La saison des mariages arrive à point nommé dans l'île, une période pendant laquelle la joie et la bonne humeur sont au rendez-vous. Moult festivités y sont organisées et les familles des mariés n'hésitent pas à engager de grosses dépenses pour la nourriture, les gâteaux, les boissons. La maison de la mariée se doit d'être belle. Ainsi, pendant plusieurs mois, des travaux vont être entamés pour la finir à temps.
En matière d'ameublement, le plupart des familles se rendent à Dubaï pour acheter le salon, la chambre à coucher et de nombreux objets de décoration. Sinon, ils s'approvisionnent auprès des commerçants se fournissant à Dubaï, l'île Maurice ou encore en Chine… la nouvelle destination prisée actuellement des commerçants mahorais. Certains enfin s'équipent dans les sociétés Méga, Hyper Discount ou Ballou. Côté électroménager, les familles se fournissent de manière générale sur place car les prix sont abordables. Outre ces dépenses pharaoniques, Il faut penser à la dot –estimée en moyenne à 1.500 € – et aux bijoux.
Bon nombre d'adultes jugent que les mariages d'aujourd'hui n'ont plus cette valeur qu'on leur accordait jadis. Et pour cause, l'évolution de la société a chamboulé complètement les us et coutumes. "Quand il y avait un mariage quelque part, ça ne passait pas inaperçu. Les gens s'activaient de partout, les manifestations étaient de grande envergure et elles pouvaient durer pendant une à deux semaines. Mais maintenant tu parles ! C'est tellement différent… Ca dure tout au plus trois jours. L'ambiance fait défaut. Et le plus impressionnant c'est que les jeunes filles d'aujourd'hui s'en foutent de ce "bijou précieux" pour lequel nos parents nous tiraient les oreilles tout le temps. Je me souviens encore des propos de ma défunte mère : "il ne faut pas faire de bêtises. Quand un garçon s'approche de toi, il ne faut pas le laisser te toucher parce que tu peux tomber enceinte. Et même t'attraper la main". C'était un honneur de se marier vierge. Aujourd'hui, si tu demandes à une jeune fille si elle n'a pas commis l'irréparable, à la limite elle risque de te donner une gifle. Je l'ai fait avec ma petite fille, mais je peux vous dire que j'en ai gardé un mauvais souvenir", se désole Coco Marie, âgée de cinquante-cinq ans.
Se marier devant le maire, un passage obligé
Mayotte avance à petit pas vers le droit commun. Les traditions sont par conséquent bousculées. Le mariage est le premier à être dans la ligne de mire. En effet, depuis 2000 il est possible de se marier sous le régime du droit commun, devenu obligatoire en 2006. Ainsi, pour qu'un mariage soit reconnu et validé, les futurs conjoints sont contraints de passer devant le monsieur le maire. Ceci étant, ils peuvent également s'unir sous le régime du droit local. Les modalités changent un petit peu et la présence du cadi est alors plus qu'indispensable.
Il est cependant à noter que les mariages de droit local rencontrent quelques difficultés à l'étranger, mais aussi en métropole, car ils n'y sont pas reconnus. Cette difficulté était récurrente avec la Réunion. Mais la situation a commencé à changer depuis, grâce à la coopération régionale.
"Beaucoup d'officiers de l'état-civil se rendent là-bas pour poursuivre une formation dans ce domaine. Et l'échange a permis d'expliquer à nos collègues réunionnais ce système qui leur était jusque-là inconnu. C'est mieux de se marier en droit commun qu'en droit local", avance Attoumani Saïd Haïdari, officier de l'état civil à la mairie de Koungou.
Ce point de vue n'est toutefois pas partagé par Mariame Khalam, responsable du service de l'état-civil à la mairie du chef-lieu : "Je suis un fervent défenseur de la célébration des mariages en droit local. C'est très important car ça nous permet de nous ancrer encore plus dans nos racines. Je n'hésite pas d'ailleurs à expliquer et à donner des conseils aux futurs conjoints". Faire perdurer nos traditions est un objectif que tout Mahorais lambda devrait se fixer. Mais la réalité est toute autre.
