{xtypo_dropcap}I{/xtypo_dropcap}l ne s’agit pas non plus de liquider la culture d’un peuple qui a son histoire et qui ne date pas de 1841. Rappelons que le Mahorais est le fruit de plusieurs origines diverses : des Africains Bantous, des Protos-Malgaches, des Arabos-Shiraziens, des Créoles, des Indiens… Il s’agit aujourd’hui de réussir un changement de modèle de société. L’organisation sociétale basée sur le droit local est très « attaquée », alors qu’il assurait la paix et la cohésion sociale. Pour la remplacer avec quoi ? Par un nouveau statut sensé joué tous les rôles. La transition avec ce nouveau statut ne sera alors pas facile.
Oui au changement, non au reniement de soi. On ne change pas des habitudes culturelles enracinées à coup de lois et de règlements. Par contre, l’homme peut changer sans se travestir pour autant. C’est cet homme nouveau, en équilibre entre la promotion de l’individu et non de l’individualisme (le citoyen) et la volonté collective (l’intérêt général), qui ne renie pas ce qu’il est, qui se bat pour un idéal (être libre), que nous devons façonner avec finesse. Le repli identitaire n’est pas la solution dans un contexte de globalisation. Cependant, on ne fera jamais de nous, Mahorais, des Gaulois, ou des héritiers de Clovis, de Vercingétorix, de Charlemagne…
Nous sommes fiers d’apprendre l’histoire de France. Nous regrettons de ne pas apprendre l’histoire de Mayotte, des Comores et de l’Afrique. Nous sommes fiers d’être Français, de parler la langue française, de partager l’histoire de la France. Nous sommes fiers de faire partie de cette France multi identitaire qui accepte les identités d’Outremer, l’identité des Corses, des Bretons, des Alsaciens…, et le tout au sein de la nation française. Malgré tout, nous revendiquons notre différence au sein d’une France multiculturelle. On peut faire du Mahorais un citoyen digne de la République qui a des droits et des devoirs au même titre que tout Français dans le respect de ses différences, tant que celles-ci ne sont pas contraires à la loi fondamentale.
Aujourd’hui, contrairement à la revendication initiale, les Mahorais attendent plus d’égalité de droits, aussi bien vis-à-vis des autres « domiens », que vis-à-vis de la Métropole. La revendication contre la vie chère n’est que l’arbre qui cache la forêt d’un très grand malaise social. Nous devons alors nous tourner vers l’avenir.
Pour cela, il nous faudra régler six problèmes qui se dégagent, me semble-t-il, comme les véritables enjeux de demain :
La question de l’immigration clandestine. Cette question sera très compliquée à gérer malgré les efforts de l’Etat qui régule le phénomène à défaut de pouvoir le stopper. Il y a eu trop de liens entre les îles. Des familles, des relations se sont formées au cours de l’histoire. Sans perspectives chez eux, les Comoriens reviendront à Mayotte, quitte à mourir chaque année au large de Mayotte, l’eldorado. « Un mort n’a jamais peur de pourrir » (proverbe comorien). La mise en place d’un état civil fiable, en dehors de toute stigmatisation, entre dans cette thématique de lutte contre l’immigration clandestine. Un état civil non maîtrisé risque, en effet, de compromettre tout projet de développement harmonieux de l’île. Tout projet de développement d’un pays quel qu’il soit s’appuie sur des prévisions démographiques fiables.

La question de la création d’une richesse locale. L’aquaculture et le tourisme semblent être les meilleurs atouts de l’île. La jeunesse de la population de notre île est aussi un atout trop souvent négligé. La part des emplois publics devra diminuer pour faire place à l’initiative privée. L’économie locale ne pourrait pas éternellement reposer sur les aides de l’Etat central et sur l’importation (même si un effort de rattrapage est nécessaire). Le développement endogène de l’île passera par une restructuration de l’appareil productif local et par une ouverture du marché local aux débouchés régionaux. Il faudra aussi, dans le cadre de mesures incitatives, réhabiliter l’initiative individuelle et le travail manuel. En termes de demande d’emploi, nous devrons cesser de regarder seulement du côté du conseil général ou des communes. Il est très facile de laisser aux clandestins faire le sale boulot tout en les stigmatisant.

