Dominique Dufour, secrétaire général d’Air Austral : “Nos prix n’augmenteront pas”

Frappée de plein fouet par le Covid-19, à l’instar de tous les acteurs économiques, Air Austral est aussi un des instruments de la gestion de crise, notamment grâce au maintien d’un pont aérien vers Mayotte. Un rôle qui n’enlève pas sa mission première : transporter des passagers. À l’heure où le déconfinement est annoncé et où une reprise des liaisons aériennes pourrait être décidée pour le début du mois de juin, nous avons fait le point avec le secrétaire général de la compagnie, Dominique Dufour. Mesures à mettre en place, situation financière de la compagnie, tarifs post-crise, etc. Voici ses réponses. 

Flash Infos : Sur demande des autorités, Air Austral a maintenu un pont aérien entre Mayotte et La Réunion. Comment la compagnie s’est-elle réorganisée pour faire face à la crise ? 

Dominique Dufour : Nous avons mis en place une organisation spécifique pour pouvoir gérer la crise. Une crise dans laquelle nous sommes d’ailleurs rentrés beaucoup plus tôt que tout le monde puisque dès l’apparition des premiers cas en Chine, nous avons dû interrompre nos liaisons vers ce pays. Dès que le gouvernement a pris la décision de réduire le trafic vers les Outre-mer, nous avons tout de suite compris qu’il allait falloir que l’on s’organise pour maintenir les liens en matière de fret, car il y a beaucoup de besoins, particulièrement à Mayotte. 

Après l’utilisation de l’avion présidentiel et la mobilisation de l’armée, l’État a décidé de mettre en place un système plus pérenne en nous demandant d’opérer deux vols affrétés par semaine. C’est ce que nous faisons, avec une organisation autour du directeur du fret à Paris, puisque tout part de là-bas. Il est en lien avec l’état-major de zone à La Réunion qui, pour le compte des deux préfets de Mayotte et de La Réunion, détermine quelles sont les priorités de fret à emporter. Tout ce qui est médical, par exemple, est prioritaire. Nous avons également mis les vols affrétés entre La Réunion et Mayotte en correspondance avec les arrivées de Paris. Il y a donc un travail étroit de collaboration entre les services de l’État et les équipes d’Air Austral. Et cela se passe plutôt bien pour l’instant puisque nous arrivons à tenir le rythme. 

FI : Vos appareils sont-ils tous mobilisés ? 

D. D. : Non. Air Austral a, en temps normal, une activité qui couvre 10 destinations. Aujourd’hui, il n’y en a plus que deux : Paris et Mayotte, et pour du fret. Une grande partie de notre flotte est donc immobilisée. Et bien qu’il faille évidemment toujours entretenir les avions, ce que nous faisons en permanence, ils ne volent pas beaucoup. Nous essayons de les utiliser lorsque nous sommes affrétés pour faire du rapatriement de passagers – puisque le ministère des Affaires étrangères nous sollicite parfois pour cela et pour répondre aux besoins supplémentaires de fret lorsqu’il y en a – mais de manière générale, seuls un Boeing 787, un 737 et deux 777 sont utilisés. 

FI : Le préfet de Mayotte a proposé une reprise des liaisons aériennes entre Mayotte et la métropole au début du mois de juin, si les conditions le permettent. On imagine que pour une compagnie aérienne, c’est une bonne chose. Toutefois, cela ne sera possible que sous réserve du respect des gestes sanitaires. Qu’envisagez-vous pour répondre aux exigences de la crise sanitaire, et comment préparez-vous la reprise ? 

D. D. : On sait que la reprise se fera de manière progressive et qu’il y aura un avant et un après. L’exigence de respect des mesures sanitaires s’impose, et elle s’impose à tous. Tous les professionnels de l’aérien et du tourisme réfléchissent actuellement à une nouvelle manière de travailler. Nous, on la met déjà en œuvre, d’une certaine manière, puisque l’on continue à opérer, 

même s’il n’y a que très peu de vols. Nous avons ainsi mis en place des consignes de respect des distances de sécurité, nos personnels sont équipés de masques et de gants, et ils ont du gel hydroalcoolique. Par ailleurs, depuis le début de cette semaine, les passagers au départ de La Réunion qui se rendent à Paris sont équipés de masques lorsqu’ils n’en ont pas eux-mêmes. Cela nous permet de nous assurer que personne ne peut contaminer personne. Et nous allons continuer à adapter nos procédures pour être prêts au moment où la reprise sera décidée. Ça, c’est que nous, nous pouvons faire. 

Au-delà, il y a une disposition importante prise par l’État pour préserver les territoires desservis : le confinement obligatoire à l’arrivée, appliqué à Mayotte et à La Réunion. C’est une mesure de bon sens, car elle permet de contenir la propagation du virus, mais on voit bien qu’elle est très lourde à gérer et qu’elle ne peut pas durer dans le temps. Sur ce sujet, la protection du parcours du passager, nous sommes en attente de ce que les autorités vont décider. Il y a des réflexions là-dessus, auxquelles nous participons, pour savoir ce qui peut être mis en place afin de s’assurer que toutes les personnes qui rentrent dans un avion, dans un sens ou dans l’autre, soient présumées saines, et qu’il n’y ait que des passagers négatifs au Covid-19. Nous prônons un couloir sanitaire, et pour le moment, cela paraît aller dans le bon sens. 

