{xtypo_dropcap}P{/xtypo_dropcap}ire encore, plusieurs familles nombreuses sont obligées de vivre dans des taudis à côté de leur maison neuve, pourtant achevée depuis plusieurs mois. La Sim s'est saisie du dossier afin de débloquer la situation. Jeudi dernier, après une rencontre avec les différents partenaires du projet, ses responsables ont réuni les familles pour tenter d'expliquer la situation et calmer une colère légitime qui gronde, face au règne de la bureaucratie.

 

 

Vous avez consacré la journée du 22 avril au logement en accession sociale. Quelle en était la motivation ?

Initialement, nous avions prévu de tenir une réunion seulement avec les quelques 200 familles dont les logements ont été mis en chantier par la Sim. Il s’agissait surtout pour nous de faire un point de la situation avec ces familles, notamment l’impasse dans laquelle nous nous trouvons tous par rapport à la livraison de ceux de ces logements qui sont terminés, parfois depuis plus d’un an maintenant.

Face au désarroi créé par cette situation, la moindre des choses pour nous était de nous présenter devant ces familles par respect pour elles, les informer et recueillir leurs points de vue, même si je savais que certains exprimeraient ces points de vue avec une certaine violence due à l’impatience ou au désespoir. Ensuite, nous avons décidé d’inscrire cette journée dans la continuité des journées "May Dev" d’échanges et d’information avec les collectivités que nous tenons tous les ans à cette période. L’idée était de faire un point sur les situations de blocage que nous connaissons et trouver des solutions par la concertation.

La réalité du terrain est que pendant que le Président de la République est venu réaffirmer avec force les objectifs du Padd de construction de 500 logements sociaux par an, il n’y a pratiquement plus de projets d’aménagement foncier dans les communes susceptibles de recevoir du logement et les attributions de l’aide de l’Etat vont en s’amenuisant.

Par exemple, sur toute l’année 2009, seulement 47 candidatures ont été agréées pour bénéficier de la subvention de l’Etat pour accéder au LATS, et cette année démarre difficilement. C’est pour cela que le matin nous avions convié les maires, leurs adjoints et leurs services techniques chargés du logement, les services de l’Etat, la direction des affaires foncières et la direction de la solidarité et du développement social du conseil général, et la Caf pour analyser les blocages sur chaque point du processus et rechercher des solutions.

C’est après cette riche rencontre que nous avons reçu les familles l’après-midi, dans une salle de cinéma pleine.

 

 

"Si chaque acteur s’implique correctement, alors l’ensemble sera efficace. C’est une question d’organisation et de coordination avant tout"

 

 

De quoi avez-vous parlé et quel bilan faites-vous de cette réunion du matin ?

Aujourd’hui, l’unanimité est faite autour de l’idée selon laquelle la condition clé de la réussite de la politique de l’habitat est l’implication forte des maires et de leurs communes. Le nouveau préfet l’a réaffirmé, mais dans la pratique les communes ne voient pas encore comment cela peut devenir une réalité.

Nous avons alors déroulé le processus qui part de la naissance du projet à la livraison du logement. Nous avons identifié les points de blocage et discuté des solutions à apporter à chacun de ces blocages, qui se situent au niveau de l’état civil, du foncier et de l’accès à l’emprunt bancaire. J’ai personnellement apprécié le déroulement de cette matinée, car nous avons travaillé dans une ambiance sereine et constructive. On voit clairement que si chaque acteur s’implique correctement, alors l’ensemble sera efficace. C’est une question d’organisation et de coordination avant tout.

Dans la pratique, il va falloir aussi sortir des cadres rigides et adopter une attitude de flexibilité et d’ouverture d’esprit dans le mode "thinking out of the box". Si, sous prétexte du sacro-saint droit commun, nous voulons à tout prix et tout de suite faire entrer dans un cadre donné des éléments qui par nature se situent en dehors de ce cadre, nous n’aurons que des échecs. Il faut savoir être flexible et imaginatif et faire les choses de manière progressive et adaptée, comme dirait l’autre.

Par exemple, il faut beaucoup de pédagogie et de patience pour que la vieille femme du bout de l’île, qui a voté pour la départementalisation, comprenne qu’elle doit passer par le notaire et payer pour que sa fille puisse construire sur le terrain qu’elle lui avait réservé depuis sa naissance pour son mariage. D’ailleurs, avant que la vieille femme comprenne, il faudrait déjà que son maire comprenne qu’avant d’attribuer des parcelles dans les lotissements, il faut que la commune devienne propriétaire du terrain initialement mis à disposition par la CDM.