La question des droits sociaux. En effet, il est urgent que les Mahorais, qui sont triplement pénalisés (Smig faible, prix très élevés et fort chômage), puissent bénéficier des prestations sociales et de tous les minima sociaux, ici et maintenant. C’est une question de survie et non d’assistanat. Attendre 2012, c’est déjà les condamner à la misère ou à l’exil. L’urgence sociale est là. La solidarité familiale et communautaire est au bord de l’éclatement. La situation chaotique des voisins comoriens et malgaches ne peut plus ou ne pourra plus être considérée comme une référence de comparaison. Nous refuser le progrès social sous prétexte que nous avons un mode de vie neuf fois supérieur à celui de nos voisins, ce discours là ne tient plus.
La plupart des Mahorais partent ailleurs pour aller chercher ce qu’ils n’ont pas chez eux. Il manque à Mayotte les filets de sécurité nécessaires pour une population qui a longtemps vécu de solidarité, de gratte, d’élevage et de cueillette. La société de consommation apparait avec ses dépenses contraintes sans aucun système garantissant le minimum vital pour ceux et celles nombreux qui ne travaillent pas. Les emplois publics ne peuvent plus continuer à servir de filet de sécurité sociale. Le risque est grand de se retrouver devant une économie qui n’investit pas pour l’avenir, qui n’offre pas de perspectives pour les enfants de l’île.
En Métropole, les minimas sociaux sont distribués dans le cadre de la solidarité nationale. Quand il s’agit de Mayotte, on nous parle d’assistanat. Deux poids, deux mesures. En même temps, consacrer toute la richesse d’une île à payer des salaires ne semble pas constituer un projet de société. L’emploi public et le mandat politique ne peuvent être le seul horizon de notre jeunesse.

La question de l’éducation et de la formation. Il y a incontestablement un problème de formation et une crise de l’éducation. C’est tout le processus éducatif de Mayotte qui devra être repensé de la maternelle à l’université en passant par l’école coranique et l’enseignement de l’arabe. Des modes de garde des enfants jusqu’aux cantines. Les nouvelles technologies ainsi que la mise en place du haut débit doivent être une priorité pour une jeunesse mieux formée et plus mobile. La Collectivité devrait investir dans le haut débit tout en donnant la possibilité à chaque collégien mahorais de pouvoir disposer d’un ordinateur portable; une fois les besoins physiologiques accomplis, c’est-à-dire manger, boire, dormir, se soigner, car un citoyen qui a le ventre vide ne pense pas, il répond d’abord à l’appel du ventre. Cette jeunesse aujourd’hui plus ouverte mais enracinée dans une culture différente de la culture occidentale (où l’individualisme et le capitalisme triomphent), ne peut pas tourner le dos au progrès technique. Elle doit être préparée à la globalisation malgré sa singularité.

La question de la protection de l’environnement constitue aussi un enjeu majeur. Le temps est venu de réfléchir à un autre mode de développement qui protégera au mieux l’environnement de notre île de plus en plus fragilisée par un développement non maîtrisé. Le développement d’énergies renouvelables devra aussi être encouragé à l’exemple de ce qui se fait à l’île de la Réunion. Loger dignement les Mahorais fait aussi partie de cette politique de développement durable. Un plan stratégique de protection des habitants en cas de catastrophes naturelles ou de montée des eaux causée par le réchauffement climatique est primordial.
L’aménagement du territoire tournant le dos au tout urbain est à repenser. Mamoudzou ne doit pas devenir Rio (Brésil) où l’air est irrespirable en raison d’un fort taux de pollution. La question des transports (diversifiés) devra être réglée avec un mélange de transport maritime (repenser le rôle du STM), de transport collectifs (bus, tramway) et tout autre moyen de déplacement pouvant permettre de limiter la pollution et de désengorger la capitale.