FI : Il s’agit là de mesures de contrôle, mais en termes de gestes barrières, ils sont impossibles à respecter dans un avion compte tenu de l’espace disponible… 

D. D. : Un avion, cela coûte beaucoup d’argent, et on estime qu’il commence à être rentable à partir du moment où il a plus de 85 % de remplissage avec les soutes pleines. Ce qui n’est évidemment pas du tout le cas en ce moment. On ne peut donc pas faire voler un avion où seul un siège sur deux aura été vendu, sauf à pratiquer un prix au billet complètement décourageant. Cela ne peut pas être une solution. Bien sûr, lorsqu’on est assis à côté de quelqu’un d’autre en classe loisirs d’un avion, la distance d’un mètre ne peut pas être respectée, mais si tout le monde porte un masque, que chacun a des attitudes vertueuses, qu’on ne se lève pas tous en même temps, et qu’il y a des procédures au départ pour s’assurer que les voyageurs ne sont pas porteurs du virus – le couloir sanitaire dont nous parlions –, alors le problème ne se pose plus. C’est cette logique-là que l’on veut faire prévaloir. 

Par ailleurs, il faut rappeler que nos avions sont désinfectés systématiquement après chaque vol afin de s’assurer qu’il n’y a pas de virus à bord. Ce sont des appareils nouvelle génération : l’air y est filtré et remplacé en permanence toutes les trois minutes, avec un filtrage de plus de 99,9 % des particules, ce qui rend l’air de nos avions quasiment plus sain que dans n’importe quel établissement recevant du public, même un hôpital. 

FI : Vous parliez du prix des billets. Beaucoup de gens s’attendent à une flambée des prix de l’aérien au moment de la reprise des vols, y compris chez Air Austral. Que répondez-vous ? Faut-il en effet s’y attendre ? 

D.D. : Nous n’avons pas augmenté nos tarifs et nous ne les augmenterons pas. Toute activité répond à une équation simple : s’il y a du trafic et du marché, il n’y a aucune raison que les tarifs augmentent. Lorsque la décision de réouverture des vols sera prise, on a prévu de les remettre en place progressivement, et on le fera dans les mêmes conditions qu’avant. 

FI : De nombreux vols ont été suspendus depuis le 17 mars, empêchant nombre de voyages. De quoi laisser entrevoir un rush à la reprise des vols puisqu’on peut imaginer que beaucoup de voyageurs ont reporté leur départ. Comment allez-vous vous organiser pour y faire face ? 

D. D. : Honnêtement, je ne sais pas si ce sentiment est avéré. Est-ce que la demande de voyage va exploser après le déconfinement ? Aujourd’hui, on ne peut pas le dire. Mais elle va augmenter, oui, et on répondra présent pour desservir Mayotte, comme nous l’avons toujours fait. Si les conditions sanitaires sont remplies et que la demande s’exprime, on fera ce qu’il faut pour. D’ailleurs, nous n’attendons que ça : retrouver une activité normale dans des délais raisonnables. 

FI : À la suite de l’annulation des liaisons aériennes au mois de mars, vos centres d’appels ont été saturés. La situation s’est-elle améliorée ? 

D. D. : Oui, on s’est organisé et on a renforcé nos équipes. Au tout début de la crise, on a eu une grosse embolie, puisque nous avons reçu jusqu’à 10.000 appels par jour. Cela s’est lissé et il n’y a désormais plus de problèmes. 

FI : Un mois et demi de suspension des vols commerciaux, cela a un impact énorme sur la bonne santé économique d’une entreprise. Alors comment se porte la compagnie et comment faire pour atténuer les conséquences de cette crise ? 

D. D. : Les pertes sont énormes. Depuis le mois de janvier, on a subi une perte d’activité et donc de chiffre d’affaires. Aujourd’hui, nous n’avons quasiment pas de recettes, mais les dépenses restent là en revanche. Nous avons mobilisé tous les dispositifs que l’État et nos partenaires ont mis en place, et heureusement qu’ils étaient là d’ailleurs : activité partielle – la quasi-totalité du personnel d’Air Austral est en chômage partiel et travaille à 20 %, voire 50 % pour certains –, prêts garantis par l’État, report de charges, l’exonération lorsque cela sera confirmée, etc. Tout ça nous permet de tenir. 

Maintenant, ce dont nous avons besoin, c’est de visibilité sur la reprise, car c’est cette dernière qui nous permettra de retrouver de l’activité, du chiffre d’affaires, et de rembourser les prêts que l’on fait pour survivre. C’est ça la clé. On est tous mobilisé en responsabilité, le personnel et l’actionnaire, pour tenir durant la crise, mais plus tôt on pourra reprendre et mieux cela sera.

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