Force est de constater que les jeunes d'aujourd'hui préfèrent se marier en droit commun, bien que le pourcentage reste encore faible. L'explication vient de la méfiance envers ce système. Beaucoup estiment que c'est désavantageux et ils optent pour le mariage traditionnel.
"Les mariages de droit commun sont un suicide. Il y a pleins de mecs qui ont été jetés dehors par leurs femmes au bout de quelques jours. Un ami à moi a été chassé le lendemain de la fin de la célébration de son mariage. Il s'était sacrifié pendant des années pour réunir la dot, acheter les bijoux et les meubles. Quelle perte ! Signer un acte de droit commun donne à la femme plus de liberté et l'incite à faire plus de bêtises. En tout cas, j'ai pris une décision. Je vivrai en concubinage bien que mes parents le désapprouvent", rouspète Samir, expert-comptable et âgé de trente ans.
Publication des bancs
Selon l'article 63 et suivants du Code civil, pour la publication des bans qui consiste à assurer la publicité du projet de mariage par affichage aux portes de la mairie, la loi exige la réalisation de deux formalités. Il est demandé de remettre un certificat médical prénuptial datant de moins de deux mois. Un imprimé peut être d'ailleurs retiré à la mairie. Une audition des deux futurs époux est nécessaire. Elle peut être commune ou séparée si l'officier d'état-civil l'estime nécessaire. Cette audition est obligatoire. Elle peut à titre dérogatoire ne pas avoir lieu, quand il y a impossibilité de la réaliser ou lorsqu'à la lecture des pièces du dossier, elle ne lui apparaît pas nécessaire.
La publication des bans incombe au maire. Elle énonce, pour chacun des futurs conjoints, des renseignements indispensables tels que le nom, les prénoms, la profession, le domicile ou résidence et le lieu où le mariage sera célébré. Cet affichage a essentiellement pour but de permettre à ceux qui connaissent un cas d'empêchement au mariage d'y faire opposition. Le mariage ne peut être célébré avant le dixième jour suivant celui de l'affichage.
Outre le certificat de publication des bans et de non-opposition du procureur de la République, le dossier contient un certain nombre de documents indispensables à l'officier de l'état-civil pour qu'il puisse s'assurer que chacun des futurs mariés remplit les conditions légales pour s'unir.
Certains mariages mixtes remis en question ?
LES SENTIMENTS N'ONT PAS DE FRONTIERE
Mayotte vit actuellement ce que l'on appelle le melting pot, tant le brassage ethnique et linguistique est important. Mahorais, Comoriens, Africains, Malgaches, Réunionnais, Métropolitains, Antillais, Hindous, Mauriciens, Britanniques, Brésiliens… cohabitent et se côtoient. Il est évident qu'à ce stade-là, les sentiments n'ont pas de frontière.
Entretenir une relation amoureuse ne mène pas forcément à un engagement, néanmoins certains couples vont jusqu'au bout de leur rêve, à savoir concrétiser leur union par un mariage. Le régime de mariage appliqué ici est le droit commun. Les mariages mixtes représentent la grosse proportion des mariages de droit commun.
La commune de Koungou comptant au dernier recensement 15.300 habitants en témoigne. En 2000, 66 mariages de droit commun ont été célébrés, contre 29 en 2001, 30 en 2002, 10 en 2003, 8 en 2004, 17 en 2005 et 22 en 2006. Et depuis le début de l'année 2007, 8 mariages de droit commun seulement ont été honorés. Une remarque est toute de même à faire. Les chiffres ne sont pas constants. Comment expliquer cela ?
Il est tout à fait possible de se marier avec une personne étrangère, même en situation irrégulière. Deux sans-papiers peuvent également célébrer leur union à la mairie. Mais le passage de la théorie à la pratique est toute autre. Selon les officiers d'état-civil que nous avons rencontrés, il apparaît que les "mariages mixtes" entre deux personnes ayant la nationalité française ne rencontrent aucun souci. Il en va de même avec les titulaires de titres de séjour. En revanche, les choses sont loin d'être faciles pour les couples dont l'un est en situation irrégulière. Ici, sont pointés du doigt les couples comoro-mahorais, ou plus récemment avec des Africains en situation irrégulière.
