Camille Miansoni, procureur de Mayotte : “Mon rôle est de protéger la société avant tout”

L’affaire du rapt en Petite-Terre qui suscite l’émoi dans l’ensemble du Département est révélatrice de nombre de maux dont souffre la société mahoraise au sein de laquelle nombre de personnes semblent valider l’idée que l’on puisse se faire justice soi-même à défaut d’une carence supposée de l’État. Le procureur de la République, Camille Miansoni, revient ici sur ces éléments. C’est aussi l’occasion pour lui de rappeler le rôle qu’il occupe et la vision qui l’anime alors que les critiques pleuvent sur sa personne.

Flash Infos : Où en est-on sur l’enquête concernant le rapt de Petite-Terre ?

Camille Miansoni : Je tiens d’abord à rappeler que le dossier est désormais entre les mains du juge d’instruction est que c’est à lui, dorénavant, de diriger les différentes investigations nécessaires à le monter. Toutefois, la victime est toujours recherchée et à ma connaissance, aucun signe de vie n’est apparu depuis le début de l’enquête. Les recherches ont toujours lieu, car c’est un élément primordial dans cette affaire, c’est une clef, car beaucoup de choses dépendront de si on retrouve ce jeune homme ou pas et si on le retrouve en vie ou non. La question reste entière.

FI : Avez-vous toujours l’intention de former appel contre la décision de placer les deux principaux suspects en contrôle judiciaire et non en détention provisoire comme vous le requériez ?

C. M. : L’appel est désormais formé, il sera audiencé dans les prochaines semaines. La particularité de cet appel est que le juge des libertés et de la détention ne décidera plus seul, mais de manière collégiale du sort de ces personnes en attendant leur procès.

FI : La garde à vue de ces personnes, puis l’éventualité de leur placement en détention provisoire, a suscité l’émoi au sein d’une certaine partie de la population. Pourquoi considériez-vous nécessaire que les deux hommes en question soient maintenus en détention dans l’attente de leur procès ?

C. M. : Tout d’abord, rappelons que dans ces circonstances, le principe c’est la liberté et la détention doit rester une exception. Cela découle du principe de présomption d’innocence. Dès lors, la demande de placement en détention provisoire doit répondre à un ou plusieurs critères précis. Il s’agit notamment de considérer que la remise en liberté peut voir une incidence négative sur l’enquête. Dans le cas d’espèce, nous avons un troisième suspect qui court toujours, une victime qui n’a pas encore été retrouvée. Est-on sûr qu’en remettant les deux premiers individus en liberté, il ne peut y voir des démarches qui soient entreprises pour faire en sorte que la vérité ne puisse apparaître ? C’est la question que j’ai posée au juge des libertés et de la détention.

De manière générale, seule une série de critères légaux permet de déroger au principe de liberté. On peut ainsi placer en détention provisoire afin d’empêcher un risque de concertation, de pressions sur les témoins ou les victimes. Un risque de soustraction à l’action de la justice, de trouble public, de disparitions des preuves et bien évidemment de réitération. On ne va pas vous faire un dessin, il y avait bien selon moi, plusieurs de ces critères remplis. Si je dis notamment qu’il peut y avoir des pressions, je le pense très sérieusement.

FI : Si selon vous, pas un mais plusieurs de ces critères étaient remplis, comment expliquer que le juge n’ait pas suivi vos réquisitions ?

C. M. : Tout simplement, car je ne suis pas le seul acteur. Le juge prend sa décision à l’issu d’un débat durant lequel certes le procureur intervient, mais aussi le mis en cause et son avocat. Ce qui me manque pour comprendre la décision du juge, c’est la position de la défense. L’avocat peut très bien avoir plaidé qu’il s’agissait d’un bon père de famille, pas connu de la justice, qui n’aurait aucun intérêt à fuir ou à freiner le cours des investigations… Je n’en sais rien. Une seule chose est sûre, quelque chose a convaincu le juge des libertés et de la détention.

FI : Ne pensez-vous pas, outre les arguments de la défense, que le juge ait pu être influencé par la crainte de troubles à l’ordre public qu’aurait pu engendrer le placement en détention provisoire de ces deux hommes alors même qu’au moment de décider, une manifestation devant le tribunal était déjà présente ?

C. M. : Ce n’est pas un critère. Le critère correspondant au risque de trouble à l’ordre public fonctionne dans l’autre sens, c’est-à-dire que la remise en liberté pourrait causer des troubles à l’ordre public. Ce que vous évoquez n’est pas prévu par la loi et je n’ai pas la capacité de savoir ce qui a motivé le juge, c’est le secret du délibéré. Le juge a pris sa décision en son âme et conscience et je ne me permettrais pas de faire des suppositions sur les éventuels éléments extérieurs qui auraient pu déterminer son choix. C’est la justice des hommes, avec ses qualités et ses défauts, mais nous nous devons de respecter ces choix, même si je les conteste juridiquement en faisant appel.

