Le mraha : plus qu’un jeu, un lien social

En fin d’après-midi, quand la chaleur du soleil mahorais s’est un peu calmée et que les hommes rentrent du travail, certains d’entre eux se rendent à la place de jeux située à côté de la Somaco de Cavani-Stade. Comme tous les jours, les fidèles joueurs de mraha se retrouvent vers 16h30 (après la prière de l’après-midi « ansr »).

« Tous les après-midis, on est là. Jouer nous aide à décompresser après le travail. Je suis un grand admirateur de ce jeu. Au début, je ne faisais que regarder, puis peu à peu j’ai compris les règles et je me suis mis à jouer avec les autres. », confie Foundi, l’un des joueurs les plus fidèles et le seul à avoir accepté de nous parler. Petit à petit, un groupe se forme. Les hommes se saluent et commencent à s’installer. Le jeu n’est pas encore là, mais il faut s’installer pour avoir le privilège de jouer en premier ! L’un des membres du groupe va ensuite chercher le plateau de jeu pour commencer enfin la partie. « C’est un camarade qui l’a acheté dans un atelier. Le prix dépend du menuisier et de la qualité du bois », nous explique Foundi.

Le plateau de jeu, également appelé « bao » en shimaore, sont taillés dans de gros arbres comme le jaquier, l’arbre à pain, le manguier, le baobab, etc. Le bao peut être simple ou avoir des dessins et motifs. Et voilà, la première partie peut enfin débuter.

Le mraha est un jeu pratiqué dans toute l’Afrique, mais avec des règles différentes selon les pays.

Un grand nombre de personnes sont présentes aujourd’hui, mais ça n’est pas toujours le cas : « Tout dépend du temps qu’il fait, mais il y a environ une dizaine de personnes qui sont là tous les jours. Le seul souci qu’on peut rencontrer, c’est quand il pleut. On se dit qu’il y aura pas grand monde alors on préfère rester chez soi. Quand il n’y a pas beaucoup de monde, on s’installe parfois à la terrasse de la boutique juste à côté pour se protéger de la pluie ou du soleil quand il tape trop fort. »

Comme la place de jeu est située juste à côté de la route, les joueurs attirent fréquemment le regard des passants qui s’arrêtent parfois pour y regarder de plus près. Lorsqu’il commence à faire trop sombre, les joueurs s’éclairent grâce au poteau électrique situé à proximité, mais sont néanmoins obligés de s’arrêter à la nuit tombée. Parmi les personnes qui se trouvent autour des deux joueurs, certains attendent leur tour tandis que d’autres sont juste là pour regarder et faire des commentaires. Il ne faut cependant pas gêner les joueurs par trop de bavardage, et éviter à tout prix de donner des conseils sous peine de fausser la partie : « On n’a pas le droit d’aider pour que le jeu se termine au plus vite. Chacun fait ses choix. Bonne ou mauvaise, la décision de chaque joueur lui appartient. »

Une partie dure plus ou moins longtemps en fonction des joueurs. Mais, selon Foundi, tous les joueurs de cette place ont peu ou prou le même niveau ; aucun n’est réellement supérieur à l’autre : « On peut gagner aujourd’hui et être mauvais le lendemain. Je dirais qu’on a le même niveau. Le mraha fait travailler la tête. Il faut trouver la bonne stratégie en faisant des calculs mentaux ».

Le mraha : un moyen d’oublier les soucis du quotidien

Le mraha est avant tout un moyen de décompression et de rencontres. Il permet d’oublier pour quelques heures les soucis du quotidien. Les joueurs sont là pour s’amuser et prendre du plaisir dans un affrontement bon enfant. C’est également l’occasion de faire de nouvelles rencontres. Il s’agit d’ailleurs d’un aspect fondamental de ce jeu : grâce au mraha, des liens se tissent entre les habitants du quartier. Des hommes de toute origine se regroupent dans le but de s’amuser. On retrouve ainsi aussi bien des Mahorais que des Anjouanais, des Comoriens ou des Mohéliens. Tous sont là pour passer un bon moment, sans plus de discrimination. Tout le monde est le bienvenu pour participer à la distraction. »Le mraha permet de se retrouver entre amis. La majorité d’entre nous s’est rencontrée grâce à ce jeu. C’est très important pour nous. Et on ne tient pas compte de l’origine de l’autre. On se rassemble pour jouer et c’est tout. Seuls les alcooliques sont exclus du groupe car on a peur qu’ils gâchent l’ambiance. »

