Mayotte Hebdo : Pourriez-vous nous présenter en quelques mots l'île de Mohéli ?
Anfani Msoili : Mohéli fait partie de l'archipel de Comores, elle est la plus petite île avec 211 km² et est peuplée d'environ 35.000 habitants. Il y a vraiment un retard de développement par rapport aux autres îles sœurs, au niveau des infrastructures ou du commerce. Mohéli est restée longtemps en arrière des autres, ce qui explique en partie son sous-peuplement.
MH : Quand on regarde l'histoire de Mohéli, on a l'impression qu'elle est toujours restée à l'écart, que ce soit des mouvements de populations ou des troubles politiques…
AM : Oui, Mohéli est restée en arrière et a été un peu délaissée, mais cela n'est pas un frein en soi. Il n'y a pas de médina mais il y a des spécificités mohéliennes. Bien que Mohéli fasse partie de l'archipel, sur chaque île il y a des spécificités au niveau du peuplement. Il y a des vestiges du peuplement chirazien avec les tombes et même au niveau des villages il y a des vestiges de barrières qui avaient été érigées pour se protéger des invasions des pirates. Mohéli ne diffère pas trop au niveau du peuplement de l'ensemble des Comores. Toutefois, il est vrai que la visibilité de cette histoire à Mohéli est peu marquée par rapport à Anjouan et à la Grande Comore.
MH : Comme à Mayotte, il y a eu aussi un peuplement malgache, avec le village de Ouallah-Miréréni…
AM : Oui, mais là-bas il n'y a personne qui parle malgache, comme ici à Mayotte. C'est le village de la reine Djoumbé Fatima où on peut voir la chauve-souris de Livingstone. C'est là-bas que le roi malgache s'était installé et replié.
Djoumbé Fatima : "cette reine est une fierté des Mohéliens"
MH : Que représente pour vous Djoumbé Fatima (1836-1878), la dernière reine de Mohéli ?
AM : C'est une femme qui a charmé tous ceux qui ont gouverné. Elle a su incarner une autorité au niveau de Mohéli et a pu régner quelques années jusqu'à ce qu'elle soit déportée. Aujourd'hui, cette reine est une fierté des Mohéliens, qui incarne une partie de leur histoire.
MH : Mohéli a la réputation d'être une île calme, paisible et tranquille. De quoi vivent ses habitants ?
AM : Mohéli ne fait pas exception, elle vit de l'agriculture, de la pêche et de l'élevage principalement. Il y a aussi quelques commerces. Mohéli a la chance d'être ce que les gens ont l'habitude d'appeler "la mère nourricière", puisque l'agriculture y est très répandue. Même si on n'a pas de grandes exploitations, ce que Mohéli cultive aujourd'hui est en mesure de nourrir la Grande Comore et Anjouan. On a des terres encore très fertiles à Mohéli et les agriculteurs font ce travail pour se nourrir et se développer.
MH : Pouvez-vous nous parler du parc marin de Mohéli ?
AM : Situé au Sud-Est de l'île, le parc marin a été créé en 1999 et officiellement décrété en 2001. Ce travail a été mené à partir des études effectuées au niveau des Comores pour la mise en place de cette aire marine protégée qui est unique d'ailleurs aux Comores et une de ses fiertés, étant donné qu'il y a une richesse faunique et floristique introuvable ailleurs. Cette partie Sud-Est est reconnue pour cette richesse, ce que les Anglais appellent un "hot spot" (point chaud de biodiversité, ndlr). La particularité du parc marin de Mohéli, c'est que c'est une initiative qui est menée par les communautés locales des villages qui composent le parc marin. On a essayé de mettre en place une méthode participative : c'est un espace qui est co-géré avec les organismes internationaux et une association qui regroupe les 10 communautés.
"Une richesse faunique et floristique introuvable ailleurs"
MH : Concrètement, qu'est-ce qui a changé dans la vie des villageois depuis la création du parc marin ?
AM : Il y a d'abord une forte augmentation des prises des pêcheurs, car les méthodes de pêche destructives sont strictement interdites au sein du parc marin. La preuve, c'est que même les villages hors parc aujourd'hui sont en train de signer des accords de co-gestion pour que cette façon de gérer les ressources naturelles au niveau du parc marin soit étendue à l'ensemble des villages de Mohéli. Il y a eu un changement des comportements et des mentalités par rapport au parc marin qui porte ses résultats aujourd'hui, avec les revenus des ménages qui augmentent. Il y a aussi un développement de l'écotourisme qui se met en place et qui permet d'améliorer un peu le cadre de vie des villageois.
MH : Il y a beaucoup de touristes qui viennent aujourd'hui à Mohéli ?
AM : Oui, de plus en plus. La Maison de l'écotourisme, qui est également une association, essaie de vendre la destination Mohéli sur son site www.moheli-tourisme.com. C'est un centre d'accueil et de formation. On peut faire sa réservation de n'importe où et faire un package de tous les sites que l'on peut visiter. Mohéli est aujourd'hui plus fréquentée qu'avant : on a en moyenne 500 à 600 touristes par an, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années.
MH : Qu'est-ce qu'on peut voir comme faune et comme flore endémiques ?
