27 avril 1848 : Connaître le passé pour appréhender le présent

Tous les 27 avril, Mayotte célèbre la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Une pratique vieille comme le monde. Dans l’histoire de l’humanité, l’esclavage est une blessure, une tragédie dont tous les continents ont été meurtris à travers un abominable commerce entre l’Afrique, les Amériques, l’Europe et l’océan Indien. Un trafic dont il faut se représenter la réalité : des villageois vivant dans la peur, des noirs africains enlevés en masse, privés de leur identité, arrachés à leur culture. Tant d’hommes, de femmes et d’enfants captifs, entassés dans des bateaux où plus d’un sur dix mourait. Ils furent des millions, traqués, enchaînés, battus, déportés d’un continent à l’autre, vendus comme du bétail, asservis, exploités sans pitié ! C’est la littérature qui révèle le mieux à l’esprit cette pratique inqualifiable : “On leur prit tout : leur liberté, leur dignité, leur vie, leurs rêves, leurs espoirs, leurs joies. On leur retira le nom d’Homme. On en fit une chose et de leurs enfants aussi. On prit la peine de les marquer au fer rouge. On se permit de les mettre à mort. Cela dura des siècles. Plusieurs siècles d’un génocide silencieux, à peine ébruité par les cris atroces des mourants.”

L’ordonnance coloniale de mars 1685 qui institue le Code Noir met en place un système tributaire de deux facteurs qui n’en font qu’un : la traite et l’esclavage, deux systèmes complémentaires pour un même crime, l’avilissement de l’homme noir. Du point de vue sociologique, le premier système traduit le monopole et le privilège octroyé à des États de faire un commerce d’humains en les ravalant au rang de bétail. Le second système traduit l’aliénation totale de la liberté de l’individu inféodé à son maître. La traite négrière s’est appuyée sur une idéologie qui en constitue le cadre juridique : “la construction intellectuelle du mépris de l’homme noir pour justifier la vente d’êtres humains comme bien meuble”. La traite négrière restait le grand commerce de l’archipel des Comores à l’époque précoloniale. Elle enrichissait les sultans et satisfaisait les planteurs. Les razzias malgaches par exemple avaient pour objectif la recherche d’esclaves par les planteurs de Bourbon et l’Ile de France. Au cours de ces invasions, Mayotte, ou tout au moins la Grandeterre, fut utilisée comme une tête de pont, une base avancée d’où les Malgaches lançaient les expéditions vers les autres îles et le Mozambique. Les incursions anjouanaises participaient aussi d’une logique de traite négrière et de commerce esclavagiste. De même, il est établi que le sultan Andriantsouli s’adonnait au commerce des esclaves. Les marins anglais et français, rarement d’accord à cette époque, le dépeignent comme “un tyran, un négrier, un éthylique”. Jean Martin cite le révérend Griffith, un pasteur et homme d’affaires mauricien qui, après une tournée de recrutement dans les îles voisines, adresse au sultan une lettre incendiaire, lui reprochant d’avoir réduit en esclavage une partie de la population qu’il avait vendue à deux négriers établis au Mozambique. Avant l’implantation française, Mayotte entretenait la traite négrière, l’île était depuis longtemps un centre actif de ce négoce. Des Noirs, amenés de la côte d’Afrique sur des boutres, y étaient ensuite embarqués à destination des Mascareignes pour fournir la main-d’œuvre aux planteurs sucriers. Les travailleurs étaient le plus souvent des esclaves importés par leurs propriétaires. Qui étaient ces derniers ? Une classe aristocratique d’arabo-persans venus du sultanat d’Oman et de Zanzibar, établis dans l’île et qui y avaient transporté leurs esclaves en majorité africains (M’Rima, Macoua et Mozambique), des Antalaotsy venus ou revenus de Majunga, des autochtones faisant partie de clans semi-féodaux issus de migrations anciennes et métissées bantous, perso-arabes, sakalavas… ou simplement de migrations inter-îles, auxquels on doit ajouter des arrivées plus récentes comme celles de la cour du sultan Andriantsouli.

Mayotte, victime ou initiatrice du trafic ?

Malgré l’empreinte de l’esclavage à Mayotte, deux écoles en contestent l’importance. L’une, formée par des autochtones se réclamant de la tradition arabo-musulmane, soutient que les Mahorais de souche n’ont pas connu l’esclavage. L’autre, formée par des métropolitains qui s’appuient sur des thèses néocolonialistes, affirme que Mayotte n’a connu qu’un “esclavage doux”. Ces deux interprétations méritent qu’on s’y attarde.