Quelquefois, des compétitions sont organisées pour que chaque quartier puisse rivaliser avec un autre. Il s’agit de petits tournois, juste pour le plaisir. Cependant, n’importe qui ne peut pas y participer, il faut quand même être un bon joueur et se sentir apte à défier les autres. Cela n’est pas encore le cas des joueurs de la Somaco, comme nous le confie Foundi : « Certaines personnes font des compétitions, mais pas nous. Nous sommes encore débutants. On a encore beaucoup de choses à apprendre avant de pouvoir se mesurer à d’autres quartiers. »

Entre stratégie, calcul mental et anticipation, le jeu de mraha est un excellent exercice pour faire travailler la tête. L’aspect mathématique est énormément mis en valeur par les joueurs pour essayer de déjouer les coups de leurs adversaires. La structuration dans l’espace et la gestion des possibilités de déplacements sont également des compétences développées par les joueurs de mraha.

Les joueurs les plus fidèles sentent cependant que ce jeu risque bientôt de disparaître, car les jeunes n’y jouent pratiquement plus. Ils préfèrent les jeux vidéo. Pourtant, promouvoir ce jeu serait mettre en avant la culture et la tradition mahoraise.

Oirdi Anli

 


Les caractéristiques du jeu de mraha


 

Le matériel
Le jeu de mraha nécessite un mancala, plateau creusé de cavités dans lesquelles sont placées des graines (tso) ou des coquillages (makombe), qui servent de pions. On l’appelle parfois « mraha wa tso » (le jeu avec des graines).

 

Le plateau
Parfois appelé tablier ou bao (en shimaore), il se répartit en deux camps de rangées de huit cases pour les joueurs A et B, placés de part et d’autre sur le plateau.

 

Les cases
Le jeu de mraha est composé de trente-deux trous appelés cases, soit seize par joueur, répartis en quatre rangées de huit. La pioche de chaque joueur possède 22 graines. Le jeu nécessite 64 graines (tso). Il se joue à 2 joueurs, de 7 à 77 ans.

 

But du jeu
Pour gagner la partie, il s’agit pour chacun des joueurs de capturer le maximum de graines de la ligne de capture de son adversaire.

 

Fin de partie
Le jeu est terminé lorsque tous les compartiments d’une des lignes de capture d’un joueur sont vides ou ne contiennent qu’une graine et que c’est à son tour de jouer. Une graine ne peut pas se déplacer seule. Une partie de mraha peut durer d’un quart d’heure à plusieurs heures selon le niveau et la réflexion des joueurs. En moyenne, il faut compter une demi-heure. La durée de chaque coup est limitée à une minute de réflexion.

 

Règle
Le jeu se répartit en deux phases (cycles). La première consiste à distribuer (semer) les graines de sa pioche une à une. Et la seconde consiste à réorganiser ses graines afin de récolter le plus possible en capturant le maximum de graines de son adversaire.

 

Règle simplifié du mraha
Une variante, plus simple, de cette règle traditionnelle existe. C’est souvent celle-ci que l’on retrouve décrite à l’écrit, et parfois (rarement) donnée à ceux qui achètent un jeu. Chaque joueur a deux rangées de huit cases devant lui. Le jeu commence avec deux graines dans toutes les cases.

Pour gagner, le joueur doit réussir à enlever toutes les graines de la première rangée à son adversaire. Le premier joueur prend deux pions de son camp dans n’importe quelle case puis tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre en déposant une graine par case. Lorsque la dernière graine arrive dans une case pleine, le joueur passe la main à l’adversaire. Celui-ci joue où il veut, mais toujours dans une case de son camp avec au minimum deux pions.

Après être tombé dans une case pleine, en face de la ligne de capture de l’adversaire, le joueur prend ses graines et celles de son adversaire et reprend le jeu toujours dans le sens inverse des aiguilles d’une montre et toujours de son côté. Lorsqu’un des deux joueurs a vidé la première rangée de son adversaire, il remporte la partie.

 

Source : Jeux traditionnels de l’océan Indien
Bruno de Villeneuve, 2ème édition – 2003, Ylang Images, B.P. 1159, 97600 Mamoudzou.

 

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