Édito : L’équation mahoraise est difficile à résoudre

 

Il n’est même pas question là de résorber les rotations. Les écoles sont « sur-utilisées », les coûts d’entretien augmentent, mais ne sont de toute façon pas suffisamment réalisés et près de 80% des écoles n’auraient toujours pas l’avis favorable de la commission hygiène et sécurité ! Ces rotations ont surtout un impact dramatique sur les enfants, sur les rythmes scolaires, sur l’impossibilité de mettre en place des activités extra-scolaires dans les établissements… Le seul point positif serait une utilisation optimale de ces investissements. Il reste encore des créneaux la nuit…

Entre les promesses de scolariser les enfants dès trois ans, de construire des écoles pour mettre fin à ces rotations et la réalité, il y a juste des enfants sacrifiés. Depuis des années. Et ça continue, avec des résultats dramatiques aux évaluations nationales de français et de mathématiques, même si les salles de classes ne font pas tout… Ca continue avec des enfants qui doivent passer en classe supérieure quel que soit leur résultat, car il n’y a pas de place pour les garder ou les faire redoubler. Il faut débiter. Ca continue avec des notations souvent « aménagées » pour le baccalauréat, pour ne pas faire apparaître trop violemment cette injustice en fin de cycle. Et les générations sacrifiées se succèdent, avec à peine 30% des actifs qui travaillent à Mayotte.

Une conférence sur les inégalités dans les Outremer a eu lieu mercredi dernier à Paris, organisée par l’Agence Française de Développement. Ce fut l’occasion de présenter cette situation dramatique à Mayotte en présence du sénateur de Mayotte Thani Mohamed Soilihi, du sénateur de la Martinique et président de la délégation sénatoriale à l’Outremer Serge Larcher, de la déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’Outremer Sophie Elizéon et du délégué général des Outremer Thomas Degos.

Le sénateur Thani Mohamed Soilihi a demandé la production de données statistiques précises sur la situation de Mayotte, qui améliorerait la mise en place de politiques publiques efficaces pour lutter contre les inégalités. Pour sa part, et « pour briser la fracture des inégalités à Mayotte », l’ancien préfet de l’île Thomas Degos a annoncé que « l’Etat français s’engageait à faire construire un collège et un lycée par an à Mayotte », considérant que « les diplômes sont les premiers remparts aux inégalités ». Nous avons déjà eu ce type de promesses à Mayotte, à plusieurs reprises, avec à chaque fois beaucoup d’espoir. Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ?

Nous avons déjà une université, l’Institut de formation aux soins infirmiers, nous avions même le Cnam. Mais pour les écoles, il faut des moyens. L’Etat pourra-t-il les mettre ? Les mettra-t-il ?

Le Président de la République lors de son déplacement s’engagera vraisemblablement en faveur de l’éducation, c’est une base tellement évidente, le préalable à tellement de choses, qu’il serait difficile qu’il en soit autrement. Mais ces promesses, ces engagements seront-ils suivis d’effets ?

Et les chantiers prioritaires, préalables, stratégiques sont encore nombreux à Mayotte : piste longue, assainissement, résorption de l’habitat insalubre, pont Petite-Grande Terre, rocade de contournement de Mamoudzou par les hauts, transports en commun, attractivité de l’île, comblement du désert médical, valorisation du patrimoine historique et culturel…

Et un point essentiel est toujours négligé, dans une île où plus de 50% du PIB est créé par le secteur public (17% en Métropole qui bat déjà des records !) : le développement économique. C’est lui seul qui permettra à terme de créer des emplois pour éviter un embrasement progressif de l’île auquel on assiste impuissant aujourd’hui, et qui permettra de financer en partie tout cela en donnant des moyens aux acteurs publics.

Les collectivités locales ne créeront plus d’emplois, elles sont déjà étouffées et seront progressivement submergées par l’intégration et l’indexation de leurs agents. Treize collectivités territoriales de Mayotte font l’objet d’un plan de redressement, a rappelé le procureur de la Chambre régionale des comptes lors de la présentation du rapport d’activités 2013 cette semaine à la Réunion. Il y a 10 communes sur les 17, le SIDS, le Sieam et le département.

« L’évolution de la situation budgétaire des collectivités territoriales de Mayotte reste aussi préoccupante que lors des années précédentes », a sobrement déclaré le procureur. Et le président d’ajouter : « Pour plus de la moitié de la moitié (des saisines), le rétablissement prévu parait difficilement envisageable ». C’est inquiétant. Seul le conseil général a obtenu un satisfecit, il faut le signaler, le président Daniel Zaïdani avait d’ailleurs fait le déplacement.

Mais globalement, la situation des collectivités locales est très tendue et l’Etat manque cruellement de moyens. Il cherche à faire des économies, notamment sur le fonctionnement des collectivités locales dont les budgets ont explosé ces dernières années, par des dérapages sûrement, par des missions nouvelles à assurer aussi.

L’équation mahoraise est difficile à résoudre. Il faut des moyens pour l’éducation, pour construire les infrastructures de base. Cela permettra d’amorcer le développement économique, de créer des emplois et ensuite de générer un auto-financement par des prélèvements douaniers, sociaux et fiscaux. Mais la pompe d’amorçage semble bien en panne. Le Président François Hollande viendra-t-il avec sa trousse à outils ? Le changement est-il pour bientôt ? Beaucoup l’espèrent encore.

 

Laurent Canavate

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