26/02/2010 – Etude sur la productivité et les conditions de travail

 

 

 

Etude sur la productivité et les conditions de travail : Les salariés à Mayotte beaucoup moins productifs qu'en Métropole

 

 

 

{xtypo_dropcap}D{/xtypo_dropcap}ans l'introduction de son rapport, l'Arvise déplore que les préconisations qu'elle avait faites en 2006 pour accompagner le processus de convergence du Smig mahorais vers le Smic national n'aient pas été prises en compte par les partenaires sociaux. Selon elle, le recul de l'emploi, notamment des emplois peu qualifiés au profit d'emplois qualifiés du tertiaire et de l'encadrement, le tassement de la productivité individuelle, la baisse de rentabilité économique dans les plus petites entreprises et l'accroissement de la pression salariale dans un contexte de réduction d'activité confirme une "absence totale de pilotage" depuis la signature de l'accord il y a 4 ans.

Aujourd'hui, les positions des partenaires sociaux sur la mise en œuvre de ce processus sont très contrastées. Pour les représentants des salariés, "la convergence a eu des effets positifs en termes de motivation et d'implication des salariés dans la productivité des entreprises" et constitue pour eux "une première étape de la fin des spécificités mahoraises qui, selon eux, sont un réel frein au développement économique et social de ce territoire".

Mais quelques voix se font entendre sur les risques d'une évolution mal maîtrisée, ne correspondant pas aux enjeux réels du territoire et susceptibles de créer des clivages entre une minorité ayant un emploi et une majorité laissée pour compte, notamment parmi les jeunes, les sans-emplois non productifs et les retraités disposant de revenus faibles à cause du plafonnement actuel des pensions de retraite.

 

Pour le patronat, "les évolutions en matière de culture d'entreprise ne vont pas aussi vite que celles des salaires"

 

Pour les représentants patronaux en revanche, "l'accord sur la convergence a été conclu à une époque pour "acheter" la paix sociale, mais les signataires ne pouvaient imaginer à cette époque que les entreprises auraient à traverser une crise aussi désastreuse que celle qu'elles viennent de vivre".

Selon eux, "la plus grande prudence serait de mise pour les futures négociations, car les évolutions en matière de culture d'entreprise, de culture de la promotion sociale, de culture de la valeur ajoutée, ne vont pas aussi vite que celles des salaires. Dans cette course à la rentabilité et à la productivité, les salariés les plus faiblement qualifiés et les Mahorais les plus âgés risquent d'être les premiers perdants, mais aussi les petites entreprises".

D'après les représentants des salariés, la recrudescence du travail illégal et de l'immigration clandestine est un effet pervers du dispositif. Même si l'accord s'est appliqué partout, ils constatent que dans les secteurs du commerce et du gardiennage, les salaires ont tendance "à se niveler par tassement des écarts entre les salaires minima et les niveaux intermédiaires, ce qui crée le mécontentement des salariés des niveaux intermédiaires".

Les syndicalistes demandent un plan d'adaptation des compétences à l'échelle du territoire, constatant que "les entreprises ont une démarche productiviste très accentuée" : comme les jeunes arrivent sur le marché du travail avec des qualifications plus élevées, elles se séparent plus facilement de leurs salariés les plus anciens et âgés. En outre, "les petites entreprises faiblement structurées souffrent de la faiblesse de la formation de leurs dirigeants".

 

Pour la Cisma-CFDT, la grande majorité des Mahorais non salariés subit les conséquences de l'augmentation du Smig sur le coût de la vie

 

Tous les représentants des salariés demandent une convergence rapide du Smig mahorais vers le Smic national, à l'exception notable de Boinali Saïd, secrétaire général de la Cisma-CFDT, qui "attache davantage d'importance à la parité entre le coût du travail et le coût de la vie, au rapport entre le prix accordé à la main d'œuvre et l'ensemble de la structure des prix". Pour lui, la convergence a 4 effets pervers : premièrement, l'élévation massive du "salaire plancher" affecte directement le coût de la vie, or le Smig ne concerne qu'une faible partie de la population, la grande majorité des Mahorais subissant les conséquences sur le coût de la vie.