La question de l’autonomie et de la libre administration des collectivités locales. Pour cela un cadastre fiable est plus qu’une nécessité, sinon la mise en place de la fiscale locale prévue dès janvier 2014 pourrait être compromise. Sans cette fiscalité locale, point d’autonomie notamment des communes qui vivent aujourd’hui de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et du fonds intercommunal de péréquation (Fip). Nous devons mettre un terme à la politique de la main tendue par la création d’une richesse locale. Ce qui n’exonère pas l’Etat d’exercer ses missions régaliennes.
Sans accompagnement de ces communes par l’Etat d’ici 2014 (formation, subvention d’équilibre), il est clair qu’elles ne pourront pas échapper à une mise sous tutelle, pour la majorité d’entre elles qui manquent aussi de compétences. Quelle valeur aura notre futur département d’Outremer sans fiscalité locale, sans ressources propres pour nos collectivités locales ? Le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales semble ici compromis.
Il n’y a pas de fatalité si tout est fait dans les délais et avec la volonté de tous. Au-delà de la nécessaire mise en place de la fiscalité locale, c’est tout le problème de la création et du partage de la richesse qui est posée. Quelle assiette, quel taux, quel contribuable, quelles recettes, quel mode de répartition de ces recettes (département-région, communes, intercommunalités) ? Connaissant le peu de personnes suffisamment capables de payer des impôts à Mayotte, se posera à terme la question de la solidarité nationale.

L’objectif fixé par les anciens a été atteint le 29 mars 2009 : être Français pour se libérer des Comores. A partir de cette date, une nouvelle histoire commence pour les Mahorais dans leur nouveau rapport avec la France. Aujourd’hui, c’est plutôt être pleinement Français sans reniement de soi et ce pour plus d’égalité qui doit nous mobiliser. Comment vivre au sein d’une société laïque qui préfère le curé pour éduquer nos enfants en lieu et place de l’instituteur ? Le même instituteur qui a pris la place de nos ‘’foundis’’ (maîtres) coraniques ?
Se pose aussi la question de comment accompagner ce nouveau statut qui devra concerner tous les Mahorais pour les 25 prochaines années ? Quel modèle de société pour des Mahorais qui n’ont pas comme ancêtres les Gaulois ? Comment vivre au sein d’une République laïque mais historiquement judéo-chrétienne et qui aurait pour racine le baptême de Clovis en 496 ? Comment vivre au jour le jour alors que le modèle local de solidarité est en voie de disparition ? Quel modèle de société voulons-nous léguer à nos enfants ?
C’est à ces questions que nous devrons répondre au-delà du statut de département d’Outremer aujourd’hui acquis. Nous savons que le statut de citoyen ne s’acquière pas du jour au lendemain. Il a un prix. Il faudra le conquérir. Nous savons aussi depuis la visite de notre Président le 18 janvier que « ce n’est pas l’Etat qui crée de la richesse« . Tout ne viendrait pas de Paris, les choses sont claires. Le développement endogène, le contraire de « débrouillez-vous seuls », est au cœur de notre projet de société.
Le défi à relever est énorme car être égal ne veut pas dire forcément être semblable. Nous sommes tous Français mais pas identiques. L’égalité au service de la différence et non l’égalité contre la diversité. Au-delà de l’appartenance à la nation française, nous devons ensemble construire une destinée commune. Au-delà du débat stigmatisant sur l’identité nationale, c’est plutôt le comment vivre ensemble qui est à construire. Aimé Césaire disait : « Vouloir être assimilé, c’est oublier que nul ne peut changer de faune; c’est méconnaître ‘altérité’ qui est loi de nature ».

 

 

Moindjie Mohamed