Cette tendance, qui découle du politiquement correct, affadit tous les points de vue. Cette quête de la recherche permanente du consensus (impossible !) génère un immobilisme impressionnant, dramatique en cette période de crise. Tout est dans la mesure, voire la demi-mesure…
Les axes forts, les volontés affirmées, les ambitions visionnaires, les projets à long terme ne sont pas possibles au pays du consensus mou. Il faut baisser la tête, ne pas exacerber les différences, intégrer, lisser, s’uniformiser, chercher de bonnes excuses à tous les actes et tous les propos, même les pires. Il faut faire amende honorable, reconnaître ses erreurs, mais ne pas se remettre en question, ne pas remettre l’autre en question. Le respect à tout va, l’égalité comme dogme ont généré leurs démons qui se servent de la démocratie… contre elle-même.
Au jeu du tout se vaut, le pire arrive facilement, sans être freiné dans sa progression. Internet y a participé et a amené sa machine à lisser toutes les infos, tous les actes, tous les évènements. Plus rien ne se dégage du lot. Il n’y a plus de relief, plus le temps de la mise en perspective, de l’approfondissement. C’est le règne du superficiel. Le chômage de millions de concitoyens occupe (presque) autant de temps que les amours cachés de Benzéma et Rihanna. Les milliers de morts chaque année sur la route ou du cancer sont bien moins exposés que le dernier épisode d’une série à succès. Les échelles de valeurs, de grandeurs se perdent. Le principe même des valeurs a été jugé réactionnaire et condamné au bûcher des âmes bien-pensantes.
Le consensus mou affadit. La fin de l’autorité dans les écoles, sur les enfants, a généré des dégâts et est en partie responsable de la violence des jeunes, avec la banalisation de la violence et des armes à la télévision. L’absence de courage face à la moindre manifestation fabrique de l’immobilisme dans un monde qui bouge et avance sans nous. La France va mal et tout va bien… La recherche permanente de la réélection, dans un système où la politique s’est professionnalisée – et faute d’une nouvelle république mettant notamment fin au cumul des mandats – conduit à flatter la croupe des vaches plutôt qu’à s’attaquer aux véritables problèmes d’emplois, de sécurité, d’avenir pour la jeunesse.
Le consensus mou tue la France… et Mayotte. Pour ne pas faire de la peine à l’un, pour ne pas s’attirer les foudres d’un autre, pour être apprécié par tous, on sacrifie le futur, depuis des années. On s’endette pour financer notre manque de courage.
Pour ne pas se fâcher avec les syndicats, on accepte tout et même les pires décisions. Pour ne pas faire de vague au présent, on détruit tout espoir pour le futur, pour nos enfants. La complexité du monde actuel, les interconnexions, les conséquences en cascades, les liens familiaux, politiques, les réseaux qui s’entremêlent ont provoqué un immobilisme, ont généré un consensus mou, une avalanche de règles et de contre-règles, de droits et de passe-droits.
Le courage a disparu du vocabulaire, la force de conviction, la vision d’avenir, l’espoir se sont retranchés depuis la fin de la dernière grande guerre, juste après l’héroïsme. Pour éviter de replonger dans la barbarie, dans la guerre, les dirigeants ont parfois avalé des couleuvres, puis y ont pris goût, estimant que c’était le prix à payer. Toute forme d’autorité, tout antagonisme, toute violence a disparu des discours des dirigeants. Mai 1968 a ainsi marqué la France. Ce mois a apporté beaucoup de choses positives, mais a aussi généré des excès dont les conséquences se font encore sentir.
La force, la virilité, l’ambition ont du être tus, cachés, enfouis. Ils risquaient de nous (re)conduire à l’affrontement, à l’émergence de démons. On est ainsi passé du temps de la guerre au temps de la négociation. Il a fallu organiser de grandes tables rondes, des séminaires, des conférences, essayer de trouver un accord. La dictature de la majorité a alors laissé la place à la dictature des minorités. Mais la confrontation n’a pas disparu de tous les esprits. Et à la moindre manifestation, soucieux de préserver l’ordre public, l’autorité a reculé. Il fallait éviter à tout prix d’être taxé de fasciste.
Les ambitions n’ont plus leur place dans ce fonctionnement étriqué. Et quand les Trente glorieuses ont pris fin, quand il a fallu se rabattre sur les merles, personne n’a accepté et personne n’a su l’imposer. Le courage avait disparu du langage des responsables politiques.
Quand il fallait alléger les fonctions publiques, augmenter la productivité, l’efficacité, quand il fallait mieux former, réorienter, investir pour l’avenir, il n’y avait plus personne, plus de moyens. Il faut parfois accepter des décisions personnelles difficiles, pour sauver l’essentiel. Il faut pour cela de l’espoir.
Il est temps de solder cette période issue de la guerre et de ses horreurs. Retenir des leçons est indispensable pour éviter que se reproduisent de tels drames et pour avancer. Mais il est temps de (re)donner sa confiance à des hommes et des femmes, de (re)valoriser le courage, l’ambition collective, le travail pour les autres. Il est temps que la politique (re)trouve toute sa grandeur dans la conduite d’un peuple, d’un groupe d’individus. C’est aussi valable dans tout autre groupe humain, dans toute entreprise, dans toute association, dans toute équipe.
Contrôlé, avec des contre-pouvoirs, un homme politique doit pouvoir nous guider sur le chemin qu’il nous a proposé. Nous devons l’accompagner, l’appuyer, avec courage et notre travail, nos idées, nos points de vue. Pour une simple et bonne raison : car nous sommes dans la même barque.
Laurent Canavate
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