Le second constat de M. Saïd est que toutes les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne : l'augmentation du coût de travail dans les grandes entreprises qui interviennent sur le marché public engendre un renchérissement de la dépense publique supportée d'une manière ou d'une autre par la collectivité, alors que les petites et très petites entreprises artisanales, agricoles ou de services doivent retrouver leur rentabilité auprès du consommateur final, qui subit alors de plein fouet l'augmentation du coût de la vie, que ses revenus aient augmenté en tant que salariés rémunérés au Smig ou non.

 

Quelle richesse supplémentaire a été générée par l'accroissement du coût du travail ?

 

Son troisième grief est que la convergence telle qu'elle est appliquée est une conception étatique d'aide au salaire qui occulte sa dimension économique et la nécessaire création de richesse. Il se demande ainsi quelle richesse supplémentaire a été générée par l'accroissement du coût du travail. Enfin, les processus de convergence et d'égalité en matière de couverture sociale ont selon lui "tendance à occulter une grande part des véritables enjeux socioéconomiques de Mayotte au profit d'une égalité sociale qui n'est pas aujourd'hui la priorité telle qu'elle est révélée par les Etats généraux de l'Outremer, à savoir la cherté de la vie".

De son côté, le patronat souligne que les entreprises ont supporté une progression rapide du coût du travail et de nouvelles augmentations de charges, alors que le dispositif d'exonération des charges prévu ne s'applique pas encore. Quand les partenaires sociaux ont signé l'accord sur la convergence, ils espéraient que la croissance et les grands projets structurants leur permettraient d'assumer l'accroissement du coût du travail, "mais les entreprises ont fait les frais de la crise financière, de la crise dans le BTP, le retard dans le démarrage des projets structurants pour l'économie mahoraise", notamment ceux inscrits dans le Contrat de projet, sans oublier les retards de paiement qui constituent une plaie pour l'économie locale.

 

Pour le patronat, l'accroissement du Smig peut menacer l'emploi

 

"Les entreprises existantes ont fait un effort pour conserver, autant qu'elles le pouvaient, leurs effectifs, mais la perspective d'accroissement de la charge salariale avec les futures négociations peut faire craindre des menaces sur l'emploi", prévient le patronat. Selon lui, il y a également un risque de tensions avec les salariés lorsque des prélèvements supplémentaires seront effectués sur leurs salaires pour accroître la couverture sociale.

La culture du travail doit aussi être davantage ancrée dans l'esprit des salariés : "Il manque une prise de conscience de la création de richesses nouvelles. Le travail ne peut pas être qu'une occupation, il faut qu'il en résulte une rentabilité pour satisfaire les besoins d'égalité sociale auxquels les travailleurs de Mayotte aspirent".

Le patronat constate ainsi qu'"alors que le niveau d'exigences est de plus en plus élevé de la part des donneurs d'ordres, le niveau de productivité et de qualité ne suit pas en entreprise". D'autant qu'à l'avenir, "les salariés peuvent également craindre la mise en compétition avec la main d'œuvre européenne, notamment celle des pays de l'Est".

Selon le patronat, l'augmentation des salaires minimaux a eu très peu de répercussions sur la consommation des ménages. Pour lui au contraire, les conséquences sur l'emploi sont "désastreuses" et l'économie mahoraise est "en chute libre" car "les entreprises ont dû compresser leurs effectifs pour maîtriser leur masse salariale", la seule mesure de gestion qu'elles pouvaient prendre avant de développer de la productivité par l'activité.

 

Entre 2007 et 2009, les effectifs ont baissé de 3,36%, notamment dans les petites et grandes entreprises

 

Pour avoir une approche macro-économique, l'étude de l'Arvise a retenu comme indicateur de gestion la valeur ajoutée dégagée par chaque salarié, qui correspond très précisément à la richesse produite à travers l'activité propre à l'entreprise. "L'avantage de cet indicateur est qu'il est calculé de la même façon quel que soit le secteur d'activité", précise le rapport.

