Cette affaire est emblématique de certaines pratiques que l’on retrouve heureusement rarement dans certaines entreprises et administrations de Mayotte. Celle d’un directeur venu de métropole avec un mandat qu’il pense qu’il lui confère tout pouvoir sur les salariés de son groupe, et qui ne perd pas une occasion pour s’affirmer en petit despote local, en manager toxique, dénigrant et méprisant ses ressources humaines.
À la barre ce matin, trois personnes s’avancent.
Un homme et deux femmes, une mahoraise, une métropolitaine et un français d’origine grande comorienne. Les trois sont employés dans une société de téléphonie. En 2012, les salariés ont fourni une attestation à leur direction nationale qui expliquait les conditions de harcèlement moral, “le management directif et brutal”, dans lesquels l’ancien gérant de la société à Mayotte les employait.
Ces dénonciations sont jugées calomnieuses par l’intéressé, absent au procès, et c’est ce que son avocat, maître Abla va tenter de démontrer. Il faut préciser que le gérant en question a été licencié en juin 2012 par sa société, suite aux plaintes formulées par ses subalternes auprès de la direction nationale, et qui évoquaient, “une personnalité tyrannique, un manipulateur”.
Les salariés ont été appelés à la barre à tour de rôle au cours d’une séance interminable. Le premier a expliqué que son salaire à lui était devenu, dans la bouche de son supérieur, un sujet obsessionnel, exposé au su de tous. Il se plaint aussi d’une avalanche de mails envoyés sur leur boite, en copie à tout le monde, de dénigrement permanent de ses résultats commerciaux, pourtant excellents.
La 2nde salariée est plus remontée. Elle évoque des propos racistes tenus à l’encontre des Mahorais.
“Les Mahorais ont des petits cerveaux”, se souvient-elle avoir entendu dans la bouche de son supérieur, propos auxquels il s’empressait d’ajouter, “Vous, bien sûr, vous êtes différentes, vous êtes intelligentes”.
Elle se remémore aussi les textos racistes qui circulaient lors des manifestations contre la vie chère. Une période lors de laquelle les salariés ont été contraints de venir travailler coûte que coûte, malgré la destruction du siège de la société par les manifestants.
Et puis il y a l’épisode du port d’arme. Le gérant exhibe au bureau une arme à feu et son passé d’ancien mercenaire devant la salariée. “J’ai été mercenaire, ça ne me pose pas de problème de tuer”, aurait-il déclaré à cette occasion. Ce qui explique en effet pourquoi les salariés persécutés ne se sont pas précipités devant la justice, à la fois terrorisés par cet homme, ange le lundi et diable le mardi.
Cette seconde affaire de port d’arme non autorisée est d’ailleurs passée à la trappe de la justice et n’a jamais été traduite devant les tribunaux.
Car l’homme pouvait se montrer aimable de façade, puis menaçant en sous-caves. C’est ce qu’explique la 3ème salariée, un peu intimidée. Que son ancien directeur pouvait apparaitre conciliant par moment et tentait de monter les salariés les uns contre les autres. Une salariée explique qu’il émanait parfois de lui une forte odeur d’alcool, qu’à cette occasion, il pouvait aussi tenir des propos injurieux.
“Il nous martyrisait, détaille la salariée avant de surenchérir, c’est pas lui qui faisait le chiffre (d’affaire NDLR), c’est nous ! Et heureusement qu’on était là pour rattraper ses conneries”. Elle dépeint un homme grossier, manipulateur, qui pouvait les assommer de mails, les empêchant de faire leur travail efficacement, qui augmentait leurs objectifs pour faire réduire leurs commissions de vente. “Il portait atteinte à l’image de la société”, assène-t-elle malgré les assauts de maître Abla, qui tente par tous les moyens, mais en vain, de démontrer son insincérité et la qualité calomnieuse des attestations produites par les salariés du groupe.
Ce qui donnera lieu, en fin de séance à une passe d’arme avec l’avocat des salariés, maître Akhoun.
Ce dernier s’emporte contre “l’insolence et l’arrogance” de son confrère, qui ne manque pas de similitudes avec celles de son client, tel qu’il est dépeint par ses anciens salariés.
Durant sa plaidoirie, maître Akhoun s’appuie sur la loi pour démontrer que l’infraction de dénonciation calomnieuse n’est pas fondée, et que c’est l’entreprise qui a déposé une plainte pour harcèlement moral à l’encontre de son ancien directeur régional.
Il évoque un épisode lors duquel les salariés ont trouvé une vidéo pornographique de l’ancien directeur tournée dans les locaux de l’entreprise et enregistrée sur un ordinateur de la société, une vidéo qui a fait le tour de Mayotte. “Une honte pour l’entreprise !”, s’emporte l’avocat avec force.
Maître Akhoun explique enfin que son confrère a “agressé verbalement” la salariée interrogée au cours de l’audience, “sans doute, car c’était une femme, sans doute car c’était une Mahoraise !” assène-t-il au visage de son confrère. Une réplique qui provoque l’intervention du juge Soubeyrand. Celui-ci appelle en effet à un retour au calme et à maître Abla de présenter des excuses à la dame en question, pour sa plaidoirie un peu trop agressive.
Au final, Maître Akhoun a demandé non seulement la relaxe pour ses clients, mais aussi la condamnation de l’accusateur et notamment de l’obliger à régler les frais de justice de ses clients et de leur verser une indemnité, au titre de l’accusation fallacieuse d’avoir fourni de faux témoignages, dont ils sont victimes ce jour-là. L’arroseur arrosé, en quelque sorte. Le délibéré pour cette affaire sera rendu début mai.
Adrien Theilleux
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