Au niveau du foncier situé sur la zone des 50 pas géométriques, c’est le même imbroglio qui règne. Il y a du chemin à faire à tous les niveaux, mais le niveau de référence reste la commune, d’où l’idée d’inciter chaque commune à se doter d’un référant habitat qui accompagne les familles, notamment sur les questions liées à l’état civil et au foncier.

 

 

Il semble que certains des problèmes soulevés relevaient plutôt du Conseil de l’habitat dans lequel on n’entend pas beaucoup les élus ?

L’absence de débats sérieux au Conseil de l’habitat vient du fait que les élus eux-mêmes n’ont pas de politique affirmée de l’habitat. Certains d’entre eux, en particulier des conseillers généraux, disent que le logement est l’affaire de l’Etat et que l’Etat n’a qu’à se débrouiller. Ensuite, quand certains fonctionnaires de l’Etat disent que les Mahorais n’ont qu’à habiter tous dans du locatif social, ces mêmes élus expriment timidement leur désaccord, puis passent en mode silence et en mode invisible le reste de l’année. Et l’Etat, habitué à Mayotte à un niveau élevé de tutelle, parce qu’il fonctionne dans le mode "c’est celui qui paie qui décide", ignore souvent les quelques points de vue qui osent s’exprimer, surtout quand les propositions risquent de heurter le budget serré qu’ils ont en gestion.

En principe, la responsabilité de l’Etat est de créer les conditions juridiques, financières et éventuellement opérationnelles pour la construction massive de logements répondant aux besoins identifiés de la population. Mais l’habitat, ce n’est pas seulement le logement. C’est aussi la qualité de l’aménagement, la mixité sociale et fonctionnelle, le développement durable et le mode de vie dans sa dimension culturelle, le tout dans une stratégie de développement urbain. C’est pour ça qu’ailleurs, le Plan local de l’habitat (PLH) et le Plan local d’urbanisme (PLU) sont intimement liés.

 

 

"Le Président de la République a réaffirmé l’objectif du Padd de construire 500 logements sociaux par an. Cela implique au moins 120 millions d’euros par an injectés dans l’économie"

 

 

On dit souvent que les élus de Mayotte n’osent pas "l’ouvrir", comme on l’a entendu à cette réunion du matin. Comment expliquez-vous leur réticence à dire ce qu'ils pensent à l'Etat ?

C’est une question d’émancipation mentale, financière et professionnelle. Parmi les élus, il y en a qui sont courageux et sérieux comme le maire de Bandraboua, il y en a qui ont peur pour leurs carrières ou leurs projets, il y en a qui sont simplement calculateurs et opportunistes. C’est une caractéristique de l’être humain et c’est la même chose au niveau des cadres. A Mayotte, ces défauts sont accentués par notre passé colonial avec ses vestiges encore vivaces, notre manque d’ouverture au monde et le manque de préparation des élus avant leur élection.

Parfois je me mets à leur place et j’essaie de comprendre. Mais ce que je ne comprends pas, c’est quand la voie est tracée et que nous traînons derrière malgré tout. Un exemple : le Président de la République a réaffirmé l’objectif du Padd de construire 500 logements sociaux par an. Cela implique au moins 120 millions d’euros par an injectés dans l’économie, entre l’aménagement foncier et la construction des logements et des équipements publics. Il faut voir les 203 millions d’euros du Contrat de projet pour l’aménagement et le logement avec un effet multiplicateur, autour de 4 ou 5, expliqué par l’apport des prêts bancaires, des ressources défiscalisées et des financements de projets privés autres que le logement.

Ca devrait être une raison suffisante pour que les élus, et même les syndicalistes, s’intéressent de près à ces questions, ne serait-ce que parce qu’une bonne part profite aux artisans locaux, sans compter les familles qui bénéficieront d’un logement, en grande partie payé par l’allocation logement, autre ressource qui ne viendra qu’avec la construction de nouveaux logements.

 

 

L’après-midi, vous avez reçu les familles. Quel bilan en tirez-vous ? Certaines personnes étaient en colère…

Quand j’ai vu les gens arriver en masse, j’ai demandé si quelqu’un avait un gilet pare-balles pour moi (rires). Plus sérieusement, j’avais déjà participé à certaines des réunions que nous avions tenues en août 2009 dans les 17 communes, et je connaissais les réactions. Il fallait vraiment que je leur explique ce qui se passe, l’impasse dans laquelle on se trouve et les efforts qui sont faits pour trouver des solutions.