Entre 2007 et 2009, les effectifs en équivalent temps plein ont globalement baissé de 3,36%. De manière détaillée, l'étude relève toutefois des disparités importantes : si 42% des entreprises ont effectivement réduit leurs effectifs, 12% sont stationnaires et 46% les ont augmentés de manière continue.

Des disparités qui se retrouvent en fonction de la taille des entreprises : les entreprises de moins de 20 salariés et celles de plus de 150 salariés, subissent une baisse de 15 à 60% de leurs effectifs, alors que la plupart des entreprises de la tranche intermédiaire (plus de 20 et moins de 150 salariés) ont vu leurs effectifs progresser.

 

Aujourd'hui, plus de 6 salaires sur 10 se situent au-dessus du Smic net

 

L'analyse détaillée de l'évolution des effectifs par fonctions fait apparaître que les effectifs de production ont baissé de 4,8% (soit 190 équivalent temps plein en mois), ceux de logistique et ceux d'administration et gestion ont crû respectivement de 3,2 et 5,4% (soit 6 et 12 équivalents temps plein), traduisant une progression importante des emplois tertiaires dans les entreprises. Par type d'emploi, l'analyse détaillée révèle que si les effectifs d'ouvriers ont baissé de 14%, notamment dans les grandes entreprises, la fonction d'encadrement est par contre en progression dans les entreprises de taille intermédiaire.

L'effet de la convergence du Smig net vers le Smic net a fait passer les effectifs dont le salaire est supérieur au Smic net de 1.041 à 1.513 équivalent temps plein sur un effectif total de 2.360, soit 45% d'augmentation : aujourd'hui, plus de 6 salaires sur 10 se situent ainsi au-dessus du Smic net.

Avec un indice 100 en 2007, les données économiques générales des entreprises font apparaître "une baisse d'activité, avec un chiffre d'affaires global en baisse de 14 points en 2009 par rapport à 2008, avec peut-être l'impact conjoncturel de la crise financière de 2009, mais aussi une croissance de 9 points par rapport à 2007, sous l'effet sans doute de l'augmentation du pouvoir d'achat des ménages".

Si la masse salariale a augmenté de 13 points, la productivité apparente du travail (le rapport entre la masse salariale et la valeur ajoutée) s'est aussi améliorée de 7 points, étayée par une progression des résultats d'exploitation de 60 points. Enfin, le coût moyen d'un emploi passe de 18.400€ en 2007 à 21.600€ en 2009. Ces chiffres font ainsi dire à l'Arvise que "les gains de productivité semblent donc avoir été trouvés".

 

Les petites et moyennes entreprises moins bien armées dans la quête de productivité

 

Mais si on réexamine la situation en occultant les données de 4 grandes sociétés (qui emploient les deux tiers des effectifs de l'échantillon), les résultats sont nettement différents, révélant un résultat d'exploitation en baisse de 38 points et une valeur ajoutée en recul de 12 points. Si les petites et moyennes entreprises subissent la crise financière et enregistrent un renchérissement du coût du travail de la même manière que les grandes, "elles sont moins bien armées dans la quête de productivité", souligne l'étude.

Rapportée à la productivité individuelle (la valeur ajoutée totale divisée par l'effectif moyen), ces chiffres font ainsi apparaître que le niveau moyen de productivité par salarié a globalement progressé de 10,9%, passant de 36.407€ en 2007 à 40.377€ en 2009, il a en revanche baissé de 4,8%, passant de 25.327€ à 24.116€ si on occulte les 4 plus grandes sociétés. Les craintes exprimées par les syndicats et le patronat sur la survie des plus petites entreprises seraient ainsi confirmées par ces données.

 

La productivité individuelle inférieure de 8.000€ par rapport à la moyenne nationale

 

En 2007, ce niveau avait déjà été estimé comme étant inférieur de 8.000€ à celui de la productivité moyenne par salarié au plan national. En comparant les chiffres de l'étude avec ceux publiés par l'Insee le 27 janvier 2010 dans son "Panorama des secteurs" s'appuyant sur la base de données Alisse, il apparaît que la productivité individuelle des travailleurs mahorais est très nettement inférieure à la moyenne nationale, à l'exception du secteur "commerce et réparation automobiles" qui est supérieure de 22% (voir tableau).

