27/10/2009 – Trois questions… à Faneva Rakotondrahaso, chercheur en droit public financier

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{xtypo_dropcap}M{/xtypo_dropcap}ayotte Hebdo : Quels sont les textes législatifs et réglementaires qui régentent l'activité des Chambres des comptes ?

Faneva Rakotondrahaso : Créées par la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, en marge de la décentralisation, les Chambres régionales des comptes occupent une place centrale dans le contrôle de l’exécution des budgets locaux. Pour Mayotte, la décentralisation n’est effective que depuis le renouvellement du conseil général en 2004 et le transfert des "commandes" du préfet au président du CG.

A Mayotte, comme dans les autres collectivités d'Outremer, les Chambres ne sont bien évidemment pas régionales mais territoriales, sachant que les magistrats de la CTC de Mayotte sont les mêmes que ceux de la CRC de la Réunion. Elles ont donc été créées ultérieurement, par exemple la CTC de Nouvelle-Calédonie en 1988 et celle de Polynésie française en 1990. Quatre nouvelles CTC ont été instituées à Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon par la loi du 21 février 2007 sur l’Outremer.

Les Chambres régionales et territoriales des comptes ont trois missions principales : juger les comptes du comptable public des collectivités de plus de 3.500 habitants (art. L.231-2 du Code des juridictions financières), examiner la gestion des collectivités (art L.243-5 du même code) – c’est l’occasion pour les Chambres de formuler des observations sur la régularité et la qualité de la gestion des élus – et enfin elle remplit une mission de contrôle budgétaire dans 5 cas précis :

– Lorsque le budget d'une collectivité a été adopté en dehors des délais prévus, en général, après le 31 mars (art. L.1612-2 du Code général des collectivités territoriales – CGCT)

– Lorsque le budget a été voté en déséquilibre réel, les recettes ne correspondant pas aux dépenses et le remboursement des emprunts n'étant pas couvert pas des ressources propres (art. L.1612-5 du CGCT). C'est le cas du conseil général de Mayotte.

– Lorsque l'exécution du budget est en fort déficit (art. L.1612)

– Lorsque les crédits nécessaires au paiement d'une dépense obligatoire n'ont pas été inscrits au budget (art. L.1612-15 du CGCT)

– Lorsque le compte administratif n'a pas été voté par l'assemblée délibérante (art. L.1612-12).

 

"Une collectivité ne peut dépenser plus que ce qu'elle possède"

 

MH : Quelles sont les conséquences pour une collectivité quand la Chambre est saisie par le préfet ?

FR : Première conséquence flagrante, la collectivité est dessaisie de son pouvoir budgétaire, en vertu des dispositions de l'article L.1612-9 du CGCT selon lesquelles "à compter de la saisine de la Chambre régionale des comptes et jusqu'au terme de la procédure prévue à l'article L.1612-5, l'organe délibérant ne peut se prononcer en matière budgétaire". D’acteur, elle passe ainsi au rang de spectateur, dans l’attente de l’avis de la Chambre régionale ou territoriale des comptes, attente qui favorise beaucoup de spéculations.

La procédure est assez "simple" et ne souffre pas réellement d’ambigüité. Le préfet, représentant de l’Etat et garant de la légalité des délibérations prises, saisit la Chambre afin de lui demander d’examiner les comptes de la collectivité pour déceler un déficit si la Chambre est saisie après l’exécution du budget ou un déséquilibre du budget si le contrôle est demandé avant l’exécution du budget. Contrairement à l’Etat, la somme des recettes prévisionnelles d’une collectivité doit obligatoirement être égale à la somme des dépenses prévisionnelles. En un mot, une collectivité ne peut dépenser plus que ce qu'elle possède.

Si la Chambre constate un déficit supérieur à 5% des recettes réelles de fonctionnement, elle doit rendre un avis par lequel elle recommande à l’assemblée délibérante de la collectivité de prendre des mesures de redressement. Chose qu’elle n’a pas manqué de faire pour le cas mahorais, la Chambre territoriale des comptes proposant un plan drastique sur trois ans afin de ramener le déficit de 72 millions à 34,6 millions d'euros en 2012. Ce plan comprend la suppression des CDD d'un mois, la limitation des contrats de six mois, la révision des bourses, des subventions aux associations et la reconfiguration de diverses recettes comme les droits de douanes majorés sur le tabac et les bières importés, la taxe départementale sur l'électricité et des ventes de terrains.

Pour des raisons logiques et politiques, ces propositions risquent de se heurter à de multiples réticences au sein du conseil général. Le bémol majeur est que si la Collectivité rejette les propositions de redressement et ne propose pas d’alternative suffisante, on passe à une quasi tutelle car le préfet, via un arrêté préfectoral, viendra régulariser la situation conformément aux propositions de la CTC. D’ailleurs, dans son avis, la Chambre précise bien qu’elle n'est pas en mesure de proposer un plan de redressement pluriannuel permettant le rétablissement de l'équilibre du budget de la CDM à l'échéance d'une année précisément fixée. Dès lors, si la Chambre elle-même avance à tâtons car n’ayant de visibilité claire de la situation budgétaire à venir, est-il judicieux pour le conseil général de rejeter le plan de redressement ?

 

"En 2008, 148 collectivités ont fait l’objet de la même procédure de redressement que la Collectivité départementale"

 

MH : Dans quels cas la Chambre a le pouvoir de mettre une collectivité sous la tutelle de la préfecture ?

FR : Pour répondre à votre question, quelques chiffres me semblent plus parlants qu’un long discours. En 2008, 148 collectivités ont fait l’objet de la même procédure de redressement que la Collectivité départementale : cela peut paraître infinitésimal en valeur absolue comparativement avec le nombre des collectivités territoriales françaises, mais les impacts de redressement réduisent de manière conséquente les marges de manœuvre de la collectivité épinglée et ce, pour plusieurs années. La collectivité devient "anesthésiée".

Les déficits sont légions et inévitables pour les collectivités, la tâche la plus difficile étant de les maîtriser. En France, les exemples sont assez nombreux et peuvent défrayer la chronique : l’affaire "Saint-Cyprien" de cet été et le déficit abyssal de la commune en est bien la preuve. S’agissant des cas Outremer, ils ne sont pas si rares que ça. En 1998, la CRC de la Réunion avait rendu un avis sur le déficit du compte administratif de la commune de Saint-Philippe : le résultat de l’exercice 1998 s’étant soldé par un déficit de 8.667.217 F, l’avis de la Chambre du 24 juin 1999 préconisait une réduction du déficit de 2.500.000 F par an pendant 4 ans, c’est-à-dire une résorption du déficit à l’échéance de l’année 2003. Ayant suivi le plan de redressement dès 1999, le compte administratif de la commune de Saint-Philippe ne présentait plus qu’un déficit cumulé de 5.395.284 F et s’était quasiment résorbé à la date échéance.

De même, en 2008 , la CRC de Guadeloupe a constaté que le compte administratif 2007 de la commune des Abymes présentait un résultat global de clôture déficitaire de 6.846.771 € et avait proposé en conséquence au conseil municipal de rétablir l’équilibre budgétaire pour le 31 décembre 2009 au plus tard, en ramenant le déficit à 3,4 M€. Le déficit devrait être résorbé intégralement à la fin de l’année, mais tout cela au prix de réductions importantes des dépenses de fonctionnement et autres ajustements.

 

Propos recueillis par Julien Perrot

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