Mayotte : “nous n’accepterons pas que des milices se fassent justice”

Alors que le week-end a été maillé d’élans de solidarité envers les auteurs du rapt d’un jeune homme dont aucun signe de vie n’a été repéré, les deux hommes étaient présentés ce lundi devant le juge d’instruction pour être mis en examen. Une décision prise alors que le tribunal était également le théâtre d’une mobilisation de soutien envers ces deux personnes présentées comme des citoyens défendant les intérêts de Mayotte contre la délinquance. Une vision de la justice insupportable pour le procureur de la République, Camille Miansoni, qui s’est exprimé dans la soirée sur l’affaire. 

“Liberté !”, s’exclame un homme, bras tendu vers le ciel. Autour de lui, une centaine de personnes auxquelles il annonce la nouvelle : leur “frère” ne dormira pas en prison ce soir. Une décision qui ravit beaucoup moins le procureur de la République, quelques dizaine de mètres plus loin au sein d’une salle dans laquelle il a convié les journalistes pour une conférence de presse. “Quoiqu’il en soit, nous [le parquet] ferons appel de cette décision”, explique-t-il pour commenter le choix fait par le juge d’instruction de ne pas demander le placement en détention provisoire du premier des deux mis en examen de cette affaire qui fait frémir Mayotte. 

Le procureur est ému et martèle de toute la force que sa fonction lui confère l’idée d’un État de droit dans lequel personne ne peut se substituer à la justice. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Au côté du général Leclercq, commandant des forces de gendarmerie du territoire, Camille Miansoni expose ainsi les faits : “samedi, trois membres d’une même famille se sont rendus à la gendarmerie pour signaler la disparition d’un des leurs depuis ce jeudi. Ils expliquent que celui-ci aurait été enlevé par trois personnes. Parmi les membres de la famille, un homme se présente comme l’oncle du disparu et explique que lui même, dans la nuit de jeudi à vendredi aurait été emmené de force par trois individus cagoulés.” Malgré leurs visages dissimulés, l’oncle victime aurait toutefois réussi à identifier ses agresseurs. Ce qui les aurait freinés dans l’accomplissement de leur forfait. “Tu as de la chance de ne pas subir la même chose que ton neveu, le jour où on te retrouvera, tu n’auras plus qu’à organiser tes obsèques pour le lendemain”, l’auraient alors menacé les trois hommes en cagoule. C’est donc l’identité de ces trois personnes que l’oncle livre samedi aux gendarmes de Pamandzi. Lesquels parviennent, suite à ces déclarations, à mettre la main sur deux des trois hommes. 

Pas de signe de vie depuis jeudi 

Pendant leur garde à vue, ces derniers reconnaissent les faits. Et expliquent quant au sort du neveu qu’ils l’ont effectivement enlevé dans la nuit de jeudi en l’embarquant dans un véhicule pour le conduire de force aux Badamiers et l’y rosser. La cause de cette descente ? Ils accusent le jeune homme de 23 ans d’avoir agressé le frère de l’un des leurs plusieurs jours auparavant. Une vengeance donc, mais “sans que nous n’ayons quelque élément matériel propre à établir cette agression”, rappelle le procureur. Toujours est-il que selon la version fournie par les gardés à vue, celui qui vient de se faire battre par trois hommes leur aurait échappé sur le chemin du retour. Pourtant, depuis son enlèvement celui-ci n’a fourni aucun signe de vie. Ce qui laisse présager du pire au magistrat. 

Retour au tribunal, alors que l’enceinte est “assiégée” par les manifestants venus soutenir les deux hommes présentés au juge d’instruction et mis en examen dans la foulée. “Compte tenu de ces éléments, une information judiciaire a été ouverte du chef d’enlèvement et séquestration en vue de commettre un crime ou un délit. Une infraction criminelle passible de 30 ans de réclusion”, annonce le procureur de la République. Violences aggravées et menaces sont également versées au dossier qui pourrait prendre une nouvelle tournure en fonction du sort du jeune homme molesté. 

Mobilisation “citoyenne” et entrave à la justice 

Pas de quoi altérer le soutien sans faille affiché par les manifestants tenus à l’écart des grilles du tribunal par un cordon de policiers. Une nouvelle mobilisation qui intervient alors que la journée de samedi a été le théâtre de nombre de faits similaires en Petite-Terre dès lors que l’annonce du placement en garde à vue de deux des hommes est tombée. Ce qui a notamment eu pour effet de “sérieusement compliquer le travail des enquêteurs qui n’ont pas pu mener à bien les investigations nécessaires”, déplore avec force le procureur. “Ils sont allés jusqu’à saccager la maison de la famille de la victime”, ajoute le général Leclercq. Et sur les réseaux sociaux comme dans la rue, on porte en héros ces hommes qui se sont fait justice, les présentant comme des citoyens exemplaires qui défendent les intérêts de Mayotte en protégeant l’île de la délinquance. Si la victime était effectivement bien connue de la justice, voilà des messages qui ne passent pas pour l‘un de ses principaux représentants sur le territoire. “Nous faisons face à une mobilisation supposée citoyenne pour défendre Mayotte et donc la France tout en ne respectant pas ses règles d’État de droit. C’est une situation inédite et en tout cas intolérable. Nous ne pouvons pas accepter que des groupuscules fassent la loi, on ne va pas régler le problème de Mayotte en soutenant des actes de cette nature. On ne peut tout simplement pas accepter l’idée que des milices se fassent la loi”, s’émeut encore Camille Miansoni avec des mots que reprend à son compte le général Leclerq. “Nous ne tolérerons jamais cela, ma porte reste ouverte dans le cadre d’une participation citoyenne, mais il faut absolument mettre un terme à la loi du talion”, poursuit le militaire qui en profite pour lancer un appel à témoin dans l’espoir de retrouver le jeune homme au cœur de cette affaire qui dépasse largement le dossier d’instruction.

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