L’archéologie fait remonter le peuplement des Comores au 4ème siècle. Très tôt, cet archipel a été un réservoir d’esclaves, sans que l’on sache cependant si les premiers habitants de Mayotte, par exemple, ont été plutôt les initiateurs ou les victimes de ce trafic. C’est cette incertitude qui autorise quelques négationnistes à dire, sans trop y croire, que l’esclavage n’a pas existé à Mayotte. Il est presque certain qu’une île aussi exigüe n’en faisait pas un grand réservoir d’esclaves. Mais il est presque aussi sûr que des commerçants arabes ou swahili, familiers des razzias, aient introduit à Mayotte des nègres enlevés de toutes les tribus de Madagascar et de la côte africaine. Le commerce d’esclaves par les marchands arabo-persans ou antalaotsy semble attesté par les fouilles archéologiques entreprises par le professeur d’histoire Martial Pauly à Acoua. Des sociologues et des linguistes ont noté la permanence des références à l’esclavage dans la langue mahoraise et dans l’imaginaire collectif. Tous les auteurs citent, au demeurant, le récit de l’amiral turc Piri Reis qui dénombrait en 1531 plusieurs centaines d’esclaves chez les nobles mahorais.

Les recherches effectuées par un jeune étudiant mahorais, Inssa Ahamada, pour sa thèse d’histoire consacrée à l’esclavage à Mayotte, écartent certains préjugés. Selon le doctorant, à Mayotte, l’esclavage commence avec le développement du commerce et l’installation d’Arabo-musulmans dans les Comores. Vers le 13ème siècle, une société féodale se met en place avec des valeurs pour chaque classe. Les “Kabaïlas” ne font pas de travaux manuels et ont donc besoin de main d’œuvre, qu’ils font venir d’Arabie ou de la côte est-africaine. En effet, ils se marient avec les filles des chefs de village pour gagner en autorité et ne peuvent pas asservir les populations locales sous peine de perdre leur alliance. Mayotte devient donc un lieu d’asservissement en plus d’être un lieu de traite sur lequel on accueillait des esclaves en transit. On ne sait pas combien ils étaient, mais le développement de cités importantes suppose des ressources financières qui ne le sont pas moins et un commerce florissant. Pour cette période, les sources d’information sont essentiellement orales.

Selon Inssa Ahamada, il y a alors plusieurs catégories d’esclaves qui cohabitent dans l’île. La première, composée des esclaves domestiques, comprend les captifs qui accomplissent des travaux ménagers, les courses extérieures, mais également des hommes de confiance. Ils ne pouvaient que rarement être vendus mais obtenaient parfois la liberté à l’occasion d’un moment de réjouissances, un mariage ou une naissance dans l‘entourage du maître qui le poussaient à l’indulgence.

Les esclaves agricoles, qui forment la deuxième catégorie, mettaient en valeur les terres des maîtres. Les terres étaient souvent éloignées du lieu d’habitation, les maîtres étant majoritairement citadins et fortement regroupés à M’tsapéré. Ces “bêtes de somme” n’obtenaient jamais d’affranchissement et vivaient dans des hameaux particuliers. Cet état de fait leur conférait une certaine liberté de vivre “comme dans leur société d’origine, selon la même organisation et avec les mêmes cultures”. Cela explique la persistance de la musique et de culture venues d’Afrique de l’Est à Mayotte. Troisième catégorie, les marins esclaves étaient eux employés sur les boutres d’un maître commerçant et devaient charger et décharger les cargaisons, mais aussi servir de traducteurs parfois sur la côte africaine.

Enfin, les esclaves d’exportation, venus de la côte est africaine, des ethnies Makoua ou Manya Mwezi, vivaient dans des conditions très difficiles, entassés sur le bateau et dans les hangars dans

lesquels ils étaient débarqués. Ceux-là étaient destinés à être revendus. Du résultat de son étude, Inssa Ahamada tire la conclusion que le silence qui entoure cette partie de l’histoire s’explique à la fois par une part de sacré qui relie l’esclavage à l’islam, et à une empreinte culturelle de l’esclavage arabo-musulman “plus intégrée” à la culture mahoraise. En effet, tout un héritage de cette période est resté. L’organisation de la société mahoraise de l’époque reste encore pertinente à certains égards. Les “Kabaïlas”, dont tout le monde veut être, sont des références sociologiques qui évoquent une certaine aisance, une classe dominante. Viennent ensuite les “Mshendzis”, les esclaves, dont le vocable est resté comme une “insulte” pour désigner quelqu’un qui manquerait de manières, de savoir-vivre. Les “Mgwanas”, autochtones que les Arabes auraient trouvés sur l’île et infiltrés par stratégies matrimoniales, sont des personnes de condition libre. Aujourd’hui, ils désignent des personnes qui ne sont pas étrangères, des natifs du village ou des gens originaires de Mayotte généralement.

En 1841, les Français débarquent et héritent d’un territoire déjà peuplé, contrairement à La Réunion, et avec une société organisée. La question qui se pose alors est celle de leur place sur ce territoire. “La seule façon de prendre le contrôle de l’île, pour eux, était d’abolir l’esclavage et de rendre ainsi caduque l’organisation arabe. Il ne s’agissait pas de philanthropie ! L’idée était de récupérer la main d’œuvre affranchie par les Arabes sous forme “d’engagements”, explique Inssa Ahamada.

