En effet, le mode de vie de cette jeunesse est très différent de celui de ses ainés, de ses parents. Aujourd’hui, les enfants ne vont plus passer leurs journées aux champs. Depuis les premières écoles maternelles en 1993, la scolarité occupe une part importante de leur temps… la télé aussi. L’alimentation a changé, tout comme l’occupation du temps libre, les relations aux parents, aux anciens, la place des traditions, de la culture, de la religion. Il y a du bon et du moins bon, assurément.
La musique n’est plus la même, Trace TV et NRJ sont arrivés, des dizaines de chaînes à la télévision aussi, avec des reportages, des documentaires, une fenêtre sur le monde passionnante, mais malheureusement aussi le sexe, la violence, un monde fait d’apparence. La société de consommation a suivi, immédiatement, donnant envie de produits nouveaux, bousculant le partage, l’entraide qui fondaient en partie les relations.
Les frontières du quartier, du village se sont délitées avec les réseaux sociaux, avec les voyages, les transports scolaires. L’ouverture sur le monde a ouvert les yeux, les esprits, a enrichi les réflexions, mais en même temps, pour certains exclus ou inquiets, un repli sur soi, sur des traditions s’opère, fractionnant plus encore la société. L’homogénéité a fait place à la diversité.
Pour une cohabitation sereine de chacun, il faut de la tolérance, du respect de part et d’autre, de la solidarité. Cela ne semble pas toujours évident et la frustration, l’envie sont parfois bien présentes. Il faut rappeler l’importance de la culture, des traditions, de l’histoire, du passé, mais aussi ne pas s’enfermer derrière la barrière de corail, sur une petite île du canal de Mozambique. L’ouverture au monde enrichira Mayotte des expériences des autres. Mayotte, forte de ses cultures, de ses traditions, enrichira le monde.
C’est à ces défis que la jeunesse doit faire face. Elle a des repères nouveaux, des valeurs nouvelles, des envies différentes des anciens. Elle ne peut et ne doit, à mon avis, surtout pas faire table rase du passé, mais elle ne peut pas être enfermée dans d’anciennes valeurs. Le monde bouge, Mayotte aussi. L’île ne peut pas se refermer sur-elle-même comme une huître. Elle doit trouver sa place dans la région, dans le monde et se faire respecter, y apporter sa contribution. C’est à ce prix là que la jeunesse s’épanouira. Mayotte peut (pourrait, pourra ?…) servir de modèle à la région notamment, sur la protection de l’environnement, la gestion des déchets, l’utilisation d’énergies renouvelables, les formations de qualité, le développement économique d’une société insulaire…
Il lui faut aussi et surtout des perspectives, des espoirs, en termes d’études, d’emplois, de qualité des soins, en termes d’attractivité de l’île, de loisirs, de plaisirs.
La jeunesse est une force, une énergie qu’il faut canaliser, orienter au profit de la société, dans la continuité de ses anciens. Il ne faut pas de rupture brutale, de cassure irrémédiable entre générations car chacune a besoin de l’autre. Il faut savoir écouter, mais aussi laisser la place, confier des responsabilités progressivement pour que Mayotte évolue.
La jeunesse saura répondre à cette complexification du monde, à ces nouvelles normes qu’amènent le département et l’Europe, au développement du numérique, aux nouvelles technologies. Elle pourra transmettre l’information aux plus âgés, leur expliquer les nouveaux enjeux.
Aujourd’hui, faute d’accompagnement efficace, d’encadrement, d’éducation, faute d’espoirs, certains basculent dans l’alcool, dans la drogue, dans la violence et la délinquance. C’est dangereux pour tout le monde. L’arrivée de « la chimique », comme le crack dans les Antilles au début des années 1990, provoque des dégâts considérables, des accès de violence, de démence qu’il faut juguler très vite.
Les adultes doivent prendre conscience de cette masse énorme, de cette explosion démographique qui est aujourd’hui dans les écoles, mais aussi déjà sur les bancs des collèges. Bien accompagnée, respectée, prise en charge, cette jeunesse peut devenir un atout de Mayotte, sa force, mais aussi un danger si des espoirs ne se dessinent pas.
Il faut en tout cas écouter cette jeunesse, lui donner la parole, c’est ce que nous avons décidé de faire dans ce numéro spécial de Mayotte Hebdo, avec une suite déjà programmée dans le prochain numéro. Nous espérons que cela vous intéressera, comme cela nous a intéressé de recueillir leurs avis, parfois durs.
Laurent Canavate
Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.