Entamée il y a près d’un mois, la grève des salariés de Jumbo Score ne faiblit pas en intensité. Et a même retrouvé de la vigueur en ce début de semaine avec le blocage des caisses par les grévistes. Pas de quoi, semble-t-il, faire plier la direction avec qui les négociations portant notamment sur les revalorisations de salaires sont au point mort. Fait nouveau, les employés en colère demandent désormais le départ de leur directeur.
« À Mayotte, on parle beaucoup des délinquants mais pas tellement des patrons voyous. Et le nôtre, il est clairement dans le haut de la liste ! » Accoudée sur un congélateur empli de pizzas, Anissa Hadhurami ne goûte visiblement pas l’attitude imputée à la direction à l’égard de ses camarades grévistes. « On est méprisés en permanence », peste la déléguée syndicale. « La semaine dernière, on devait discuter avec notre directeur avec une médiation de la Dieccte, mais il leur a dit de ne pas venir et au lieu de ça, il s’est assis sur la table en nous présentant ses semelles de chaussures », poursuit-elle, furibonde au milieu des surgelés. Une énième rencontre teintée de mépris, selon les dires des employés en colère, et c’est la goutte de trop dans ce conflit social qui agite l’enseigne depuis désormais près d’un mois. Alors, aux multiples revendications déjà déclarées, les salariés dont une partie bloque l’accès aux caisses du magasin en ont ajouté une. Et non des moindres : le départ de leur directeur. En atteste une banderole étirée entre deux caddies remplis de denrées.
Derrière le barrage à roulettes, d’une bouche à l’autre, le même sentiment d’injustice. « Pourquoi, alors qu’à Mayotte la vie est encore plus chère qu’ailleurs, nous sommes tout de même largement moins payés que nos collègues d’autres territoires ? », s’interroge le boucher de Jumbo, casquette CGT vissée sur la tête. « Comment peut-on accepter cela alors même que les comptes de l’expert-comptable le montrent : nous faisons un meilleur chiffre ici que dans les magasins de La Réunion », emboîte Anissa Hadhurami. « Nous ne demandons pourtant pas la lune mais concernant les salaires, par exemple, nous avions proposé comme point de départ des négociations 150 euros d’augmentation pour tous. Ce n’est évidement peut-être pas ce que nous aurions obtenu, mais quand on nous propose en retour seulement 23 euros supplémentaires, on a vraiment l’impression qu’on se moque de nous », soutient celle qui dit « enchaîner les réunions qui ne servent à rien car la direction freine sur tout ».
« On ne peut pas reprendre le travail, c’est allé trop loin »
Et s’ils promettent de « tenir coûte que coûte », quitte à durcir le mouvement en poursuivant le blocage des caisses, les grévistes ne se font guère d’illusions. « On tient mais pour l’instant on n’obtient toujours rien alors que même la ministre du Travail a été alertée. Que ce soit au niveau de la direction et de la préfecture rien ne bouge. L’arrivée de GBH ne changera rien non plus, de toutes façons ils ont gardé la même équipe de direction. Pire, on voit même que des entretiens d’embauche ont lieu dans notre dos alors que ça fait des mois qu’on explique qu’il manque du personnel en rayon », poursuit la syndicaliste qui craint également pour son emploi. « Je fais la forte tête depuis le début, car je n’accepte pas que l’on se moque de moi sur les questions de parité, de promotions et de manière générale sur les droits sociaux alors forcément ça dérange. Mais tout ça je ne le fais pas pour moi, plutôt pour nos enfants car ici comme à Mayotte en général, on ne doit plus subir les seuls intérêts des patrons sans rien en échange pour finir avec une retraite de misère. » Alors, jusqu’à quand la guerre des nerfs fera-t-elle rage dans ce supermarché à l’ambiance tantôt glaciale, tantôt volcanique ?
« Aucune idée mais il faudra de toute manière un geste. On ne peut pas reprendre le travail dans de telles conditions, c’est allé trop loin, on s’est trop moqué de nous », martèle Anissa en rejoignant ses camarades de lutte. Chez lesquels le premier de ces gestes serait d’accéder à la demande inscrite sur la banderole qu’ils exhibent. Soit le départ de leur directeur. Et les grévistes d’en appeler à « la solidarité de tous les Mahorais » en boycottant l’enseigne. « Peut-être qu’en voyant les caisses se vider ils finiront par réagir », tente la déléguée syndicale. Avec encore un peu d’énergie en rayon.
* Contactés, le groupe GBH, la préfecture de Mayotte, la Dieccte et la direction du magasin Jumbo Score n’ont pas répondu à nos sollicitations.
Silence local, écho national
La situation d’enlisement et les différents événements, parfois tendus, qui ont maillé les dernières semaines de grève au sein de l’enseigne ont poussé le secrétaire général de la fédération CGT Commerce et services, Amar Lagha, à interpeller la ministre du Travail dans un courrier en date du 28 juillet. Le syndicaliste y décrit notamment « une situation sociale préoccupante et urgente » dont les nouvelles « alertent particulièrement ». Reprenant la voix des grévistes, un communiqué national de la fédération est venu enfoncer le clou, le 5 août, dénonçant « le mépris ouvert du directeur de site face aux représentant.e.s du personnel, d’une indécence crapuleuse ». « Comment ce gouvernement qui ne cesse de prôner la démocratie à l’échelle de l’entreprise peut-il cautionner de tels agissements lors de simple Négociations annuelles obligatoires ? », s’interroge le communiqué appelant par ailleurs à une « saisine immédiate » du préfet de Mayotte. Deux jours avant la publication de ce document, la cheffe de cabinet de la ministre du Travail, Clémence Lecoeur, s’était toutefois fendue d’une réponse au secrétaire général de la fédération. Lui assurant notamment que « la ministre a pris connaissance de votre courrier avec une attention toute particulière ». Lequel courrier a, comme l’indique la lettre, été transféré en direction de la case Rocher et de son hôte le préfet « en vue d’un examen attentif par ses services ». Retour à la case départ ?
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