Par quelle fantaisie quelques analystes viennent-ils à soutenir, contre toute évidence, que les Mahorais n’ont pas été victimes de l’esclavage ? Cette affirmation péremptoire ressort d’une construction intellectuelle simpliste. La noblesse mahoraise d’antan était elle-même esclavagiste. L’argument se tient, mais il n’évacue pas la question de savoir si cette noblesse n’était pas elle-même issue de descendants d’esclaves ? Même si elle ne correspond pas à l’image idéale d’une ascendance arabe et musulmane quasi-totale portée par les mythes des villages et des grandes familles mahoraises, il semble bien que, dans sa majorité, la population de Mayotte soit d’origine africaine et d’implantation plus récente. En effet, dans la deuxième moitié du 19ème siècle, l’insuffisance de main-d’œuvre imposait de trouver des travailleurs à l’extérieur de Mayotte. Pour satisfaire les besoins des plantations mahoraises, les trois îles comoriennes encore indépendantes allaient fournir, malgré la faiblesse de leur propre démographie, un réservoir de travailleurs “engagés” apparemment inépuisable. Les liens entre les sultanats des Comores et celui de Zanzibar, renforcés par un traité direct entre la France et Mascate, ont permis d’approvisionner régulièrement l’archipel en esclaves razziés au Mozambique et dans le sud tanzanien, et recyclés en engagés comoriens. C’est ainsi que d’anciens villages mahorais de plantations sont encore aujourd’hui regardés comme anjouanais (Vahibé, Koungou, etc.) ou grand-comoriens (Combani, Mramadoudou, etc.) pour avoir été peuplés par des Africains ayant appris en quelques années, voire quelques mois, l’une des langues parlées dans l’archipel. Les similitudes entre Mayotte et le Mozambique ont montré la très grande proximité ethnique mais aussi culturelle entre les deux pays (langue, danses, maquillage, habillement, habitudes alimentaires, etc.).

Selon une interprétation couramment admise, l’esclavage à Mayotte était, a priori, surtout domestique et le régime appliqué, de type patriarcal propre aux pays islamiques, le Coran recommandant au maître la douceur pour ses esclaves et lui faisant un mérite de les affranchir.

L’esclavage arabo-musulman : le Coran d’une main, le couteau à eunuque de l’autre

Commencée lorsque l’émir et général arabe Abdallah Ben Saïd a imposé aux Soudanais un bakht (accord), conclu en 652, les obligeant à livrer annuellement des centaines d’esclaves, la génocidaire traite négrière arabo-musulmane devait s’arrêter officiellement au début du 20ème siècle. L’énorme ponction humaine a duré pendant treize siècles sans interruption. Pour mémoire, la traite

transatlantique a duré quatre siècles. Cela fit dire à Edouard Guillaumet : “Quel malheur pour l’Afrique, le jour où les Arabes ont mis les pieds dans l’intérieur. Car avec eux ont pénétré et leur religion et le mépris du Nègre…”

Derrière un prétexte religieux, les négriers arabes commettaient les crimes les plus abjects et les cruautés les plus atroces. Dans la traite transsaharienne, ce sont les femmes noires qui avaient le plus de valeur. Appréciées pour leurs aptitudes à la vie domestique et aux travaux traditionnels, réputées bonnes cuisinières, elles servaient le plus souvent à l’esclavage sexuel dans les harems. Ces femmes étaient systématiquement violées sur le parcours les ramenant du continent noir. Le but était de les briser moralement et psychologiquement avant de les mettre en vente. Elles étaient ensuite réduites à un état de dépendance et de soumission totale vis-à-vis de leur propriétaire.

Mis à part l’esclavage antique qui avait cours sur la Méditerranée, la conquête musulmane a, au départ, joué un rôle essentiel dans l’expansion de l’esclavage moderne. L’esclavagisme arabe qui s’était inféodé à l’expansion islamique et au commerce procédait comme une maladie sournoise, par razzia et rafles. Il a porté très loin ses prises. Des captifs noirs ont ainsi été trouvés non pas seulement dans le Maghreb mais jusqu’en Inde et en Chine.

L’institution de la castration témoigne des atrocités commises par les négriers arabes. Les captifs transformés en eunuques ont connu les pires sévices qu’un homme puisse endurer. Cette pratique n’est-elle pas le summum de la barbarie ? Châtré, l’esclave perdait ainsi de sa masculinité. Démembré, il était privé de sa capacité à procréer. L’opération confiée à des praticiens “spécialistes” se déroulait dans des ateliers réservés à cet effet. L’ablation des parties génitales est une boucherie contraire à l’islam, mais cette sauvagerie était bien l’œuvre des négriers arabo-musulmans. Les Comores n’ont sans doute pas connu ces mutilations. Les îles ont peut-être échappé à cette abjection. Mais les aspects cruels de l’avilissement résident en principal dans le sentiment d’inhumanité qui torturait l’esprit de chaque esclave meurtri dans sa chair et dans son âme.

