On entend souvent dire que les travailleurs du secteur privé à Mayotte sont défavorisés si on les compare à ceux du reste du territoire national. En effet, plusieurs avantages sociaux et salariaux ne leur sont pas attribués, et cela engendre des grèves incessantes. Presqu’aucun secteur du privé n’est pas épargné par une grogne dénonçant le caractère discriminatoire du régime mahorais, alors, concrètement, de quelles manières se caractérisent ces inégalités ? Explications.
Pour les syndicats de Mayotte, le combat est toujours le même depuis des dizaines d’années. Ils veulent que les salariés de l’île bénéficient des mêmes droits que ceux de l’hexagone et des autres territoires de l’Outre-mer. Et le chemin est encore long. « Le Medef et la Dieccte voudraient qu’on ait des accords locaux, mais nous nous sommes rendus compte qu’en faisant cela, nous sommes écartés lors des mises à jour nationales. Maintenant, on veut éviter d’avoir des spécificités », explique Antoine Tava, secrétaire général adjoint de la CFDT Mayotte. « Cette différenciation est avantageuse pour les entreprises. Elles ne veulent pas s’aligner sur les modèles nationaux parce qu’elles se font beaucoup de marges avec le système actuel », ajoute, El Anzize Hamidou, secrétaire général d’UD-FO. Code de la sécurité sociale, conventions collectives nationales, code du travail, SMIC, retraite, tous ces aspects qui régulent le monde du travail posent problème chez nous. Certaines garanties sociales sont tout bonnement inexistantes quand presque toutes les autres ont des spécificités. « En 2012, les agents de la Caisse de sécurité sociale ont réussi à avoir les mêmes droits que leurs collègues du territoire national en obtenant l’application de la convention collective nationale, mais ils se sont battus pendant 20 ans pour y arriver », rappelle El Anzize Hamidou. Le groupe Total a également été contraint d’appliquer la convention collective nationale, car il n’a pas de concurrents sur l’île. Récemment, les transporteurs scolaires ont obtenu gain de cause en signant l’application de la convention collective nationale, même si elle n’est effective qu’en partie. Les autres domaines se battent encore, mais selon les différents syndicats, le Medef serait opposé à cette uniformisation. Sa présidente, Carla Baltus s’en défend en expliquant que le patronat comprend ces revendications, mais qu’il ne faut pas précipiter les choses. « On échange souvent avec les partenaires sociaux parce qu’on a aussi cette volonté d’aller vers une convergence. Mais ils souhaitent que ça soit plus rapide, alors que nous prônons la progressivité parce que nous pensons à la santé financière des entreprises. Si on applique immédiatement les conventions collectives nationales, combien d’entreprises vont supporter cette hausse de charge qui peut être de l’ordre de 50% ? On comprend les droits des salariés, mais on leur demande aussi de comprendre les difficultés », a-t-elle indiqué sur les ondes de Mayotte la 1ère. De leur côté, les syndicats ne comprennent pas cette volonté, répétée depuis trop longtemps à leur goût, d’aller progressivement. Et demandent au gouvernement de prendre la main afin d’obliger tous les secteurs à s’aligner sur les modèles nationaux. « Sinon à quoi bon avoir départementalisé Mayotte si ensuite on lui refuse les mêmes droits que les autres ? Nous voulons une République unie et indivisible. Nous ne voulons plus être écartés », clame le secrétaire général d’UD-FO.
Le code de la sécurité sociale
Le code de la sécurité sociale est l’illustration parfaite des différences entre les travailleurs mahorais et ceux du reste de la France, puisqu’il n’est tout simplement pas appliqué à Mayotte. Pourtant, il est en quelque sorte la bible des droits sociaux des salariés. Tous les chemins mènent au code de la sécurité sociale. Sa non-application engendre la perte de certains droits à l’exemple des congés paternité accordés aux hommes. « À Mayotte, lorsque vous êtes père, vous pouvez prendre les 3 jours de déclaration uniquement sécurisés par le code du travail. Les 11 jours restants sont régis par le code de la sécurité sociale. Mais, comme il n’est pas appliqué à Mayotte, si vous prenez ces 11 jours, ils seront considérés comme des absences justifiées qui ne seront pas payées. Par conséquent, beaucoup de parents y renoncent », explique Antoine Tava, le secrétaire général adjoint de la CFDT Mayotte.