Ce tableau est cependant "à prendre avec beaucoup de précautions", souligne le rapport, car les indicateurs de Mayotte ne portent au maximum que sur 2 cas d'entreprises et dans la majorité des cas ils ne reflètent la situation que d'une seule entreprise. L'Arvise a également constaté que de nombreuses entreprises mahoraises sont encore très réticentes à divulguer leurs chiffres (voir encadré).

 

L'absence de mesures d'accompagnement a empêché la relance keynésienne de l'économie

 

En conclusion, l'étude souligne que "l'absence de mesures d'accompagnement semble constituer le point d'achoppement d'un processus qui misait sur une spirale vertueuse de la relance de l'économie par l'augmentation du pouvoir d'achat (effet keynésien)". Réalisée sous la contrainte réglementaire, l'augmentation du pouvoir d'achat n'a pas été suivie par "un développement de secteurs clé d'activité, de formation des hommes et de développement des compétences des entreprises, d'amélioration des conditions de travail".

C'est pourquoi l'Arvise recommande, pour la dernière étape du processus, c'est-à-dire la négociation collective de l'ajustement du calendrier pour les 15% restants, "une sorte de synchronisation entre le rattrapage du Smic net et éventuellement de la couverture sociale d'une part, et d'autre part les facteurs de productivité du travail (formation, organisation et conditions de travail)", afin d'"enrayer le phénomène de destruction d'emplois et des capacités de production des entreprises qui semble s'être mis en route, sous l'effet de la crise financière".

Enfin, l'Arvise déplore que cette étude ne vienne pas éclairer un "réel projet collectif" construit à partir des visions de développement du territoire des organisations syndicales et patronales.

 

Julien Perrot


 

Des entreprises encore très réticentes à divulguer leurs chiffres

La méthodologie de la deuxième phase de l'étude de l'Arvise s'est basée sur une double approche : quantitative sur un panel d'entreprises volontaires, et qualitative auprès des représentants de salariés et d'employeurs (CGT-Ma, UTFO, CFE-CGC, Cisma-CFDT, Medef), ainsi que quelques dirigeants d'entreprises (Sodifram et BDM) et des acteurs socio-économiques (Caisse d'assurance chômage, Tifaki Hazi, Opcalia).

Pour l'analyse quantitative, l'Arvise a diffusé auprès des entreprises sélectionnées dans un échantillon représentatif du tissu économique de Mayotte, une grille de recueil de données sociales et économiques sur les exercices 2007, 2008 et 2009 (prévisions). 90 entreprises figuraient dans le panel d'entreprises contactées, mais seulement 30 ont répondu, représentant environ 3.000 salariés, malgré plusieurs relances.

Après la présentation du rapport provisoire de son étude devant la commission consultative du travail du 20 janvier 2010, l'Arvise a consulté à nouveau les entreprises qui avaient participé à l'enquête "pour lever des doutes sur certaines incohérences qui étaient apparues entre leurs indicateurs de masse salariale et d'effectifs employés". Elle leur a demandé de préciser les effectifs en équivalent temps plein et d'indiquer la masse salariale en incluant les charges sociales, mais seulement la moitié des entreprises ont bien voulu répondre.

L'Arvise constate également que sur les 30 entreprises du panel retenu, 6 n'ont pas complètement rempli les grilles, "ne voulant manifestement pas dévoiler leur chiffre d'affaires, la valeur ajoutée de leur activité, leur résultat d'exploitation ou leur masse salariale". L'analyse quantitative de cette étude s'est donc basée sur 24 entreprises réparties dans 20 secteurs d'activité.

La collecte des données a été pour l'Arvise "une rude affaire à réaliser", car les entreprises mahoraises "ne remplissent pas encore toutes et de manière correcte leur liasse fiscale de résultat d'exploitation" ou plus vraisemblablement parce que "nombre d'entre elles ont délibérément occulté ces données" lorsqu'elles lui ont retourné la grille de collecte.

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