Dire qu’à Mayotte, terre africaine et musulmane, il n’a existé qu’un esclavage “doux” ou “ancien”, c’est-à-dire un esclavage dépourvu de ses formes les plus révoltantes, telles qu’elles existaient en Afrique noire ou dans les Antilles, c’est tenter de réserver à cette île un sort singulier, assez enviable somme toute. C’est aussi exonérer de toute faute, les chasseurs de nègres et les bénéficiaires de la battue. “Doux”, “ancien”, “domestique”, “traditionnel” ou “patriarcal”, ces qualificatifs n’ôtent rien à l’essentiel : Mayotte a vécu l’esclavage à l’état pur. La thèse qui vise à hiérarchiser des degrés d’aliénation ne résiste pas à la réalité des souffrances physiques et psychologiques endurées par les esclaves quotidiennement. Ils ont intériorisé l’humiliation tout au long de leur vie comme une souillure indélébile. Lorsqu’il s’agit de la grandeur de l’homme, de sa liberté, de sa dignité, il n’y a pas de spécificité, de particularisme.

En 1812, un Arabe originaire de Mascate introduisit le clou de girofle (produit venant de l’île Bourbon) à Zanzibar. Dans cette région africaine colonisée par les Omanais, rattachée au monde arabo-musulman de l’époque, le sultan employait les captifs qu’il n’exportait pas dans un système esclavagiste local de production de denrées exportables. Ses unités installées à Zanzibar et à Pemba exploitaient de nombreuses plantations. Premier producteur mondial de clous de girofle, Zanzibar produisait aussi du riz, des noix de coco, des patates et de la canne à sucre. Entre 1830 et 1872, plus de sept cent mille esclaves ont servi cette entreprise. Les négriers arabes, qui exploitaient ces ressources, étaient tous financés par des banquiers indiens. Au début du 19ème siècle, ceux qui étaient asservis dans le “task system” (travail à la tâche), vivaient dans des conditions inhumaines et étaient astreints à un certain rendement. Pour les autres cultures, on pratiquait ce que les historiens appellent le “gang labor system” ou travail en équipe, qui était tout aussi pénible. Selon les

estimations, il fallait renouveler chaque année 20 à 30 % de ces malheureux. Neuf à douze mille esclaves mouraient chaque année. Oman fut donc un des marchés les plus florissants de la redistribution de captifs africains. Quantités de bateaux venaient y déverser leurs cargaisons humaines. En treize siècles, et à travers trois traites, les spécialistes font état de 42 millions de captifs africains.

La traite africaine : très ancienne, elle se développe avec les traites orientales et atlantiques. Estimées à 14 millions, ses victimes étaient exploitées par les Africains eux-mêmes, vendues aux négriers arabes et européens. La traite orientale : organisée par des négriers musulmans et certaines tribus islamisées, elle dure du VIIe siècle aux années 1920, à travers le Sahara et sur les côtes de la mer Rouge et de l’océan Indien. On estime ses victimes à 17 millions. La traite atlantique : principalement organisée par les Hollandais, les Britanniques, les Français et les Américains de 1450 à 1860, elle touche surtout la Côte d’Ivoire, le Bénin puis l’Angola, le Sénégal et la Zambie, alimentant surtout les Antilles, le sud des États-Unis et le Brésil. À la fin du 17ème siècle naît le commerce triangulaire : les États donnent des monopoles à des compagnies. Les bateaux quittent les ports européens chargés de marchandises qu’ils échangent en Afrique contre des esclaves, pour vendre ceux-ci en Amérique et rapporter des produits tropicaux en Europe. La traite atlantique aurait fait 11 millions de victimes. La traite orientale, transsaharienne ou arabo-musulmane a bel et bien produit ses effets néfastes y compris aux Comores, et à Mayotte, via le sultanat d’Oman. “L’esclavage doux” est donc une imposture, une hypocrisie qui relève de la mystification et de l’obscurantisme. Le terme est utilisé par des négationnistes pour se donner bonne conscience. Sait-on combien de domestiques sont morts de honte, combien de garçons se sont noyés de chagrin, combien de jeunes filles violées se sont jetées du haut d’une falaise, combien d’adultes se sont suicidés par remords, combien de femmes ont mis une croix sur le bonheur conjugal, combien d’hommes ont banni toute idée de fonder une famille, combien de fuyards révoltés se sont perdus à jamais dans la forêt ?

De la colonisation à l’abolition

Le décret abolitionniste du 27 avril 1848 : Et les chaînes tombèrent… Dès la prise de possession de Mayotte par la France, en 1841, l’introduction des esclaves dans l’île y est interdite en vertu des lois prohibitives de la traite des noirs. Les autorités qui procèdent au premier recensement répartissent la population de la façon suivante : — Sakalaves (600), Arabes (700), Mahorais (500), Esclaves (1500). Total : 3300 habitants.

