Alcool, Barfly et délaissement de mineurs : un drame familial à Mayotte face au tribunal

Des parents alcooliques, une aide sociale à l’enfance défaillante et une justice lasse se rencontrait ce mercredi au tribunal judiciaire de Mamoudzou. Une triste affaire d’absence de surveillance sur deux enfants, comme les connaît malheureusement bien Mayotte.

C’est comme une pièce de théâtre qui s’est jouée ce mercredi, au tribunal correctionnel de Mamoudzou. Mais du genre dramatique. Dans les personnages, on retrouve : la mère, jeune femme de 24 ans, le bébé à l’épaule ; l’avocat, sa plaidoirie presque cousue dans les fils de sa robe noire ; une aide sociale à l’enfance défaillante à Mayotte, dans son viseur ; le juge, sourcils levés et soupirs derrière ses lunettes en rectangle ; et un père, 43 ans, alcoolique. Les faits qui les ont amenés dans ce huis clos moderne “sont simples et néanmoins surprenants. Et pourtant, j’ai l’habitude”, commence alors le président du tribunal, Laurent Ben Kemoun. Cette nuit du 15 septembre 2019, ou plutôt aux aurores, un couple se retrouve au commissariat, “en complet état d’ébriété”, d’après le procès-verbal de la police. Leur problème ? Ils sont tous deux sortis de la maison pendant la nuit, laissant derrière eux sans surveillance deux enfants de deux et quatre ans, pendant plusieurs heures. À leur retour, les fillettes ont disparu.

Dispute et soirée alcoolisée

Appelée à la barre, la mère, la seule des prévenus présente à l’audience, tient un autre discours. La veille au soir, son compagnon reçoit des amis à lui, et l’alcool coule à flots. À un moment de la soirée, une dispute éclate. “Il s’est énervé et a commencé à m’insulter devant les enfants”, relate la jeune femme. Pour calmer ses nerfs, elle décide de prendre ses clics et ses clacs, et d’aller faire un tour du quartier. Pas plus de quelques minutes, indique-t-elle aujourd’hui devant les magistrats. “Dans votre audition au moment des faits, vous dites que vous êtes partie une heure”, s’étonne toutefois le substitut du procureur. Quoi qu’il en soit, quand elle retourne au banga, ses enfants ne sont plus là, le père non plus. Visiblement, il a filé en moto au Barfly, et une proche, dans une maison voisine, s’étant aperçue de l’absence des parents, s’en va récupérer les enfants en pleurs. Dans sa déclaration, le père assure que sa compagne l’a rejoint car elle voulait danser, et qu’il essayait de l’en dissuader. Elle est alors enceinte de trois mois, et “il veut éviter que vous ne buviez de l’alcool”, rapporte le juge, en lisant la déclaration du patriarche, absent à l’audience.

Des visites interrompues par le confinement

Mais la femme nie avoir été en état d’ivresse. “J’ai fait les tests de dépistage ce jour-là”, objecte-t-elle avec force. Au moment de sa déclaration, elle sort d’une nuit d’horreur passée à chercher ses bambins, et se présente éreintée au commissariat. Une justification qui ne convainc visiblement pas la justice. Un mois plus tard, les victimes sont placées en famille d’accueil, sous le contrôle de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Conséquence de ce drame familial : les parents ne peuvent plus voir leurs enfants, à part pour quelques visites, vite interrompues par le confinement. Et ils se retrouvent aujourd’hui jugés pour délaissement de mineurs au point de compromettre leur santé et leur sécurité, un délit qui peut être puni de sept ans d’emprisonnement et de 100.000 euros d’amende…

Reste que pour juger cette affaire aujourd’hui, c’est un peu parole contre parole. Et un autre protagoniste se retrouve mêlé à l’affaire : l’aide sociale à l’enfance, qui, d’après l’avocat de la défense, a failli à sa mission en empêchant la mère de voir ses enfants. Il faut dire que c’est un bouc émissaire tout trouvé. L’ASE à Mayotte fait régulièrement l’objet de critiques, notamment parce qu’elle souffre de moyens limités rendant difficile l’exécution de sa tâche “hors du commun” au vu des réalités du territoire, notait d’ailleurs un rapport de la Chambre régionale des comptes en juillet 2019.

L’ASE dans le viseur

“Vous défendez l’intérêt de ces enfants, et leur intérêt, c’est quand même de voir leur mère”, lance donc Maître Erick Hesler à l’administrateur ad hoc de l’association Mlezi Maore, venu représenter les victimes. Puis, s’adressant aux juges : “Aujourd’hui, tout ce qu’elle implore, c’est de retrouver ses filles qu’elle n’a pas vues depuis six mois. Quelque part, elle a déjà été jugée par l’ASE, et si vous la condamnez aujourd’hui, vous lui infligez une double peine.” D’autant que l’administrateur ad hoc souligne l’implication de la mère, qui, malgré l’impossibilité de rendre visite à ses enfants, s’est montrée assidue et présente par téléphone pendant toute la durée de cet éloignement forcé. Et le père ? “On ne l’a pas beaucoup vu…”, souffle le représentant de Mlezi Maore. 

Appelée à la barre une dernière fois avant que les juges ne se retirent pour délibérer, la mère repentante éclate en sanglots. “Je suis désolée”, hoquète-t-elle avant d’éponger ses larmes dans le linge pour bébé qu’elle garde à l’épaule. Acte final et dernier coup de théâtre : dix minutes plus tard, les magistrats reviennent dans la salle pour annoncer leur jugement. À peine le juge a-t-il énoncé le nom du père que l’on entend à la porte un tonitruant “C’est moi !”. Un homme, lunettes noires sur le nez et le pas titubant s’avance dans l’allée centrale. “Vous êtes sous l’emprise de l’alcool ?”, tombe des nues le président, Laurent Ben Kemoun. “Oui”, baragouine-t-il devant une salle atterrée. Las, le juge finit par prononcer la relaxe pour les deux prévenus. Non sans dénoncer, la voix profondément choquée, “l’outrage au tribunal” du père. Et “bonne chance et bon courage à la mère”. Et aux enfants aussi ?

 

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