Je crois qu’après cette réunion, ce sera plus facile de travailler avec chacune des familles pour avancer, d’autant plus que nous avons l’assurance que la direction des affaires foncières du conseil général va nous aider, en traitant en priorité leurs dossiers de régularisation foncière. Cela facilitera l’accès aux prêts bancaires, surtout quand l’interface financière sera en place, ce qu’on attend depuis plus de deux ans.

 

 

Peut-on conclure que toutes les conditions sont réunies maintenant pour que l’objectif donné par le Président de la République soit atteint entre 2010 et 2017 ?

Beaucoup de choses sont encore à mettre en place. D’abord, les questions liées à la mobilisation foncière, à l’aménagement et aux titres de propriété doivent trouver rapidement des réponses. Ensuite, il faut que les banques puissent intervenir pour consentir des prêts, autant pour la construction du logement locatif social que pour la construction du logement en accession sociale à la propriété. Enfin, il faut que l’allocation logement permette aux familles mahoraises d’être solvables, en locatif ou en accession.

Et en amont de tout cela, il faut trouver des solutions aux blocages parfois stupides liés à l’état civil ou à la possibilité de prouver qu’on est pauvre. Pour y arriver, tous les niveaux politiques sont concernés : les parlementaires, les élus du conseil général et les maires. Il leur suffirait de se réunir pour décider de lancer les actions. Ils ont été capables de le faire pour la départementalisation, ils sont capables de le faire pour le développement de l’île, dont l’aménagement est la base et le logement une des composantes essentielles, aux côtés de l’éducation et de la santé. Peut-être que ce qui leur manque ce sont les feux des projecteurs, car quand on fait de la politique, il paraît plus important de faire savoir que de savoir faire. Mais ça c’est le job des journalistes qui pourraient s’intéresser à autre chose qu’à la départementalisation et à la faillite du conseil général.

 

 

"Si je n’étais pas Mahorais, cela fait longtemps que je serais allé voir ailleurs, là où l’herbe est plus verte"

 

 

Avec toutes ces difficultés, comment voyez-vous l’avenir ? Les choses iront-elles en s’améliorant ?

D’abord, je suis étonné moi-même d’avoir tenu jusqu’ici à la tête de la Sim, ayant passé des années et des mois difficiles, avec un directeur de l’équipement qui se comportait avec moi comme s’il combattait Al Qaeda, un SGAER qui expliquait qu’il faut construire massivement des logements locatifs sociaux sans aménagement et un préfet pour qui j’étais et je continue d’être responsable de tous les maux, y compris de la crise financière internationale – je plaisante à peine.

André Dorso, l’ex-DGS du conseil général, que j’avais invité à dîner la veille de son départ et qui avait aussi des relations difficiles avec ces personnes, m’avait dit : "Tu vas te retrouver tout seul, et je me demande comment tu vas pouvoir résister". En effet, j’ai traversé ces mois dans une grande solitude, même si je sais bien que beaucoup de partenaires et d’actionnaires de la Sim me font confiance. Si je n’étais pas Mahorais, cela fait longtemps que je serais allé voir ailleurs, là où l’herbe est plus verte, d’autant que j’ai appris à apprécier la vie dans un environnement cosmopolite où la valeur ne dépend pas de l’origine ethnique, de la religion ou de la couleur de la peau, et où la performance et la qualité sont préférées à la docilité servile.

Quant à l’avenir de la Sim, je suis persuadé que cette entreprise est sur la bonne voie pour devenir l’entreprise la plus performante et la plus admirée de l’île, ce qu’elle prouvera dès qu’elle sera installée dans un nouveau siège. Mais il faut aussi que les conditions soient créées pour une relance de l’activité, avec une mobilisation de tous les acteurs concernés.

Nous avons un nouveau préfet qui fait moins dans l’incantation et qui a un certain sens de l’écoute, un nouveau SGAER volontaire et bosseur, et un nouveau directeur de l’équipement dont on me dit beaucoup de bien. Au conseil général, nous avons une direction des affaires foncières très active et qui travaille bien avec un directeur des services fiscaux accessible et respectueux des Mahorais.

Cet environnement qui, somme toute, est ordinaire ailleurs, paraît exceptionnel ici, où les relations de dominants à dominés, avec leur lot d’arrogance et de mépris, cèdent difficilement le pas à des relations simples faites de respect, d’intelligence et de recherche commune de l’efficacité. Il faut qu’on en profite pour avancer de façon sûre, rapide, efficace et sereine. La conjonction d’une Sim performante, d’une multiplication des projets dans les collectivités locales et d’une implication concertée de l’Etat jouera un rôle majeur dans le développement de Mayotte, au delà du logement.

 

Propos recueillis par Halda Toihiridini