Les conventions collectives nationales
L’application des conventions collectives nationales est une revendication qui revient régulièrement lors des conflits entre une entreprise et ses salariés. Pourtant, à en croire Antoine Tava, demander leur mise en vigueur n’est pas une bonne stratégie. « L’application des conventions peut apaiser les tensions, mais ce n’est pas le plus important. Le plus important reste le code de la sécurité sociale qui va gérer tout cela. La plupart des garanties des conventions collectives sont régies par le code de la sécurité sociale. » Or, si ce dernier n’existe pas sur l’île, ces conventions seraient comme des coquilles vides. De plus, aucune entreprise n’est prête à se porter volontaire pour être la seule à appliquer une convention alors que ses concurrents du même secteur ne le font pas. « Par exemple, le groupe Bourbon distribution Mayotte ne va pas le faire alors que Sodifram ou Somaco ne le font pas. Ce n’est que le code de la sécurité sociale qui peut obliger toutes les entreprises à s’aligner », précise Antoine Tava.
Le code du travail
Jusqu’au 1er janvier 2018, le code du travail national n’était pas en vigueur dans le 101ème département de France. Depuis cette date, il existe un code du travail spécifique à Mayotte, mais il n’est pas encore parachevé. « Il reste encore des instances à mettre en place comme la CPRI (commission paritaire régionale interprofessionnelle) qui n’a toujours pas vu le jour alors qu’elle permet d’arbitrer les TPE (Très petites entreprises) », explique Antoine Tava. Avant ce code du travail, le statut d’auto-entrepreneur, notamment, n’existait pas à Mayotte jusqu’au mois de mai 2020, où il a été mis en place.
Le SMIC
Le Smic brut de Mayotte est différent du Smic brut de l’hexagone. Au 1er janvier 2020, sur l’île, il s’élève à 7,66€ brut par heure, contre 10,15€ à l’échelle nationale y compris dans les DOM et certaines collectivités d’Outre-mer. Une différence de presque 360€ mensuel sur la base de la durée légale de travail de 35 heures par semaine. Cet écart passe à 150€ par mois lorsque le SMIC est converti en net car le taux de charges salariales des travailleurs n’est que de 8% chez nous contre 22% partout en France. « Tant qu’on n’aura pas le taux de cotisation égal à celui du national, on aura toujours un SMIC différent », souligne le secrétaire général adjoint de la CFDT Mayotte. Il s’agit en réalité d’un cercle vicieux. Les salariés mahorais ont un Smic plus bas car le taux de cotisation est plus bas. Mais ce taux de cotisation est en dessous du national car le Smic de l’île est en dessous. Cette différence pose un autre problème puisque de nombreuses indemnisations s’appuient sur le Smic brut à l’image du chômage partiel. Les sommes perçues par les travailleurs de l’île sont par conséquent inférieures à celles des autres.
La retraite
La retraite fait également partie des exceptions mahoraises. Le plafonnement du taux de cotisation à la caisse de retraite en serait la cause. Résultat, les pensions sont en moyenne de 500 euros sur l’île, contre 1.472 euros bruts au niveau national. Pourtant, tous les syndicats s’accordent à dire que les salariés du privé sont prêts à débourser plus pour préparer leur avenir. « Dans le privé, les employeurs prétendent que les agents vivront mal cette augmentation de cotisation car cela aura un impact sur leur pouvoir d’achat. Ce qui est faux car lorsque les agents du secteur public ont été alignés sur le système national de retraite, ils ont compris et accepté », rappelle Ousseni Balahachi, secrétaire général de la CFDT Mayotte. Les retraites très basses seraient le fruit d’une mauvaise volonté et d’une mauvaise stratégie de la part du patronat, selon Antoine Tava. « Le Medef ne voit pas sur le long terme et c’est très dangereux parce que beaucoup d’agents qui sont en âge de partir à la retraite ne le font pas parce qu’ils vont recevoir une retraite qui ne leur permettra même pas de payer leurs loyers. » Un employeur peut obliger un salarié à partir à la retraite uniquement à partir de 70 ans. Pendant ce temps, le chômage des jeunes ne cesse d’augmenter puisque les places ne se libèrent pas pour eux.
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