FI : Justement, concernant le respect de la justice. Vous êtes au centre de toutes les critiques pour faire preuve d’un supposé laxisme utilisé pour justifier une justice pour le moins expéditive. Qu’en pensez-vous ?

C. M. : J’en pense qu’on se trompe complètement. C’est le premier paradoxe qu’illustre cette affaire. Car quiconque aura pris la peine d’assister à une audience aura compris que le rôle du procureur, institutionnellement, est de protéger la société avant tout. Quand je déferre un individu, ce n’est pas pour chercher l’indulgence, mais au contraire pour le voir condamné. S’il y a bien quelqu’un, dans l’appareil judiciaire qui inspire la fermeté et la sévérité, c’est le procureur et donc moi. S’il y a des condamnations, c’est de mon fait, de celui du parquet et de personne d’autre. C’est ce que nous demandons, mais ce n’est pas nous qui prenons les décisions.

Cette lecture qui est faite de l’institution comme source d’un supposé laxisme est donc tout à fait paradoxale.

FI : Y a-t-il selon vous un problème plus large de conception de la justice à Mayotte ?

C. M. : Le sujet est, encore une fois, paradoxal. La question, pour une société qui veut regarder vers l’avenir, c’est comment on régule ses difficultés. Car dans aucune société, on ne peut éradiquer la délinquance ou la criminalité, on ne peut faire que la contenir. Mais dans une société qui fait face à cette difficulté, considérer que la violence devrait être la réponse adaptée alors même que l’on s’en plaint pose sérieusement problème. Je ne dis pas que c’est problématique d’un point de vue individuel : il est tout à fait compréhensible qu’un homme, d’autant plus s’il a été victime par le passé se satisfasse d’un châtiment. C’est malgré tout humain. Mais là où la chose n’est pas supportable,

c’est que la société, à travers ses organes, ne condamne pas ça. Ça, ce n’est pas normal. Cela accrédite l’idée qu’il est normal d’agir ainsi, de se venger en répondant à la violence par la violence.

Cette absence de réprobation de la part de la société est pour moi une ligne rouge. Quand je dis cela, je le répète, je fais une distinction entre l’individu et ses sentiments humains et la société. Mais en tout été de cause, quand la société ne condamne pas cette réponse individuelle, elle laisse libre cours à la banalisation de cette violence et c’est insupportable. Surtout quand, en face, il y a une partie de cette même société, qui revendique de parler en son nom et qui considère que s’opposer à cela est un affront.

Il y a souvent, et ce n’est pas vrai qu’à Mayotte, une incompréhension dans la manière dont la justice, l’institution, fonctionne et quel est son rôle. Mais la loi est là et ce ne sont pas les magistrats qui la font. Peut-être aussi qu’il y a ici un certain décalage culturel qui accentue cette vision biaisée du rôle de la justice.

FI : Pourtant la justice est le socle de l’État de droit qu’est censée incarner la France. France pour laquelle les Mahorais n’ont jamais manqué de montrer leur attachement et leur volonté d’égalité à travers elle…

C. M. : Effectivement, c’est encore un autre paradoxe. C’est une société foncièrement attachée à la France, qui a toujours fait preuve de cet attachement sans ambiguïté. Mais quand on revendique cela, on se doit de respecter ses institutions. Quelque part, je me sens proche de Mayotte, car je suis Français d’adhésion. Je ne suis pas né Français, je le suis devenu et j’ai décidé de me mettre à son service, car je pense qu’elle porte des valeurs qui me correspondent. Mayotte a également choisi d’être française et ne peut donc pas faire l’impasse sur le respect de ses institutions et de ses lois.

FI : Au-delà des institutions, c’est bien vous, régulièrement, qui êtes visé par les critiques, parfois peu amènes. Qu’en pensez-vous ?

C. M. : Il n’y pas que moi, au-delà des institutions, quand je vois comment certains sont capables de s’en prendre au préfet ou à la directrice de l’ARS, je suis forcément choqué. Dans mon cas, j’ai cru comprendre qu’il y avait une autre dimension dans l’équation et qui est liée à mes origines… Ce que j’ai du mal à comprendre vu la proximité entre Mayotte et l’Afrique. Mais je ne suis pas sorti de ma savane pour débarquer à Mayotte ! J’ai fait mes preuves pendant 20 ans, j’ai fait mon tour de France à la manière des compagnons, mon dévouement n’est plus à prouver.

 

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