La France a accumulé du patrimoine, des richesses, durant des siècles. Quelques guerres l’ont pour le moins calmé, ont asséché sa population et ses comptes, mais après la dernière grande guerre en 1945, et avec le Plan Marshall notamment, un cycle s’était mis en place : les 30 Glorieuses. 30 ans de croissance des revenus, 30 ans de quasi plein emploi, de jeunesse dynamique, d’industrie florissante, de grands groupes internationaux conquérants…

En période faste, il est facile, agréable, bienvenu, de faire preuve de largesses, de libéralités. Il est sain, dans le cadre d’un pacte national compris par tous, de partager les fruits de cette croissance, de venir en aide aux plus démunis, aux blessés, aux malades, aux plus âgés. C’était tout à l’honneur du pays des Droits de l’homme. La sécurité sociale a ainsi été enviée par nombre de nos voisins. L’école et l’université gratuites, la santé prise en charge, les retraites payées par tous… Ces « avancées sociales » ont pu être financées, et tant mieux.

Ces dernières décennies, nous avons alors assisté à une contraction progressive de la croissance, après les chocs pétroliers, avec la concurrence de nombreux pays n’étant pas soumis aux mêmes règles sociales, environnementales, humaines, avec le travail des enfants, que nous. Nous avons délocalisé des pans entiers de nos activités, pour pouvoir acheter moins cher… et perdu des emplois, dans l’industrie, dans les services maintenant, en commençant par les activités les plus polluantes au départ. Ceux qui achetaient des produits de grande consommation moins cher pleuraient en même temps de perdre leurs emplois. Les citoyens devant financer ces mécanismes de sécurité sociale sont devenus de moins en moins nombreux. La forte demande de soins, le vieillissement ont mis en péril les équilibres budgétaires.

Il a fallu s’endetter et, pour payer tout cela, pour maintenir ce niveau de vie, il a fallu augmenter les impôts, les taxes. Le travail devenant de plus en plus cher, la pression fiscale étant de plus en plus forte, les départs se sont accrus, les délocalisations ont explosé. Et le déficit et la dette se sont accrus. Nous sommes dans cette spirale négative et à la moindre tentative d’évolution, de réforme, chacun s’arc-boute sur ses « acquis », défend son pré carré. Nous n’avons pourtant plus les moyens d’assurer le financement du pacte national qui liait jusque là les Français. A Mayotte, cette période de faste s’est traduite par des milliers d’embauches dans les administrations. Faute d’action, de formations, ces embauches vont plomber les comptes pour les prochaines décennies.

Il est temps de dire la vérité, honnêtement, sincèrement, clairement. Il convient de reconnaître le diagnostic de la situation, déjà largement connu, il faut du courage politique pour cela et engager des réformes fortes, nécessaires, vitales, sérieuses, rapidement. Il faut arrêter avec les « dérapages budgétaires » incessants. Une famille, une entreprise ne pourraient pas se comporter ainsi en s’endettant bien au-delà du raisonnable, en arrêtant d’investir.

Il ne faut pas nous « distraire » avec des faits divers bassinés à longueur de journaux télévisés, des interventions armées (nécessaires ou pas) engageant « l’honneur de la France » et sa place dans le monde. Il faut arrêter l’actualité « people », les petites phrases politiciennes ridicules, les polémiques stériles et inutiles qui durent quelques jours avant de passer à la suivante.

Il faut construire un nouveau pacte national, avec des projets communs, des objectifs, des efforts à consentir en échange d’une vision claire et porteuse d’espoirs pour demain, un pacte auquel chacun sera content, fier d’adhérer. C’est par des projets en commun que la France recréera du lien social.

Pour vivre ensemble, au niveau national, sur un territoire comme Mayotte, dans une entreprise, voire dans un couple, il convient d’avoir des projets en commun, des grands projets et d’autres à courts termes. C’est indispensable. Il faut des raisons de vivre ensemble, de se retrouver, de s’épauler, de faire les efforts nécessaires, pour que tous avancent. Il faut aussi régulièrement du plaisir, de la joie, de la reconnaissance, du respect. Il faut que les efforts de chacun soient compris et librement consentis.

Il faut que chacun à son niveau puisse comprendre la situation, cerner les enjeux, les possibles, les limites. Et ensuite agir, se mettre au travail. C’est possible quand on connaît l’objectif à atteindre. Il faut ces espoirs clairement distinguables, sinon chacun défendra son steak et la Marseillaise sera sifflée. Sinon il y aura des manifestants dans la rue à chaque projet de réforme, des grévistes à chaque évolution, et la situation ne s’arrangera pas, les liens sociaux se délitant inexorablement.

Le Premier ministre à l’Assemblée a insisté sur “le courage de gouverner, le courage de réformer”. François Hollande dans son intervention ce jeudi soir a rappelé son « pacte de responsabilité, de solidarité : c’est un cadre pour que dans les trois ans qui viennent, chacun sache ce qu’il a à faire, ce sur quoi il peut compter, de manière à ce que les engagements soient pris et tenus ». Ce sont des pistes, des espoirs. Il convient aussi à Mayotte, après la quête de la départementalisation, de dessiner de grandes lignes pour demain, en réussissant à rassembler autour d’un projet auquel chacun ait envie d’adhérer, une vision de demain.

Laurent Canavate