Les esclaves, tous issus de la tribu des Macouas, vivant en Afrique orientale sur les côtes du Mozambique, dans les terres comprises entre le cap Delgado et la rivière Goillé ou Anghoza, constituaient presque la moitié de la population globale. On dénombre 1800 habitants libres, parmi lesquels 500 seulement sont de “purs mahorais”. Mayotte avait donc une densité humaine dérisoire que la présence coloniale allait très rapidement accroître grâce à une mise en valeur économique “très poussée”, qui devait stimuler des immigrations importantes. Depuis 1843, des mouvements de population se sont successivement produits dans l’île. En quelques années, douze usines sucrières surgirent de la brousse nécessitant des investissements de capitaux qui atteignirent, pour une seule entreprise, plus d’un million de franc-or en cinq ans. Une importation de main d’œuvre devait s’ensuivre et des milliers de travailleurs furent recrutés d’urgence à l’extérieur. Des primes sont accordées aux recruteurs. Des avantages en nature sont offerts à tous ceux qui s’engagent au service des exploitations. Nombreux sont ceux qu’allèchent des salaires inconnus jusqu’alors. Une publicité remarquablement bien faite et favorisée par les circonstances devait créer un courant d’immigration particulièrement important. Ainsi, le recensement de février 1846 fixe le nombre d’esclaves à 2.733 individus des deux sexes et de tout âge, dont une majorité de noirs originaires du Mozambique. Après le rattachement à la France, d’autres bras viennent remplacer la force de travail

gratuite qui servait de fondement à toute l’économie coloniale. L’autre forme d’asservissement qui sévit longtemps après l’affranchissement, est constituée par les contrats d’engagement.

D’un usage courant à partir de 1635 dans les trois îles que possédait la France dans la mer des Caraïbes (la Martinique, la Guadeloupe et Saint-Domingue) où les engagés étaient des Européens, régulièrement rémunérés ou dédommagés de certains frais, les contrats d’engagement, exhumés après deux siècles, sont introduits à Mayotte par deux arrêtés du 16 mars 1846. Deux articles rédigés par le commandant Passot précisent le régime applicable aux engagés. La durée de la journée de tâche est fixée à dix heures, avec une pause de deux heures à midi. La ration journalière doit comprendre 1.200 gr de riz blanc, 22 gr de sel et 1,100 kg de bois de chauffe. De plus, le concessionnaire doit assurer à chaque travailleur un logement et une marmite. Ces mesures salutaires ne furent jamais appliquées, les engagés travaillant parfois treize heures, voire davantage. Les planteurs n’en tiennent pas compte et distribuent généralement du riz non décortiqué que les femmes doivent piler chaque soir. Deux arrêtés sont pris pour mettre fin aux abus sur la distribution de vivres et le versement des salaires. Les textes, assortis d’aucune sanction, restent sans effet.

Selon la version officielle, la France marque son souci de faire régner l’ordre et la justice dans l’île en abolissant l’esclavage par une ordonnance royale du 9 décembre 1846. Il ressort toutefois du rapport Mackau, ministre de la Marine et des Colonies, que l’abolition est dictée aussi par des raisons d’ordre économique. Ce dernier souhaite faire de Mayotte une colonie modèle, un centre économique florissant doté d’un port franc, développement incompatible avec la survivance de l’esclavage. L’ordonnance signée par Louis Philippe, Roi des Français, indique dans son préambule : “L’extinction de l’esclavage est une des premières conséquences qui résultent de l’occupation de cette île, le régime immédiat du travail libre aura pour effet d’y rendre plus facile l’introduction d’autres travailleurs libres et volontairement engagés”.

À cette fin, l’ordonnance prescrit l’ouverture au ministre secrétaire d’État de la Marine et des Colonies, au chapitre subvention à divers établissements coloniaux, un crédit extraordinaire de 461.000 francs. Le texte conclut : — “Cette somme sera répartie entre les habitants indigènes de l’île de Mayotte, actuellement possesseurs d’esclaves, à raison de la libération des dits esclaves, lesquels, à dater de leur affranchissement, resteront soumis envers l’État à un engagement de travail de cinq années”. L’ordonnance royale est promulguée le 1er juillet 1847, avec un grand retard parce que l’administration craignait une soudaine baisse de l’effectif des esclaves, au cas où la nouvelle de leur prochaine libération, avec indemnisation des propriétaires, venait à se répandre. Aucune publicité n’a été faite dans l’immédiat. Dorénavant, les esclaves sont automatiquement affranchis en s’installant à Mayotte, mais ne peuvent y demeurer qu’à la condition de se conformer au régime des engagements. Séduites par les récits enjolivés des boutriers comoriens, tourmentés d’autre part par des sultans avides, les populations des autres îles, notamment les captifs noirs africains recyclés en engagés volontaires, ne devaient pas tarder à se ruer par groupes sur “l’île heureuse”. Ile heureuse, en effet, puisque l’esclavage venait d’y être aboli. Cette importante mesure devait avoir dans l’archipel des répercussions démographiques opposées.

