Les évolutions institutionnelles depuis 1976, et plus récemment la départementalisation et la rupéisation ont fortement modifié ce paysage. L’école de la République avec un changement du rythme de vie et de la place de l’enfant, la santé avec la forte hausse de l’espérance de vie et la baisse de la mortalité infantile et des femmes en couche ont bousculé les équilibres. Le pouvoir s’est déplacé des notables et des religieux vers le pouvoir politique républicain, certains cumulant les deux. L’explosion démographique générée et le développement des administrations, avec les instituteurs au premier plan, ont entrainé une monétarisation des échanges.
Cette forte mutation de la société mahoraise et sa forte augmentation ont été accompagnées de changements structurels profonds avec la mise en place du cadastre et de la propriété privée, devenue indispensable, et la « normalisation » de la transmission des noms patronymiques avec la terrible Crec (Commission de révision de l’état civil). A cela il convient de rajouter quelques éléments symboliques mais très forts aussi, à l’image de la fin de la polygamie.
Cette société, longtemps relativement figée dans ses structures, aujourd’hui idéalisée par certains, a subi tous ces « chocs » violents. Et cette « époque » est finalement encore très proche.
La société mahoraise, longtemps oubliée sur le bord des grandes routes du développement, s’est finalement, récemment, ouverte au monde. Avec le développement de l’aéroport et les revenus en forte hausse, les Mahorais ont bougé, de plus en plus nombreux, dans la région, et bien au-delà.
L’île a alors accueilli une population originaire de Métropole, d’abord essentiellement fonctionnaire de passage, puis de plus en plus sédentaire, et aussi une forte population anjouanaise surtout, clandestine depuis 1995, représentant aujourd’hui un tiers de la population.
Ces multiples chocs, dans le fonctionnement de la société et dans la constitution de sa population, ont du être assimilés, acceptés, intégrés. Cela a provoqué et provoquera encore des difficultés, des réticences. Cela a demandé et demandera encore des efforts. Il faut là reconnaître tous les efforts déjà consentis, le chemin considérable parcouru en quelques années à peine. Pour les évolutions institutionnelles, elles ont certes été choisies, voulues par la population et ses élus. Pour les mouvements de population, ils sont le fait de l’histoire et de la géographie, de l’aéroport et des kwassas…
Le visage de la société mahoraise aujourd’hui n’est bien évidemment plus le même qu’il y a 20 ans. Cela est valable aussi pour de nombreux autres territoires, mais à Mayotte, les évolutions ont été plus fortes et plus rapides que dans la plupart des territoires du monde ces 20 dernières années.
Mayotte reste, ou redevient, une terre de métissage. C’est ce qui a fait sa force, son originalité. C’est ce qui a forgé son destin particulier.
La société mahoraise a évolué. Il n’est plus possible de revenir en arrière, en revanche il est important à mon avis de remarquer ces changements et de les intégrer pour préparer la suite. En effet, à l’image du dossier de cette semaine, les mariages mixtes se multiplient, entre les Indiens, les Malgaches, les Mahorais, les Anjouanais, les M’zungus, les Syriens et les Népalais… Des ponts sont tendus entre les communautés, qui les rapprochent.
Des modes de vie se rencontrent, les alimentations évoluent, les recettes s’échangent, les traditions de chacun se découvrent, s’apprécient, ou pas, mais doivent absolument se respecter.
Comme pour les Bretons ou les Basques, des traditions perdureront, évidemment, obligatoirement : des danses, des chants, des tenues, des langues… Le territoire apportera à la France ses richesses, ses différences et enrichira la culture française de tous ses apports. A l’image du cassoulet, de la choucroute ou du couscous, Mayotte partagera peut-être le mataba ou le kangué. Le mtsolola ou le romazava seront peut-être un jour sur la carte de restaurants à Paris, Marseille ou Limoges…
Mayotte évolue, la société évolue, la culture évolue, comme cela a toujours été le cas dans le monde entier, de tout temps.
Il convient à mon avis, pour assurer un avenir plein d’espoir à ce territoire, que Mayotte reconnaisse et accepte son nouveau visage, que chacun de ses habitants se sente (aussi) Mahorais. C’est à cette condition que chacun respectera cette île, l’aimera et participera à son développement, par son travail, ses compétences, ses investissements.
La situation de milliers d’enfants, nés de parents en situation irrégulière ces dernières années, me préoccupe à ce titre. Ils ont vécu dans l’exclusion, dans des conditions souvent indignes, rejetés, ayant vu leurs parents vivre dans la peur sur ce territoire. Ils seront pourtant Français, ne connaissent pas d’autre terre. Ils ont pu bénéficier d’un élément essentiel : l’école de la République et pourront, pourraient apporter toutes leurs compétences à ce territoire sur lequel ils vivent depuis leur naissance et qui les a vus grandir. Ils pourront être reconnus, acceptés, intégrés. Ou alors ils pourront garder un très fort ressentiment, une haine pour ce territoire et ses habitants. Il y a là à mon avis un défi important à relever pour que l’île ne sombre pas dans des conflits dangereux, et au contraire pour que chacun s’y sente bien… Cela représente aujourd’hui un tiers de la population !…
Et pour que chacun puisse trouver sa place, il faut pouvoir nourrir sa famille dignement, donc du travail. Il est grand temps de s’occuper du développement économique de cette île, c’est, je pense, le défi majeur à relever pour la société mahoraise.
Laurent Canavate
Mayotte Hebdo n°705
Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.