Lutter contre les "mariages blancs"
Le mercredi 8 mars 2006 à l'Assemblée nationale, les députés s'étaient penchés sur le projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages. Il avait été exposé que de 1999 à 2003, le nombre de mariages célébrés en France entre Français et ressortissants étrangers avait augmenté de 62%. En 2006, sur 275.000 mariages célébrés à l'Hexagone, près de 50.000 sont des mariages mixtes. Il en est ressorti également de ce projet que de nombreux étrangers recherchent, par le mariage avec un ressortissant français, l'accès au séjour et à la nationalité et qu'il fallait donc renforcer le contrôle sur la validité de ces mariages.
Une circulaire a même été adressée au mois de mai 2005 aux magistrats du parquet et aux officiers de l'état-civil, précisant l'ensemble du dispositif afin d'en permettre une application vigilante et cohérence. Il a été aussi question d'améliorer la lutte contre la fraude à l'état-civil en simplifiant le dispositif de vérification de l'authenticité des actes de l'état-civil des étrangers, introduit par la loi du 26 novembre 2003.
Un décret exige des vérifications administratives des actes et donne à l'administration un délai allongé lorsqu'elle doit faire vérifier un acte d'état-civil auprès d'une autorité étrangère. L'ancien député de Mayotte Mansour Kamardine avait affirmé souscrire à cette occasion sans état d'âme au projet, les mariages fictifs étant pour lui source de sérieuses préoccupations. Il avait ainsi rappelé que la pratique des mariages de complaisance a cours aussi bien sur le territoire national qu'à l'étranger et qu'il convenait de mieux contrôler le dispositif pour endiguer le phénomène. Il a enfin souhaité que le projet soit applicable à Mayotte. Outre l'application de ce texte, en partie à l'origine de la baisse des mariages mixtes dans l'île, d'autres facteurs sont également à prendre en compte.
"En 2001, on a pu avoir plusieurs actes légalisés. Un bruit courait au sein du parquet qu'il y a eu apparemment une fraude documentaire à l'ambassade de France aux Comores. Des individus se sont emparés du cachet d'un des fonctionnaires de l'institution décédé et aurait fait usage de sa signature pendant moult mois. Du coup, de 2002 à 2005, les mariages comoro-mahorais ont pris un sacré coup de fouet.
C'est à partir de janvier 2006 que l'ambassade a pu rétablir le contact avec les autorités comoriennes. Les actes pouvaient ainsi être légalisés. Mais la trêve fut de courte durée puisqu'en août 2006, avec la loi sur le renforcement de l'immigration clandestine, la préfecture a exigé que les actes soient réellement vérifiés dans les centres d'état-civil détenant les actes originaux du demandeur", précise Haïdari, officier de l'état-civil à la marie de Koungou.
Le "Groupe mariage" a l'autorisation générale et permanente d'accéder aux registres
Toujours dans le cadre du renforcement de la lutte contre les mariages de complaisance, les autorités de Mayotte n'hésitent à mettre les moyens. Au mois de novembre 2006, les futurs conjoints sont obligés d'être entendus par l'officier de l'état-civil. Cette fameuse audition a été mise en place dans l'optique de vérifier si réellement le mariage qui va être célébré est voulu ou si s'il s'agit pour un individu de profiter de l'autre.
Le "Groupe mariage" est l'autre stratégie mise sur pied. Les officiers de l'état-civil de Mayotte ne partagent pas le même point de vue face à sa création. "Je n'ouvre pas les portes aux agents de la Paf, par contre ils passent de temps en temps. Ils consultent certains dossiers et puis c'est tout. Nous sommes là pour accompagner, célébrer un évènement et non pas pour livrer des gens à la Paf. Toutefois, si je constate quelque chose de louche, je le fais savoir au substitut du procureur de la République. Par exemple, il y a quelques mois, j'ai reçu dix actes légalisés à l'ambassade des Comores à Paris. Cela m'a paru suspect et je l'ai signalé", s'explique Mariam Khalam. Le substitut du procureur Thomas Michaud nous a appris qu'une enquête a été ouverte afin de vérifier l'authenticité de ces actes en Grande Comore.