Libres à Mayotte alors qu’ils étaient opprimés à Anjouan, Mohéli et la Grande Comore, les habitants de ces dernières îles devaient rechercher eux aussi à conquérir une liberté que depuis longtemps déjà ils convoitaient. Aussi les émissaires des usiniers de Mayotte trouvèrent-ils dans ces îles un terrain favorable et purent-ils en peu de temps drainer vers Mayotte un nombre important d’individus, d’adultes mâles notamment. Des anciens esclaves de Mayotte, beaucoup continuèrent, après affranchissement, à travailler pour le compte de leur ancien maître ; d’autres changèrent sans doute d’employeurs ; nombreux furent ceux qui se lièrent par contrat comme travailleurs de divers établissements sucriers, sous le contrôle du gouvernement local. D’autres enfin se fixèrent à Mayotte

comme cultivateurs. L’administration locale, de son côté, voulant répondre aux besoins pressants des employeurs fit venir de Madagascar, sur des bâtiments de l’État, quelques centaines de Sakalaves qui se mêlèrent aux habitants de l’île dont beaucoup étaient de même origine. Des circulaires du capitaine Passot, communiqués aux gouverneurs des îles Mascareignes, provoquèrent la venue de Maurice et de Bourbon d’un contingent important de travailleurs spécialisés dans l’usinage du sucre. Des facilités furent enfin accordées aux immigrants contrôlés par le gouvernement local, sous forme de “permis d’établir et de cultiver” que les Mohéliens, Anjouanais et Grands-Comoriens obtinrent sans difficultés. L’amour du sol devait attacher à Mayotte de nombreuses familles de ces immigrants. Cette immigration massive compensa l’émigration qui avait dépeuplé l’île à l’arrivée de la France. Car l’abolition de l’esclavage n’eut pas que des répercussions démographiques heureuses.

Les opérations d’affranchissement commencent le 19 juillet 1847. Après la convocation du Conseil d’administration de Mayotte pour délibérer sur les modalités d’application de l’ordonnance de 1846, les possesseurs d’esclaves les plus influents, notamment les Antalaotsy, ayant l’assurance d’être suivis par leurs esclaves noirs africains, affrètent un boutre à Dzaoudzi pour les transporter dans les possessions portugaises d’Afrique. Malgré la possibilité du dédommagement, c’est-à-dire le rachat par l’État de leurs esclaves, ils s’en allèrent avec les captifs qui, entre leur condition servile héréditaire et l’aventure des engagements obligatoires pour des Blancs, avaient opté pour la première solution. Des trois gros propriétaires indigènes d’origine anjouanaise — Ahamadi Bakari, Ousséni Akiba et Mohamed Ben Ahamadi —, seul le dernier reste à Mayotte. Les Sakalavas d’Andriantsouli ne partent pas. Les planteurs blancs, qui avaient affiché leur projet de quitter l’île se ravisèrent, rassurés par la compensation financière promise et la venue annoncée d’une main-d’œuvre de remplacement, les “engagés volontaires”, également appelés “travailleurs libres”.

Une commission d’évaluation des esclaves affranchis réunie du 15 juillet au 2 septembre 1847 constate que sur 2.012 esclaves ayant comparu, 1.227 avaient opté pour leur départ et 527 avaient exprimé leur volonté de rester.

L’originalité de Mayotte réside dans le fait que l’émancipation des esclaves, présentée comme la suite naturelle et logique du traité de cession de l’île, intervient deux ans avant l’adoption des décrets de Victor Schœlcher qui, les 4 mars et 27 avril 1848, généralisent l’abolition à toutes les colonies françaises : l’affranchissement des esclaves n’est réalisé dans les trois autres îles des Comores qu’en 1891 et 1904.

Le décret libérateur de 1848 est l’aboutissement d’une longue évolution. Les historiens aiment à rappeler que c’est “le réalisme qui a permis aux Anglais d’être la première nation d’Europe à la penser”. Au cours du 18ème siècle déjà, les fondateurs de la “Société des amis des Noirs” condamnaient ceux qui se livraient au commerce du “bois d’ébène”. Des hommes d’église intrépides, tels que l’Abbé Grégoire, s’élevaient contre le sort des Noirs. L’Abbé Raynal publie, dès 1770, une condamnation vigoureuse de l’esclavagisme. En avance sur son temps, cet illustre philosophe des Lumières aborde dans ses écrits l’égalité de tous devant la justice, les droits de la femme, le droit au bonheur… etc. Son plaidoyer contre la colonisation tient en une phrase indélébile : “Parmi tant de mouvements et de tumulte, il s’élève un cri de la nature : “L’homme est né libre !””

La première abolition n’intervient cependant que le 4 février 1794 lorsque la Convention Nationale déclare : “L’esclavage des Nègres dans toutes les Colonies est aboli” ; en conséquence, elle décrète que “tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français, et jouiront de tous les droits assurés par la constitution”.

Il s’agit ici de la première étape sur la route encore longue menant à la disparition de l’esclavage. Bonaparte le rétablira dans les colonies en 1801. Comment des consciences éclairées par les Lumières ont pu supporter si longtemps cette barbarie ?

Le rétablissement de l’esclavage ne trouva pas seulement sa justification dans l’intérêt économique, dans l’appât du gain. Ce qui rend la traite et l’esclavage insupportable, c’est que ces systèmes ont trouvé leur justification intellectuelle et morale dans l’idée de race inférieure. Où a conduit ce préjugé ? À donner un prix, une valeur marchande à la vie humaine. Dès lors, le sentiment de la fraternité humaine s’effaçait derrière la comptabilité. Le maître ne partageait pas plus la souffrance de l’esclave que le négrier. Il se sentait dans son bon droit. Il logeait et il nourrissait l’esclave en échange de son travail et il était convaincu que celui-ci ne pouvait travailler que sous le fouet. Des hommes de grande valeur se sont levés tôt pour dénoncer cette conception absurde. Ces sentiments humanistes étaient ceux de Condorcet, Musset, Brissot, Schœlcher, Guizot et bien d’autres républicains.