AM : Il y a la chauve-souris de Livingstone qui ne se trouve nulle part ailleurs si ce n'est à Anjouan. C'est la plus grande du monde : elle fait entre 1,50 m2 m d'envergure. Cette chauve-souris se retrouve encore dans la forêt primaire de Mohéli, en montagne. Mohéli est également reconnue pour les tortues marines au niveau du site d'Itsamia, qui est le premier site mondial habité où tortues et hommes vivent en harmonie, et également le premier site au niveau régional où les tortues marines viennent pondre, surtout la tortue verte chelonia midas. Autour des îlots de Nioumachoua, il y a des fonds sous-marins très réputés avec les coraux et les mangroves. Mohéli possède également l'unique lac classé par la Convention de Ramsar (sur les zones humides, signée en Iran en 1971, ndlr) comme zone humide internationale qui est le lac Boundouni. Il y a beaucoup de choses qui incitent à la curiosité des uns et des autres, les chercheurs, les scientifiques, des étudiants ou de simples visiteurs. et
"On sent qu'il y a un laxisme au niveau des autorités locales des Comores"
MH : Mais il y aussi des difficultés par rapport aux braconniers, avec par exemple votre frère Daan Ouni Msoili qui s'est fait agressé il y a quelques mois parce qu'il voulait protéger les tortues…
AM : Oui, à tout combat, il y a le revers de la médaille. Mohéli, bien qu'elle possède cette richesse faunique et floristique, est confrontée à ce problème de braconnage qui malheureusement sévit et continue au niveau des sites non protégés… Et même sur les sites protégés, comme pour cette agression barbare qu'a subie l'éco-garde de l'association d'Itsamia. Malheureusement, ce sont des choses qu'on déplore. Parfois, on sent qu'il y a un laxisme au niveau des autorités locales des Comores sur les mesures qui doivent accompagner ces associations pour essayer de protéger ce patrimoine qui est national. C'est le moment de lancer un appel solennel aux uns et aux autres pour qu'au moins les conventions qui sont signées et ratifiées par l'Union des Comores puissent être respectées. Il y a la loi-cadre environnementale de l'Union des Comores et le décret de création du parc marin de Mohéli : ce sont des mesures qui peuvent ne serait-ce que dissuader les braconniers, mais elles ne sont pas appliquées à la lettre. Cela donne un laissez-aller aux braconniers qui sont impunis. On est confronté à ce problème, mais le combat ne s'arrête pas là et notre arme c'est la sensibilisation.
MH : Il y a aussi une autre menace : le projet de construire un port en eaux profondes sur la plage d'Itsamia…
AM : Ce projet a été avancé par le gouvernement de l'Union des Comores comme une mesure de désenclavement, mais l'idée a été lancée sans études approfondies. Nous avons crié fort avec l'appui de nos partenaires internes et externes et je pense que le gouvernement a pu se ressaisir et se rediriger vers un site plus adéquat et plus approprié pour ce genre d'infrastructures, étant donné qu'Itsamia fait partie du parc marin de Mohéli et est un site irremplaçable au niveau des Comores. Aujourd'hui, ce projet fait marche arrière vers d'autres sites. J'appelle encore une fois les autorités comoriennes à savoir concilier développement durable et développement économique pour faire les choix exacts des endroits qu'il faut préserver car la nature est un patrimoine mondial.
"Le fait que Mayotte reste française n'est pas un handicap de développement au niveau de l'archipel des Comores, au contraire"
MH : Mohéli doit normalement présider à la destinée de l'Union des Comores en 2010. Le président Sambi voudrait prolonger son mandat d'un an et faire une réforme constitutionnelle prochainement. Certains Comoriens estiment que la présidence tournante de Mohéli se retrouve aujourd'hui compromise. Qu'en pensez-vous ?
AM : La tournante mohélienne n'est pas compromise, c'est trop dire. Je pense que tout homme au pouvoir a tendance à s'y éterniser. Ce qui se passe aux Comores actuellement va interpeller les hommes politiques comoriens et ils sauront, par le dialogue, trouver ce qui est bon pour les Comores. J'ai foi et je crois que la tournante va tourner : 2010 sera le tour de Mohéli. Il n'y a pas d'ambiguïté, c'est un postulat qui est écrit et je ne pense pas qu'il sera effacé comme ça du jour au lendemain. Laissons tourner jusqu'au bout, et de là on en tirera des leçons. Tous les Mohéliens aspirent à ce changement, à ce qu'on les laisse gouverner. Ensuite, on va s'asseoir à trois pour discuter et voir ce qu'il y a à changer. Je ne pense pas que ce soit une mauvaise Constitution car c'est nous tous qui l'avons votée et adoptée. Il n'y a pas de mauvaise Constitution en soi, mais des mauvaises personnes au pouvoir. Je pense que ces mauvaises intentions vont être dissipées d'ici peu et que la raison va primer sur les intérêts personnels.
MH : Quelle est votre opinion sur le fait que Mayotte ait choisi de rester française ?
AM : Je respecte ce choix. Je suis très apolitique et très fidèle au respect des autres. C'est un choix que les Mahorais ont fait et qui leur semble bon. Au niveau de l'archipel, il y a des instruments et des politiques nouvelles de décentralisation et de co-développement régional. Ces politiques permettent de rapprocher les uns et les autres. Pour moi, le fait que Mayotte reste française n'est pas un handicap de développement au niveau de l'archipel des Comores, au contraire.
MH : Est-ce qu'à Mohéli vous voyez cette action de coopération de la France ?
AM : Oui, c'est une action qui est très remarquée. Nous remercions beaucoup la France, étant donné que la Fadsem, la Fédération d'acteurs pour le développement socio-économique de Mohéli est appuyée par la coopération française via diverses ONG françaises comme Initiatives et Développement, qui nous accompagne et nous aide à renforcer les capacités au niveau des intellectuels de Mohéli. C'est une chose qu'on doit louer. C'est de cette manière-là qu'on va se rapprocher et peut-être que c'est le moment de l'amplifier. Les ONG françaises sont les bienvenues à Mohéli, tout comme les Naturalistes de Mayotte.
Propos recueillis par Julien Perrot
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