Mohamed Ali Saïd, officier de l'état-civil à la mairie de Dembéni trouve légitime la mise en place de ce "Groupe mariage" et explique qu'il est là pour exécuter les ordres : "Nous sommes obligés de travailler avec ces agents de la Paf. Dès qu'un dossier de mariage concerne une personne en situation irrégulière, j'envoie une lettre au parquet et une copie au "Groupe mariage". Une chose est sûre, ce n'est pas à nous de faire leur boulot car nous connaissons ces gens-là. Nous vivons avec eux. On devrait nous dire une bonne fois pour toute de refuser les dossiers dans lesquels l'un des époux est en situation irrégulière".
Pour argumenter ces propos, il s'appuie sur une instruction émanant du parquet au mois de novembre 2006 destinée à tous les officiers d'état-civil stipulant que "en cas de suspicion de fraude – fraude au mariage ou à la reconnaissance, étranger en situation irrégulière, détention et usage de faux papiers – il faut prendre attache systématiquement avec le parquet, puis avec le "groupe mariage" à la police de l'air et des frontières (…). Il est précisé que les membres de ce groupe ont l'autorisation générale et permanente d'accéder aux registres d'état-civil et aux dossiers de mariage".
Une Comorienne et une Malgache reconduites à la frontière
Le 7 mars 1994, Darouèche, âgé de 29 ans, quitte Mayotte et se rend à Moroni pour passer des vacances. Là-bas, il rencontre Echat*, une jeune femme comorienne. Epris l'un de l'autre, ils se marient en Grande Comore et rentrent tous les deux à Mayotte le 30 novembre 1994. Treize ans après, Darouèche et Echat veulent rendre officielle leur union à la mairie de leur village. Il n'y a rien de plus facile que de déposer une demande en mariage auprès de l'état-civil à la mairie. Il suffit de réunir les pièces demandées, avoir un dossier sans faille et le tour est joué.
Mais Darouèche préfère prendre des précautions car il se trouve dans une situation particulière. En effet, sa compagne est de nationalité comorienne et ne dispose donc pas de papiers français. C'est ainsi qu'il a pris l'initiative d'aller se renseigner auprès de l'officier d'état-civil de la mairie de son village quant à la faisabilité de célébrer son mariage. A en croire les conseils de l'officier d'état-civil, le couple pouvait se marier sans aucune contrainte. Seulement voilà, la situation a pris une toute autre tournure bien différente de celle perçue au préalable par le couple.
"Quand je suis allé voir l'officier de l'état-civil avant septembre 2006, c'était une manière pour moi de savoir si je pouvais me marier ou pas, compte tenu de la situation de ma femme. Je lui ai fait un panorama sur notre vie de couple et il m'a affirmé que la célébration du mariage pourra se faire, mais il devrait faire légaliser son acte de naissance. Chose faite puisque je me suis rendu personnellement à l'ambassade de France aux Comores pour le légaliser. La preuve, voici l'extrait. Nous avons réuni toutes les pièces demandées et dans le dossier il ne manquait plus que la fixation de la date du mariage. Mais, ma foi, le mariage n'aura jamais lieu puisque ma femme a été rapatriée injustement", nous déclare Darouèche avec un air abattu.
Le jeudi après-midi, une Malgache devant se marier avec un habitant de Dembéni s'est fait également reconduire à la frontière. Au niveau de l'expulsion de ces deux femmes, le mari de Echat nous a appris que les agents de la Paf ont avancé comme motif le séjour irrégulier sur le sol mahorais. Cette attitude est indigne. Aux yeux de la loi, ce fait pourrait être qualifié d'expulsion abusive, d'autant que l'on s'est appuyé sur la volonté affichée de deux êtres à vivre leur bonheur ensemble.
Le mariage est un acte symbolique, tant au niveau religieux, sociétal que juridique. Tout le monde a droit au bonheur. Certes les mariages de complaisance existent encore, mais ce n'est pas parce qu'on se marie avec une personne en situation irrégulière qu'il y a forcément un intérêt derrière. L'amour n'a pas de frontière.
*prénom d'emprunt
Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.