Un fléau qui a longtemps désolé l’Afrique, dégradé l’Europe et affligé l’humanité

De fait, les premiers à combattre l’esclavage furent les esclaves eux-mêmes. Les révoltes étaient fréquentes, elles étaient sévèrement réprimées. Mais les esclaves qui s’étaient libérés par les armes avaient définitivement perdu leur “âme d’esclave”. Très tôt, une prise de conscience avait germé. Vint la Révolution française. Quelques-uns parmi les Européens, ceux qui avaient l’esprit républicain, firent de l’émancipation leur combat. La République réveilla dans la pensée endormie des esclaves asphyxiés l’idée étouffée de liberté. C’est dans ce moment décisif que parut des héros noirs. Le commandant Delgrès, soldat de l’armée républicaine, proclama le 10 mai 1802 qu’il voulait “vivre libre ou mourir “. La mulâtresse Solitude, Cimendef et Dimitile, figures emblématiques des “marrons”, montrèrent le chemin aux esclaves fugitifs. Ces noms, ces destins hors du commun, souvent tragiques, trop peu de Français les connaissent. Pourtant, ils font bien partie de l’histoire de France. Que dire de Toussaint-Louverture, qui créa les conditions de l’indépendance de Saint-Domingue, devenu Haïti. Avec des esclaves, il forgea une armée. Avec cette armée, il fit un État. Châteaubriand l’appela “Le Napoléon noir”. Lamartine disait de lui : “Cet homme fut une Nation”. Face aux Espagnols, aux Anglais, à Leclerc, dans la paix comme dans la guerre, dans l’administration comme dans la conquête, sans y avoir été préparé, sans avoir été éduqué, formé, il fit preuve des plus belles qualités d’intelligence, de caractère et de courage qui sont un démenti jeté violemment à la face de ceux qui voulaient croire à l’infériorité d’une race éternellement vouée à l’esclavage. Il mourut au fond d’un cachot. Mais le peuple que Toussaint avait réveillé et qui avait préféré risquer l’anéantissement en se battant jusqu’à l’extrême limite de ses forces plutôt que de redevenir esclave, avait pris goût pour toujours à la liberté. Le 1er juillet 1804, ce peuple libre proclama la République d’Haïti. Il voulait en faire “la patrie des Africains du nouveau monde et de leurs descendants”.

L’émancipation s’était faite dans la souffrance de l’esclave. Elle s’est faite contre le préjugé de supériorité culturel qui fut aussi un préjugé racial. C’est cette grande faute de l’Occident, qui a été la cause d’une blessure profonde, ineffaçable, c’est cette faute inexpiable que les abolitionnistes européens ont tenté de réparer, contre leurs États esclavagistes.

Commémoration et devoir de mémoire

Commémorer l’abolition, se souvenir, est nécessaire et souhaitable. Partie intégrante de la France, la patrie des droits de l’homme, berceau de l’ingérence humanitaire, Mayotte ne saurait rester à l’écart d’un vaste mouvement national qui se situe à l’avant-garde de la lutte contre toutes les formes d’esclavage. Comme disent les sociologues, les pratiques caractéristiques de l’esclavage moderne sont couvertes par le non-dit, le silence, le mutisme et la peur de la remise en cause de l’ordre social.

Ce phénomène cache les multiples travers d’une société pervertie ou en voie de l’être. Les tabous qui couvrent la dénonciation des faits ont pour conséquence de nous rendre tous, à des degrés divers, complices d’une abomination, celle qui consiste à maintenir l’opprimé emmuré dans une réalité qui mutile l’individu et le brime dans son désir de liberté. Ainsi que l’affirme l’Unesco : — “Les principes de la déclaration universelle (des droits de l’homme) ne pourront être traduits dans la réalité de la vie de chacun qu’après avoir été profondément enracinés dans les consciences, étant donné la profondeur des égoïsmes qu’ils combattent, la force des préjugés, des traditions et des principes qu’ils bouleversent”.

