”.

Les trois avocats qui représentaient l’association gérant le lieu de culte ont demandé 50 000 € de dommages et intérêts pour le préjudice subi.
Maitre Chakrina pour sa part, représente les intérêts de la commune de Dzaoudzi. Il regrette le laxisme de la France en matière d’infraction à caractère raciste. Il évoque également une “atteinte à l’intégrité du territoire national”. Il explique alors : ces gens veulent que Mayotte se détache de la République. Ils veulent démontrer que nous n’y avons pas notre place. Ils avaient la volonté de créer une émeute. Ça aurait pu marcher, mais les Mahorais ont agi avec intelligence.”

Il demande 150 000 € de dommages et intérêts pour la commune.
Besançon, Blois, Narbonne, Ambérieu… Autant de villes citées par le procureur Joël Garrigue.
D’autres villes où des actes similaires ont été enregistrés, les auteurs n’étant jamais retrouvés. “C’est notre seule fierté dans cette affaire”.
Il a maintenu la qualification de provocation issue de la loi de 1881 expliquant que la tête de cochon pouvait faire figure de l’emblème requis par le texte de loi, étant alors le symbole du rejet de l’islam. Il n’a pour autant pas rejeté la qualification de violence en raison du choc psychologique. Le procureur a requis 6 mois de prison avec sursis, 3 000 € d’amende et la publication de la décision dans la commune de Dzaoudzi ainsi qu’au Journal officiel.

3 mois ferme pour Malika et Sarah

Maitre Chauvin a commencé sa plaidoirie par rappeler les excuses de ses clients pour cet “acte isolé de racisme”. Il a tenté d’expliquer les agissements de sa cliente par son parcours : “ses parents se sont entretués quand elle avait 3 ans. Elle a été placée à la Dass. À 18 ans, elle a été séquestrée et violée… Sa fragilité psychologique, sa construction mentale peuvent peut-être expliquer qu’elle ait réagi comme elle l’a fait lorsque le pari a été lancé.”

Tout en reconnaissant les fautes commises, il a plaidé la relaxe. Il a d’abord rejeté la qualification de violence, ne trouvant pas de victime identifiée. Quant à la provocation, il l’a également écartée. Selon lui, la tête de cochon n’est pas, en soi, un emblème de l’islamophobie, la mosquée pas non plus un lieu public. “La contravention d’injure non publique aurait pu s’appliquer”, indique-t-il.

Maitre Pinelli défend enfin Malika. Sur les faits, il reconnait que sa cliente a donné l’idée en premier et mis son amie au défi. Pourtant, il souhaite préciser que sa cliente croyait que son amie allait jeter la tête de cochon à la poubelle lorsqu’elle l’a vu partir avec.
Reprenant les mêmes arguments que son confrère, il regrette que le cadre législatif n’ait pas évolué avec le contexte et qu’aucun délit ne soit approprié à ce type de faits. “La seule qualification appropriée est celle du droit canon : c’est un blasphème”, assure-t-il. Il s’est étonné que “trois fondements juridiques” aient été proposés au fil des audiences, démontrant par la même les doutes quant à leur applicabilité. Pour lui, seul le droit civil aurait pu permettre de réparer les préjudices subis.

Mais le débat juridique n’aura pas convaincu les juges. Les magistrats outrepassent même les réquisitions. Retenant la qualification de violences, ils octroient 6 mois de sursis et 3 000 € d’amende à Sébastien, 9 mois de prison dont 6 avec sursis et 3 000 € d’amende pour Malika et Sarah. Les prévenus devront aussi s’acquitter de 7 000 € de dommages et intérêts auprès de leurs victimes.

JD

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