Kavani, un stade à l’abandon mais toujours en vie

Des morceaux de techno assourdissants se dégagent du stade. Un groupe s’adonne à un cours d’aérobic. Imperturbables, des mères de famille continuent leur petite foulée sur la piste comme si elles couraient au rythme de la musique. Pendant ce temps, près des gradins, un groupe de jeunes hommes, le corps luisant, se consacrent à la musculation avec les moyens du bord. Barrières, tribunes, le mobilier urbain est le terrain de jeux des amateurs de gonflette.

Cet équivalent du « street work out », la musculation dans la rue, El-Farouk le pratique depuis un an et les résultats se voient déjà. « J’essaie de venir tous les jours pour garder la forme », raconte modestement le jeune mahorais de 20 ans. « J’habite Passamainty, donc je viens ici en courant depuis chez moi et j’enchaîne avec la muscu », ajoute pas peu fier ce vingtenaire qui suit une formation en informatique.

Seul ou accompagné, aujourd’hui c’est avec son ami Farid, 18 ans, qu’il s’entraîne. Ca fait déjà 6 mois que je viens ici, trois ou quatre fois par semaine », détaille ce lycéen, habitant du quartier. Pour eux, le stade, c’est un point de rendez-vous incontournable pour faire leurs séries de pompes, tractions et autres abdos. « Contrairement à une salle de sport ici, c’est gratuit » se fend le Kavanien.

« Le stade, c’est plus sûr »

A quelques encablures des futurs bodybuilders, un bakoko mzoungou semble récupérer de ses tours de terrain. Intrigué par le cours d’aérobic, il s’arrête pour observer les pratiquants qui s’activent autour de la sono. « Ca ne rigole pas, ils ne font pas semblant » dit-il en plaisantant. Ce quinquagénaire vient d’arriver à Mayotte. Venu de Chambéry pour un remplacement au CHM, il effectue son deuxième séjour dans l’île. « En métropole, je suis inscrit dans un club d’athlétisme et là je viens de rejoindre le Racing club de Mamoudzou », explique le médecin. « C’est bien de voir autant de monde dans le stade pour venir se vider l’esprit en faisant de l’exercice », constate-t-il. Domicilié à M’Tsapéré, c’est une amie de son entourage qui lui a recommandé de venir ici.

Moana et Kila, elles aussi viennent au stade régulièrement pour effectuer leur petite heure de marche rapide quotidienne. Ces cousines, mère au foyer pour l’une et aide soignante pour l’autre, avaient l’habitude de réaliser leur activité sportive au bord de la route. Mais depuis un an, elles privilégient le stade de Kavani. « On s’est rendu compte que c’était dangereux de marcher à l’extérieur avec les voitures qui passent à côté et le risque d’agression potentiel », explique pragmatique, l’une d’entre elle avant d’ajouter, « le stade, c’est plus sûr ».

Au-delà de la sécurité, ces deux Mahoraises ont été « frappées » par la mixité apparente dans le complexe sportif. « Ce mélange des populations, c’est sympa et ça apporte une certaine convivialité », raconte enthousiaste Moana.

Clandestin peut-être mais sportif comme tous les autres

Au milieu des métropolitains et des Mahorais, il n’est pas rare de croiser aussi des Comoriens, des Malgaches ou encore des Réunionnais. Ali Hassane et son petit frère Ismail sont Anjouanais. Ils viennent tous les jours de Doujani, où ils vivent actuellement, pour perfectionner leur préparation physique en vue de la prochaine saison de foot.  » On fait des étirements et de la course à pied, on vient de s’inscrire au FC M’Tsapéré », explique l’aîné. S’ils font tout ce chemin pour s’entraîner, la raison est simple : « il y a plus d’espace à Kavani que sur le plateau de Doujani, c’est pour ça qu’on vient ici », répondent-ils.

A peine l’interview des deux jeunes comoriens terminée, voilà deux joggers qui se présentent, curieux de voir un journaliste prendre des photos et interroger les passants dans un lieu somme toute banal. Ahmedlelgaper et Rachel sont respectivement Syrien et Rwandaise. Ils sont tous les deux arrivés dans l’île, il y a un mois. Difficile de communiquer à cause de la barrière de la langue mais les deux amis tentent dans un anglais approximatif d’expliquer qu’ils viennent régulièrement au stade pour oublier leurs tracas. Ahmedlelgaper a fuit la guerre dans son pays et parcouru des milliers de kilomètres pour arriver jusqu’à Mayotte. Et aujourd’hui, faisant fi de son passé douloureux, il vient se dépenser au stade comme tout le monde sans être jugé ou observé. Une preuve une fois de plus, que le sport brise les frontières et rassemble.

Gauthier Dupraz

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