En définitive, nous sommes tous concernés. Les conférences ont le mérite de nous en convaincre, de susciter des vocations d’abolitionnistes des temps modernes. L’histoire de l’esclavage reste encore méconnue à Mayotte. Les jeunes mahorais, Français de nationalité, grandiraient à s’en imprégner. Ceux qui ont tourné le dos à l’Afrique s’enrichiraient humainement, intellectuellement et moralement. Savent-ils seulement d’où viennent leurs ancêtres ? De quelle aire géographique ils se rapportent ? Sur quel arbre généalogique s’accrocher ? “Apprendre sans oublier” : c’est la parole sage et le conseil que livre Cheikh Hamidou Kane. Selon l’écrivain sénégalais, Sondât Keita, l’icône de la société mandingue, a été dès le 13ème siècle un précurseur et un modèle dont on souhaiterait que s’inspirent les dirigeants actuels de l’Afrique. Il a substitué l’unité à la division ; il a codifié et promulgué les principaux principes de la loi fondamentale connue sous le nom de Charte du Mandé. Les textes fondateurs établissent une véritable citoyenneté de l’empire permettant la libre circulation des biens et des personnes. Ils garantissent aussi la sauvegarde de la vie, l’intégrité physique, l’honneur et la propriété de chaque sujet. On y trouve des dispositifs relatifs aux biens, à la manière licite de les acquérir, à la gouvernance. Comme Cheikh Hamidou Kane, posons alors la question d’actualité : s’il était donc ainsi établi que l’Afrique médiévale avait su tirer de sa culture et de ses valeurs les règles d’existence et de gouvernance les plus adéquates, pourquoi les élites dirigeantes de l’Afrique moderne doivent-elles, dans leur œuvre d’édification et de modernisation, aller chercher leur modèle ailleurs ? “C’est, dit Joseph Ki-Zerbo, que beaucoup de cadres africains ont tourné le dos à cet héritage, (…) accordant plus de crédit à ce qu’ils ont appris et mal retenu de leur initiation aux sciences modernes.”

Voici une image du génie africain que les jeunes scolaires mahorais ne connaissent pas. Savent-ils seulement que l’esclavage, qui a permis l’enrichissement et le décollage économique de l’Europe ainsi que l’édification de la puissance nord-américaine, a par ailleurs provoqué le déséquilibre et l’appauvrissement de l’Afrique. La traite négrière, entreprise de déshumanisation du peuple africain institutionnalisée par le Code noir, impose un devoir de mémoire (connaître le passé pour appréhender le présent). Certes, nous ne sommes plus à l’époque des articles du Code Noir (1685-1848), cette infamie juridique instituant et systématisant l’animalisation de l’homme — et de la femme — noir. Certes, l’égalité des droits a été proclamée en France en 1946, avec l’avènement du statut de DOM qui offre le choix, aux peuples colonisés, entre assimilation et intégration, sous couvert de la tutelle républicaine. Mais le temps n’a pas fait son œuvre de cicatrisation des blessures profondes et des plaies béantes que nos grands-parents s’efforcent, l’âme en peine, d’oublier individuellement et collectivement. Il importe donc pour les descendants d’esclaves (sang-mêlé, nègre marron, mulâtre d’Afrique et d’ailleurs), enfants des générations postcoloniales (métis, créole, black, croisés d’Amérique ou de l’océan Indien) de perpétuer la tradition de l’anniversaire, de continuer de deviser sur les formes nouvelles de l’exploitation humaine et de l’esclavage moderne. Injustice, inégalité, exclusion, dépendance, privation de droits, confiscation des libertés, et surtout racisme… autant de perversions qui montrent — et le phénomène Le Pen en France métropolitaine en est une parfaite illustration — que l’émancipation (proclamée par le décret du 27 avril 1848 qui libère les esclaves pour les transformer en prolétaires colonisés) a aujourd’hui encore un goût

d’inachevé. Il n’est pas rare en effet que dans les îles et en métropole, des personnages qui détiennent une parcelle de pouvoir politique, administratif, économique ou financier répandent, à la télévision, dans la presse écrite ou sur Internet, des propos inacceptables relevant d’un racisme absolu.

Ce délire xénophobe se révèle souvent dans les entreprises, par le comportement outrancier de petits patrons vis-à-vis des salariés, qui laisse croire à du mépris et à de la ségrégation sociale et économique. Ceux qui évoquent, publiquement ou en privé, “les bons côtés de l’esclavage” ou le “rôle positif de la colonisation” doivent être combattus, avec la plus grande fermeté. Commémorer l’abolition, c’est une manière de condamner à l’avance les propos scandaleux des négationnistes qui défendent l’indéfendable. L’indéfendable, c’est d’oublier que l’esclavage a nourri le racisme. C’est lorsqu’il s’est agi de justifier l’injustifiable que l’on a échafaudé des théories racistes. C’est-à-dire l’affirmation révoltante qu’il existerait des races par nature inférieures aux autres. Le racisme, d’où qu’il vienne, est un crime du cœur et de l’esprit. Il abaisse, il salit, il détruit. Le racisme, c’est l’une des raisons pour lesquelles la mémoire de l’esclavage est une plaie encore vive pour nombre de nos concitoyens.

Un devoir citoyen reste à faire. Il reste aux générations actuelles à accomplir au moins une abolition : abolir le non-dit, le ressentiment et la frustration. Il leur reste aussi à accomplir au moins une émancipation : s’émanciper des séquelles, des traumatismes et du refoulement.

Il ne faut pas pardonner. Il ne faut pas oublier. Il faut rester éveillé, vigilant, attentif, la conscience en alerte. Car la liberté, c’est le Droit qui la garantit. L’égalité, c’est la raison qui l’exige. La fraternité, c’est le cœur qui l’appelle. Le Droit, la Raison et le Coeur, voilà par quoi nous pouvons donner un sens à un avenir commun. La formule s’adresse tout particulièrement aux jeunes mahorais.

 

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